Réputée pour ses montagnes abruptes, ses sentiers techniques, et son GR20 mythique, la Corse est une destination incontournable du trail en Europe, à l’image du Restonica Trail by UTMB, devenu l’événement phare de l’île méditerranéenne dont la 16e édition se déroule du 4 au 6 juillet 2024. Distances+ s’est notamment entretenu avec deux légendes locales, le détenteur masculin* du record du GR20, Lambert Santelli, et Guillaume Peretti, qui avait amélioré, il y a 10 ans, le temps de Kilian Jornet sur la traversée de ce sentier aussi exceptionnel que fascinant. Tous deux expriment la passion qu’ils ont pour leur Corse, mais aussi leur culture du trail marquée entre autres par le Restonica Trail, qui a rejoint l’UTMB World Series dès la création du circuit en 2021.
Le Restonica Trail by UTMB propose quatre formats de course : Un Giru di Tumbone (17 km et 650 m D+), le Tavignanu Trail (33 km et 2250 m D+), le Restonica Trail (69 km 3900 m D+) et l’Ultra Trail di Corsica (110 km 6850 m D+) au départ à l’arrivée de Corte au coeur des montagnes de Haute-Corse. La technicité des sentiers et la chaleur, souvent présente en ce mois de juillet, sont les particularités qui ont façonné l’histoire de l’événement créé en 2008 et dont l’ADN est avant tout montagnard. À l’initiative d’une association composée de sportifs de Corte, le Restonica Trail est né sur les cendres du Raid Inter-Lacs, une course sur deux jours considérée à l’époque comme la référence du trail en Corse dans la vallée de la Restonica. Le tracé était libre entre les points de contrôle.
Le Restonica Trail est l’événement de Corse le plus populaire de par le nombre de participants, son rayonnement, qui est aujourd’hui international, et la diversité des formats proposés. Historiquement, c’est aussi le premier sur l’île à avoir proposé des distances longues. « Avant les trails corses faisaient autour de 20 km. Quand nous avons proposé un 33 km puis un 69 km, ça a été quelque chose » souligne René Cannac, membre de l’association depuis ses débuts, en insistant pour saluer les autres courses de l’île, qui sont aussi « à découvrir », comme le Trail Napoléon à Ajaccio, A serra di u Capicorsu au Cap Corse ou la Via Romana, en Castagniccia, pour ne citer qu’eux.
La réputation du Restonica Trail s’est ensuite construite grâce à son format phare, le 68 km, qui n’est pas « comparable à un autre 70 km », assure l’ancien détenteur du record du GR20 Guillaume Peretti, qui connaît bien l’événement pour avoir gagné plusieurs formats – le 33 km en 2013 et l’Ultra Trail di Corsica en 2015, il a également terminé 2e du Restonica Trail en 2009 et 2011. Il estime que ça se rapproche plutôt d’un 90 km au regard des temps de course du peloton de coureurs.
« Il n’y a pas que le GR20 en Corse. », répète souvent Lambert Santelli, profondément attaché à son île et heureux de voir son événement de coeur être devenu aussi attractif pour les traileurs de Corse et d’ailleurs. L’actuel détenteur du record du GR20 a gagné le Tavignanu Trail en 2013, le Restonica Trail en 2014 et 2015 et l’Ultra Trail di Corsica en 2017, 2019 et 2023. L’an dernier, il avait battu son propre record de plus de 20 minutes.
Le Restonica Trail emprunte en partie le GR20, mais préfère capitaliser sur ses autres forces : une vallée, réputée pour être l’une des plus belles de l’île, avec en son fond une rivière aux eaux cristallines qui prend sa source près du Monte Rotondo (2622 m), le second plus haut sommet de Corse, et non loin du plus haut, le Monte Cinto (2706 m), dont une partie du massif est également au programme de l’Ultra Trail di Corsica. Les parcours se déploient au sein de montagnes aux sentiers escarpés et aux pentes abruptes, et sont parsemés de lacs d’altitude et de plateaux herbeux, témoins du pastoralisme corse.
