Situé en plein centre du Yukon, le parc territorial Tombstone tient sa réputation de ses impressionnants monts au relief accidenté. C’est pour découvrir ce qui est considéré par plusieurs comme les plus belles montagnes du Canada que mon frère Samuel et moi y avons effectué une randonnée d’une soixantaine de kilomètres en août 2013.
Nous atterrissons à Whitehorse, capitale du Yukon, après plusieurs heures de vol entrecoupées de transferts dans différents aéroports. Fatigués, nous sommes seulement à mi-chemin de notre destination.
La route qui mène au parc permet de voir des décors grandioses, alliant montagnes, vallées, lacs, rivières et forêts. Une impression d’incommensurable grandeur nous envahit. Les rencontres avec d’autres automobiles sont rares. Les villages sont parsemés sur le vaste territoire. Il n’y a pas de connexion sur nos téléphones cellulaires. Nous réalisons que nos contacts avec la civilisation seront limités.
La route qui mène au parc ressemble plutôt à un chemin d’exploitation forestière. Arrivés au centre d’accueil, nous payons notre droit d’accès et notre permis de camping. L’air est humide. Un brouillard épais mêlé à de la neige nous donne un avant-goût de la température qui nous attend au cours de la randonnée.
Comme dans la plupart des parcs de l’Ouest canadien, une mise en garde particulière nous est faite par rapport à la présence de grizzlis. Les bocaux alimentaires anti-ours sont d’ailleurs obligatoires. Nous devons porter en tout temps une bonbonne de gaz poivré. L’employée nous conseille de nous méfier des écureuils terrestres arctiques. Ces petits rongeurs peuvent s’en prendre à nos lacets ou à nos bâtons de marche. Mon frère Samuel l’apprendra d’ailleurs à ses dépens quelques jours plus tard : les poignées de ses bâtons de marche seront presque complètement mâchouillées par l’un de ces petits animaux.
Nous sommes prêts à partir pour huit jours de marche en pleine nature sauvage.
Un chemin exténuant
Les sacs à dos remplis au maximum de leur capacité, nous marchons dans la forêt boréale avant de commencer une ascension agressive qui nous mène au sommet d’une montagne. Nous rencontrons plusieurs randonneurs qui effectuent seulement cette partie du sentier en une journée. Un petit repos s’impose; la montée a été extrêmement ardue.
Les kilomètres suivants s’effectuent relativement bien, quoique la météo soit difficile. Le vent, la neige et le brouillard rendent le sentier glissant, parfois glacé, ou tout simplement difficile à repérer. Par chance, les gardiens du parc ont placé des rubans colorés pour guider les aventuriers.
Après sept heures de marche, nous atteignons le lac Grizzly. La vue est splendide. Les cimes acérées des montagnes semblent déchirer le couvert nuageux. Le lac à l’eau limpide est habité par quelques canards.
Nous sommes parmi les premiers arrivés au petit campement. Dans un souci de contrôle et de conservation, le parc Tombstone oblige en effet les randonneurs à planter leur tente à des endroits déterminés. Dix plateformes sont mises à la disposition des campeurs dans le parc. La réservation est obligatoire et il est préférable de l’effectuer quelques mois à l’avance pour la période automnale, puisque cette saison est la plus achalandée.
Le temps de l’exploration
Le circuit le plus populaire peut se faire en quatre jours avec une bonne condition physique et de l’expérience en randonnée. Mon frère et moi choisissons de prendre notre temps. Nous prendrons huit jours pour le réaliser, afin d’apprécier ce que chaque endroit peut nous offrir. Je suis là surtout pour faire de la photographie de paysage. Ça prend du temps. Il faut laisser la nature venir à soi.
Au réveil, notre tente est parfois complètement givrée. Le brouillard est toujours présent. Il n’est pas rare que la température soit sous le point de congélation. Mais, certaines journées, nous nous réveillons pour assister à de magnifiques levers de soleil qui illuminent les montagnes.
Notre deuxième destination s’appelle le lac Divide. Nous devons franchir un col à la pente très prononcée. La descente est aussi ardue, puisque le terrain est instable. La vue en vaut la peine; elle est fantastique. La lumière filtrée par les nuages produit toutes sortes de formes sur les montagnes.
Je peine à décrire à quel point cet endroit me fascine. Les montagnes en forme de monolithes foncés semblent être les gardiennes du lac. Nous oublions le temps, la distance et la fatigue. Ce paysage vaut tous nos maux.
Le soir venu, nous avons même droit à un spectacle d’aurores boréales.
Un lieu fréquenté depuis des millénaires
Samuel et moi passons deux jours à explorer les alentours du lac. Nous gravissons la plus haute montagne du parc. La vue de son sommet est impressionnante. Il est facile de comprendre pourquoi cet endroit est fréquenté par les humains depuis près de 8 000 ans. La toundra offre des points de vue dégagés, ce qui rend plus facile la chasse des grands mammifères, comme les caribous.
Le territoire a été façonné par de nombreuses glaciations. Il occupe une place importante dans la culture de la Première Nation Tr’ondëk Hwëch’in qui y a chassé, campé et fait du commerce durant des siècles. Je prends le temps de sentir le poids de l’histoire.
La vallée Tombstone
Nous plions bagage afin de nous diriger vers l’ouest pour notre dernière destination, le lac Talus. Le chemin est facile; il y a peu d’élévation.
Après avoir installé notre campement, nous reprenons la randonnée pour explorer l’immense vallée Tombstone. L’endroit est à la fois magnifique et imposant. Les montagnes se dressent vers le ciel comme de véritables lances. Le peu d’arbustes laisse place à une flore en pleine transition. La toundra revêt tranquillement ses couleurs automnales, qui varient du vert au pourpre, en passant par des teintes d’orangé. Chacun de nos pas fait remonter une odeur particulière marquée par les différents types de lichens, les bleuets et le thé du Labrador.
Nous passons deux jours au lac Talus. L’endroit est vaste et une personne pourrait facilement y passer plusieurs jours sans pour autant avoir tout découvert.
Un retour précipité
Nous en sommes à notre septième journée de randonnée. Nous achevons une boucle qui nous ramène au lac Grizzly. C’est alors que nous recevons une communication satellite d’un ami. Il nous avise que la météo va se gâter au cours des prochaines journées. Nous ne savons pas si nous devons écourter notre randonnée, prévue pour deux autres jours.
Le lendemain matin, le temps est maussade. Il vente, il pleut, il neige. Alors, nous décidons de rentrer tout de suite. Nous effectuons le trajet de retour en marche rapide, ce qui nous prend deux fois moins de temps qu’à l’allée, puisque nos sacs à dos sont plus légers, avec sept jours de provisions de nourriture en moins.
Deux ans et demi sont passés depuis ce séjour d’une semaine. Ma tête déborde encore de souvenirs. De sensations. D’odeurs. J’ai la certitude que je retournerai au parc Tombstone. Ce coin du Canada a tant à offrir aux amoureux de plein air, de nature et de photographie.