Rien ne se passe jamais comme prévu dans un ultra. La 16e édition de l’UTMB (170 km, 10 000 m D+) en a été l’illustration parfaite. Le duel entre Jim Walmsley et Kilian Jornet n’a pas eu lieu. Les Américains, venus en force pour tenter de remporter enfin le Graal de l’ultra-trail, ont tous sombré. Mimmi Kotka, annoncée victorieuse avant même de courir, s’est arrêtée après seulement 30 km. Et surtout, les principaux favoris ont tous abandonné la course, à l’exception du Français Xavier Thévenard, qui a surclassé tout le monde.
Il a gagné l’UTMB pour la troisième fois, rejoignant ainsi au panthéon de la course en sentier Kilian Jornet et François D’Haene.
La course parfaite
L’athlète de l’équipe Asics, qui est le seul à ce jour à avoir remporté les quatre épreuves de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, avait presque réussi à se faire oublier dans les débats frénétiques d’avant-course.
Quand il a quitté la ligne de départ, à Chamonix, il a fait le choix de ne pas suivre les fauves lancés à toute allure derrière Jim Walmsley, vers les Houches, Saint-Gervais et les Contamines. « J’ai préféré faire ma course et ne pas partir trop vite », a-t-il dit à l’arrivée, près de 21 heures plus tard.
Le jeune homme de 30 ans, au palmarès impressionnant, a fait confiance à son expérience et à sa connaissance de la montagne. Tout au long de la nuit (le départ est traditionnellement donné le vendredi soir à 18 h), il a repris ses adversaires un à un, avec calme et détermination, sans jamais faiblir. Distances+ l’a suivi tout au long de la course et sa foulée est demeurée légère et dynamique d’un bout à l’autre du parcours. Il n’a jamais paru fatigué ou sous pression.
Pied de nez à la Hardrock
Xavier Thévenard restait sur la frustration d’avoir été disqualifié cet été de la Hardrock 100, aux États-Unis, alors qu’il s’apprêtait à s’imposer avec au moins 2 h 30 d’avance. Alors, quand il est arrivé dans la dernière ligne droite, sous les acclamations intenses du chaleureux public de Chamonix, il s’est offert un pied de nez. Il a pris le temps de boire une gorgée d’eau avant de s’asperger le visage, en guise clin d’œil au directeur de la mythique course américaine qui l’avait arrêté à 15 km de l’arrivée parce qu’il avait bu une gorgée d’eau hors zone de ravitaillement en allant embrasser sa blonde sur le parcours.
Samedi, il s’est offert une nouvelle victoire de prestige, nette et sans bavure! Une victoire d’autant plus cinglante que face à la pluie et au froid en altitude, il a été le seul des grands noms de l’ultra-trail mondial à rester sur les sentiers du Mont-Blanc. « Le temps n’avait rien d’exceptionnel, c’est le temps qu’on trouve généralement dans les Alpes », a-t-il souligné, tandis que plusieurs athlètes disent avoir tout particulièrement souffert du froid cette année.
C’est le Roumain, Robert Hajnal (5e du Lavaredo 2017 et 9e de la CCC 2015) qui a pris une superbe 2e place, 45 minutes derrière celui qui est surnommé le Petit Prince du trail. L’Espagnol Jordi Gamito, habitué des places d’honneur (10e de l’UTMB 2017 et 5e de la TDS 2016), a complété ce podium imprévu par les pronostiqueurs.
À noter que l’Ultra-Trail du Mont-Blanc a également été marqué par l’avènement au plus haut niveau de coureurs venus d’ailleurs. Les Chinois ont fait une entrée fracassante avec deux victoires sur l’OCC (Erenjia Jia) et la CCC (Miao Yao) et c’est un Polonais (Marcin Swierc) qui s’est adjugé la TDS.
La belle surprise : Francesca Canepa
La déroute des grandes favorites a permis à l’Italienne Francesca Canepa de créer la surprise et de gagner l’UTMB 2018 en 26 h 03. Si sa victoire était inattendue, elle n’est pas pour autant étonnante. Canepa est habituée de gagner des ultras depuis plusieurs années. Elle a d’ailleurs remporté au printemps l’Istria 100 en Croatie, qui est également une course de l’Ultra-Trail Word Tour.