Trois formats de course sur quatre ont la particularité de débuter par une montée impressionnante depuis Corte, un « mur » de 1400 m D+ sur 6 km qui donne le ton sur ce qui attend les coureurs pour le reste de leur journée. S’ensuivent, selon les distances, plusieurs difficultés et lieux phares comme la montée de Bocca alle Porte (point culminant du GR20) commune aux deux plus longs formats, «le moment clé où on laisse beaucoup d’énergie », selon Guillaume Peretti, mais qui offre une vue dont on se souvient. « On surplombe les lacs de Capitellu et de Melu, ça reste mémorable » s’enthousiasme-t-il. Les parcours variés alternent des montées et descentes techniques, typiques des montagnes de l’île, avec ici ou là quelques courtes parties plus roulantes.
L’association organisatrice du Restonica Trail est ancrée depuis plus de 15 ans dans le paysage sportif corse et organise également un trail blanc et un trail urbain, tous deux associés à des actions caritatives. Elle s’investit également dans la préservation de l’environnement et du patrimoine par l’ouverture de sentiers, ou la construction de fontaines le long du Tavignanu, un fleuve qui prend lui aussi sa source non loin des parcours en altitude et qui se jette dans la Méditerranée.
Le Restonica Trail a pris une nouvelle dimension en intégrant l’UTMB World Series
En 2021, le Restonica a intégré le circuit international fondé par les groupes UTMB et IronMan. Cette annonce, perçue comme un moyen de rayonner à l’international, avait été bien accueillie par la communauté trail corse. « Il nous manquait notre Diagonale des fous à nous en Corse, et je pense que cette course va le devenir », commente Guillaume Peretti. L’événement s’est professionnalisé, mais en gardant son statut associatif via ses 20 membres permanents parmi lesquels Rémi Cannac, membre actif depuis 2009. « Personne ne nous a quittés, constate-t-il. Nous avons eu des coureurs en plus, mais personne en moins. ». Il assure que l’association a gardé toute latitude dans le projet, sans changer son mode d’organisation, notamment grâce à des critères de qualité qui étaient déjà en vigueur avant de passer sous la coupe de l’UTMB World Series (UWS). « Nous avions déjà quatre formats de courses et nous travaillions déjà avec LiveTrail » explique-t-il. C’était une base « solide » pour attirer le circuit, mais c’est surtout la « typicité » des parcours que recherchait l’UTMB pour le lancement de son circuit. Le Restonica Trail a ainsi fait partie des 19 premières « courses » au calendrier de l’UWS en 2022.
Les organisateurs estiment que leur événement était le « petit poucet » du circuit, parce qu’il était à « taille humaine » à côté d’autres événements créés de toutes pièces comme le Nice – Côte d’Azur by UTMB et ses 4000 coureurs. Ceci dit, le nombre de nationalités représentées sur les courses du Restonica Trail a doublé, avec des coureurs venant maintenant d’Asie, d’Océanie ou encore d’Amérique du Sud. Les participants corses étaient près de 800 en 2023 sur les 2500 inscrits. Les pays européens les plus représentés sur les sentiers sont la Belgique et l’Italie.
Si la politique et le système de points de l’UTMB sont « parfois critiqués », cette course permet aussi aux traileurs corses désireux de participer à l’UTMB d’obtenir les « running stones » nécessaires pour se rendre à Chamonix sans avoir à se déplacer sur « le continent ».
Ceci étant dit, le Restonica Trail n’a pas attendu l’UTMB World Series pour être une course convoitée. De grands noms figurent au palmarès depuis les premières éditions, à l’image de Dawa Sherpa, Guillaume Lenormand, Ludovic Pommeret, Vincent Delebarre, Michel Lanne, Grégoire Curmer, Arnaud Bonin ou encore Guillaume Beauxis qui étaient déjà tous venus se frotter aux sentiers du Restonica avant son intégration au circuit UWS. Le costaud 68 km s’était déjà taillé une sacrée réputation de course technique et exigeante réservée aux montagnards adeptes des cailloux.
