Anne Bouchard dans les Alpes – Photo : courtoisie
En début d’année, Distances+ présentait des reportages sur une quinzaine d’athlètes élites québécois et sur ce qui les attendait en cours d’année sur le plan sportif. Alors que se termine la saison, nous avons demandé à ces coureurs de jeter un coup d’oeil sur les derniers mois afin de nous partager ce qu’ils ont vécu de beau et de fort, ce qu’ils ont appris sur eux-mêmes, tout en reconnaissant leurs moins beaux moments et leurs réflexions. Aujourd’hui : Anne Bouchard.
La saison 2019 devait avoir une saveur locale. Il y a tellement de belles courses au Québec que je n’ai pas encore eu la chance de visiter. Je n’avais pas de plan précis, à l’exception de la Gaspesia 100 que je devais reprendre, histoire d’apaiser mon esprit sur mon abandon injustifié en 2018.
Après avoir discuté avec des amis coureurs, ma curiosité pour les 200 miles s’est éveillée. Je ne connais ce genre de course. Je me suis inscrite sur le Swisspeak 360 avec beaucoup d’hésitation. Ce n’était pourtant pas l’objectif principal de ma saison et j’ai détourné totalement mon attention de ce projet. Je ne voulais même pas en parler quand mes amis coureurs me posaient des questions.
Avec la rencontre d’un nouvel entraîneur, je suis sortie de ma zone de confort sur une base quotidienne et j’ai expérimenté une façon plus structurée et paramétrée de m’entraîner. J’y ai pris énormément de plaisir.
Pour sortir de l’hiver québécois et me préparer pour la Gaspesia 100, j’ai participé au The North Face Endurance Challenge de Washington DC. Avec une première place sur le 80 km en un temps de 8 h 08, j’avais la confirmation que ma nouvelle façon de m’entraîner fonctionnait bien.
Puis, vient la Gaspesia 100. Ça a été une belle course, un 100 miles comme on les aime, divisé en deux sections, soit un 120 km à courir dans le plaisir, puis un 40 km d’adversité. Le tout se termine par une deuxième place à la ligne d’arrivée.
C’était fait, mon abandon était effacé. Cette expérience m’a confirmé que la Gaspesia 100 est unique et magique. C’est probablement l’odeur de la mer qui apporte un petit je-ne-sais-quoi.
L’Europe dans les jambes
À partir de ce moment, lenteur et dénivelé deviennent les bases de mon entraînement et me plongent dans une zone léthargique. Je n’apprécie pas ce rythme lent, ni l’utilisation des bâtons et la musculation.
À la mi-juillet, j’ai reçu une invitation inusitée de l’équipe Oxsitis TSL en France, pour participer à leur camp d’entraînement estival à Val Thorens.
Après une organisation complexe de mes obligations familiales et professionnelles, l’annulation de toutes mes courses au Québec, je me suis envolée vers les Alpes pour courir en compagnie des grands : Anne-Lise Rousset, Audrey Tanguy (Hoka), Julien Chorier (Hoka), Maryline Nakache, Sylvain Court, Thibault Garrivier (Hoka), Adrien Séguret et bien d’autres.
Très tôt, l’altitude et la longueur des montées augmentent ma fatigue déjà bien présente. C’est sans surprise que je peine à les suivre, mais je vis une expérience unique dans un décor époustouflant.
J’ai beaucoup appris et je me suis inspirée de leur philosophie de course. Ces coureurs sont passionnés et recherchent sans cesse l’ivresse des sensations. Les suivre quelques semaines plus tard en « live » sur le parcours de l’UTMB a été un moment marquant de mon été.
S’ennuyer en course
Bien que ma forme physique ait remonté graduellement, mon cœur et ma tête n’y étaient plus. Je m’ennuyais beaucoup de ma famille, et elle aussi. De l’autre côté de l’Atlantique, mon fils était malade et pleurait pour que je rentre à la maison.
C’est donc sans envie que j’ai pris la route pour la Suisse en direction du Swisspeak 360. J’étais sans mots. Je n’arrivais pas à trouver l’engouement habituel. Dix minutes avant le départ, mon entraîneur l’a bien vu. Il m’a pris à l’écart du peloton et m’a rappelé que : « courir, c’est d’abord et avant tout se faire plaisir. Je te connais, tu aimes courir. Alors, cours la première montée! » Ce que j’ai fait.
Le reste du parcours, je ne l’ai pas regardé, ou presque. Je n’ai rien trouvé dans cette course. Dans la nuit, alors que je traversais un énième pâturage de vaches, j’ai pris mon téléphone et j’ai dit à mon entraîneur : « vient me chercher, ramène-moi dans les Alpes. »
Et c’est ainsi qu’après 100 km, toute fraîche, pleine d’énergie et sans regret aucun, j’ai pris la décision de quitter ce parcours et de retourner m’entraîner en France. Je me suis sentie très légère. Ce genre d’événement ne met pas à profit les sensations de courses qui me font tant vibrer.
Apprécier l’envol
J’ai terminé la saison sur le 80 km du Bromont Ultra, avec une deuxième place.
La saison 2019 a été magique. Je suis sortie de ma zone de confort sur tous les points. Je suis allée plus loin dans mes réflexions pour mieux découvrir ce qui me fait plaisir dans la course en sentier.
J’admets que le terme « course » a maintenant une signification très précise pour moi. Courir, ce n’est pas marcher plus vite. Courir, c’est un enchaînement de mouvements complexes produits par notre corps et qui comprend un microscopique instant d’envol. Cet instant d’envol, reproduit sur des dizaines de kilomètres, me fait vraiment rêver.
J’ai aussi compris que ce n’est pas le nombre de kilomètres qui détermine la qualité des athlètes, mais plutôt leur capacité à se dépasser physiquement et mentalement pour créer une performance sportive positive.
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