La coureuse de 47 ans, amoureuse du Mont-Blanc, a tiré profit de la casse à l’avant, mais elle a en plus tenu son bout. Elle s’est battue pour cette incroyable victoire (33e au classement général) en adoptant une stratégie semblable à celle de Xavier Thévenard : un départ prudent – elle était pointée 157e au km 21 à Saint-Gervais et 85e à Courmayeur – avant de remonter ses concurrentes les unes après les autres. Dans un ultra, une course se joue aussi sur la défaillance de ses adversaires.
« C’est une médaille olympique », s’est-elle enthousiasmée.
Francesca a résisté à l’Espagnole Uxue Fraile Azpeitia, qui est arrivée moins de cinq minutes après elle. La Française Jocelyne Pauly a complété ce podium féminin.
Les favoris n’ont pas fait le poids
Jamais aucune édition de l’UTMB n’avait été à ce point fatale aux élites. C’est probablement ce que retiendra l’histoire. D’autant que le nombre total des abandons, 782 sur les 2300 partants, est plus faible que les années précédentes.
Sur les 26 athlètes masculins les mieux classés selon l’ITRA et présents au départ, seulement sept sont allés au bout, dont le Montréalais Mathieu Blanchard (13e). Jim Walmsley, Kilian Jornet, Luis Alberto Hernando, Tim Tollefson, Zach Miller, Gediminas Grinius, Alex Nichols, Ryan Sandes ou encore Scott Hawker et les Français Benoit Cori, Michel Lanne, Sylvain Court et Sébastien Camus, entre autres, ont tous abandonné. Une hécatombe insolite dans l’histoire de l’UTMB.
Parmi les athlètes féminines, les quatre principales favorites (Caroline Chaverot, Mimmi Kotka, Clare Gallagher et Magdalena Boulet) n’ont pas fini la course.
Pourquoi ont-ils abandonné?
La Suédoise Mimmi Kotka semblait la plus forte sur le papier. Elle avait gagné toutes les courses auxquelles elle avait participé, et souvent avec la manière au point d’être aussi performante que l’élite masculine. Lors du 90 km du Marathon du Mont-Blanc, elle a terminé 11e au classement général. Pourtant, au kilomètre 30, elle s’est agenouillée de très longues minutes devant. Elle était aux avant-postes, mais ça n’allait pas. Blessée au genou, elle n’est pas repartie.
« Mon corps est vide, mon genou est vraiment abîmé et mes doigts sont probablement cassés », a indiqué la championne après son abandon, soulignant qu’elle avait besoin de remettre ses idées en place et de faire passer sa santé avant tout. » Elle a aussi estimé a posteriori qu’elle n’aurait pas dû prendre le départ parce qu’elle n’était pas prête.
L’Américaine Clare Gallagher a, elle aussi, vécu un « jour sans ». Elle a constaté que son « corps n’était pas prêt pour un tour autour du Mont-Blanc », même si elle avait réalisé un bon départ. « J’étais capable de monter, mais dès que j’étais sur le plat ou en descente je devrais m’arrêter. C’est alors le froid qui me paralysait, a-t-elle expliqué. J’ai promené mon corps jusqu’à Courmayeur (km 80) avant d’abandonner, car je n’avais ni les jambes ni l’estomac pour courir encore 90 km dans la montagne. »
Elles abandonnent en étant devant
En tête, Magdalena Boulet a mis fin à sa course après 66 km, au lac de Combal, laissant Caroline Chaverot prendre la tête. La championne française, embêtée de manière récurrente par des problèmes de santé, semblait en forme, mais elle a décidé elle aussi d’abandonner au sommet du Grand Col Ferret, en raison d’une hypothermie. « Les sensations sont restées plutôt bonnes jusqu’à Arnouvaz, puis tout s’est dégradé assez brutalement », a-t-elle expliqué.
Quant à la Française Émilie Lecomte, qui pouvait prétendre à la victoire, elle a craqué, elle aussi, sombrant dans le classement, mais à la différence de ses adversaires, elle a réussi à aller jusqu’au bout, terminant 13e femme en 28 h 10 de course.
Habituée d’arriver dans les premières, elle a su, dans les circonstances, « éprouver de la joie de passer la ligne d’arrivée ». Pour elle, l’UTMB est définitivement « un monument ».
Kilian Jornet, trois victoires à l’UTMB, puis plus rien depuis 10 ans
« Ce qui est génial dans la course, c’est que rien n’est écrit à l’avance, a souligné le grand Kilian Jornet sur sa page Facebook peu après son abandon. Même si vous vous entraînez fort, que vous soignez votre alimentation et que vous mettez en place une stratégie, « ce sont de petits détails qui font une énorme différence », affirme-t-il avant de raconter qu’il est pour sa part passé à côté de son UTMB à cause d’une piqûre d’abeille au pied, trois heures avant la course.
Son pied a gonflé. Il a pris des médicaments pour réduire l’inflammation et la douleur afin de pouvoir chausser ses espadrilles, ce qui n’a fonctionné qu’un temps. « Dès le début, mes sensations étaient bizarres dans la poitrine et l’estomac, mais je pouvais courir comme je l’espérais. » Jusqu’à Courmayeur, à mi-parcours, il n’a pas été trop affecté, mais il a vacillé par la suite, au point de la montée vers Arnouvaz. « J’ai fait une forte réaction allergique, j’avais de la difficulté à respirer, des nausées et des douleurs dans le thorax », a-t-il détaillé pour justifier son abandon.
Kilian a voulu terminer par une note positive en disant que les conditions météo étaient bonnes pour lui et qu’il avait été ravi de courir avec Jim Walmsley et Zach Miller.
L’incompréhension : Jim Walmsley
Les deux Américains n’ont pas communiqué pour leur part la raison de leur contre-performance.
Walmsley a gagné le 160 km de la Western States cet été avant de se consacrer totalement à l’UTMB. Il s’est essentiellement entraîné chez lui en Arizona, mais il s’est imposé de gigantesques charges de travail, tant en kilomètres parcourus qu’en dénivelé cumulé. Il estimait arriver très frais pour tenter d’être le premier Américain à gagner à Chamonix. Il est parti en trombe, forçant tous ses adversaires à soit essayer de le suivre, en vain, soit accepter de le laisser partir et de faire sa course, comme Xavier Thévenard.
Il a finalement semblé décélérer rapidement et s’est retrouvé, entre autres, avec Jornet et Miller jusqu’aux Contamines, après avoir parcouru une trentaine de kilomètres, sous la pluie et le froid. Puis, il a disparu de la tête et a chuté au classement, sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi. En grand champion, il n’a pas cédé à la facilité de renoncer dans la foulée de sa défaillance. Il s’est battu, se faisant dépasser par des dizaines et des dizaines de coureurs. En haut du sommet de l’UTMB, le Grand Col Ferret, il a été vu en pleurs, mais il a enduré, faisant honneur à cet ultra redoutable. Il a arrêté sa montre à Champex-Lac, en Suisse, après plus de 120 km et près de 20 heures de course à l’agonie.
Zach Miller termine dans un sale état
C’est aussi à Champex-Lac, que son compatriote Zach Miller, alors en tête avec Thévenard, a perdu pied, les dents serrées, le corps se contractant de douleurs et titubant en repartant après un arrêt interminable durant lequel il a tenté de s’alimenter et de se réhydrater. Miller est reparti en lambeaux, laissant peu de doute sur l’issue de sa déchéance. Plus tard, c’est le Québécois Mathieu Blanchard qui l’aidera à rejoindre les secours. Il a quitté la montagne en hélicoptère.
Tim Tollefson lutte malgré une cuisse tailladée
Un autre Américain, Tim Tollefson, pouvait prétendre à la victoire, après être monté deux fois sur la troisième marche du podium. Lui, c’est une mauvaise chute qui a hypothéqué ses chances. « Au kilomètre 46, en descendant dans les Chapieux avec Xavier Thévenard – qui ne menait pas encore la course – j’ai traversé un ruisseau et j’ai marché sur une roche sur laquelle j’ai perdu l’équilibre, raconte-t-il sur sa page Facebook. Son quadriceps a été tranché par un morceau de schiste qui était à la verticale. Il dit avoir beaucoup saigné et avoir dû faire un bandage en attendant d’être pris en charge par les secouristes sur le parcours.
« Le personnel médical a été génial, mais il m’a encouragé à arrêter et à faire des points de suture. Je les ai convaincus de faire un bandage ferme et de reprendre ma course pour tenter de rattraper Xavier et les autres devant. » Malheureusement pour Tollefson, au moment où le jour se levait, l’adrénaline s’en allait, laissant s’imposer la douleur à la cuisse.
À l’image des deux autres Américains, Tim a puisé au maximum dans ses ressources. Il a recouvré de la motivation au ravito de La Fouly en voyant ses proches venus le soutenir. Envahi par l’émotion, en champion orgueilleux, il a changé d’avis et il est reparti dans la montagne, avant d’accepter son sort 13 heures après s’être blessé.
Ce texte a été rendu possible grâce à la collaboration de l’Ultra-Trail Harricana du Canada.