Le niveau se densifie chez les femmes comme chez les hommes
Depuis 2022, le Restonica Trail attire davantage de coureurs internationaux et les lignes de départ se sont densifiées.
La double championne du monde, championne de France en titre et vice-championne d’Europe de trail Blandine L’hirondel participe cette année au Tavignanu Trail (33 km, 2250 D+) aux cotés, entre autres, de l’Espagnole Sara Alonso, vainqueure du Marathon du Mont-Blanc 2022.
Sur le Restonica Trail, l’Espagnole Angels LLobera et la Française Axelle Henry, qui a remporté la Mascareignes au Grand Raid de la Réunion 2023 (70 km 4000 m D+), figurent parmi les favorites.
Si sa blessure au pied le lui permet, Jennifer Lemoine, 5e des championnats de France de trail, s’attaquera quant à elle à l’Ultra Trail di Corsica, après deux victoires retentissantes l’an dernier sur le 90 km du Mont-Blanc et l’Endurance Trail des Templiers (106 km 4580 m D+). Elle fera face notamment à l’Autrichienne Esther Fellhofer et à l’Italienne Valentina Michielli. La locale de l’étape, Julie Marini, peut également prétendre au titre sur ce format ultra. Elle a déjà remporté le Restonica Trail deux fois (2021, 2022) et le Tavignanu Trail en 2019. Elle avait par ailleurs gagné l’Endurance Trail des Templiers en 2022.
Chez les hommes, Lambert Santelli tentera d’améliorer son chrono de 2015 (8 h 14) sur le 68 km après une pubalgie qui l’a handicapé pendant plusieurs mois. L’Espagnol David Prades Monfort et le Français et team manager de l’équipe internationale de Salomon Vincent Viet seront également de la partie.
Sur le 110 km, Louison Coiffet – vainqueur en juin du 58 km de l’Ultra-Trail des Écrins -, Gautier Airiau – vainqueur du maratrail de la Skyrace des Matheysins – et la pépite locale Noël Giordano – déjà vainqueurs de deux maratrails en Corse cette saison, le Trail Gravona et le Trail a Petralbinca – seront les trois plus grosses cotes au départ.
L’attractivité de l’événement du circuit UTMB World Series ne se limite pas aux deux formats les plus longs, à l’image du Tavignanu Trail (33 km 2200 m D+). L’édition 2023 avait déjà bénéficié d’un plateau de coureur « stratosphérique »sur cette distance avec notamment Thibaut Baronian, qui avait battu le record de l’épreuve, jusqu’ici détenu par Guillaume Peretti, en 3 h 11 min, avec à ses côtés Loïc Robert, Noël Giordano, Antoine Thiriat et Arnaud Bonin pour ne citer qu’eux. « C’est juste incroyable pour les insulaires, les sportifs corses et pour la visibilité que cela va nous donner », s’enthousiasme Lambert Santelli.
Cette année, c’est le Suisse Rémi Bonnet, 2e du Marathon du Mont-Blanc il y a quelques jours, qui a annoncé sa venue sur le 33 km. Le détenteur de la plus grosse performance de l’histoire du trail – coté 970 ITRA sur la course suisse Neirivue-Moléson et son parcours de 10,6 kilomètres pour 1 290 m D+ en 2023 – pourrait améliorer le temps de Thibault Baronian et ancrer un peu plus l’événement dans l’histoire. « Je le vois sous les 3 h. Ce serait tellement fou, mais il est capable de le faire », s’enflamme Guillaume Peretti. Sebastien Poesy, Johann Baujard ou encore Alexandre Meyleu et Alexandre Violle seront également au départ.
Il n’y a pas que le GR20 en Corse, mais…
En 2013, Guillaume Peretti s’était imposé sur la première édition de l’Ultra Trail di Corsica (110 km 7200 m D+), qui était aussi le premier ultra-trail de l’histoire en Corse, en 15 h 43 min. « Ça avait été une révélation, la plus belle victoire de ma carrière, dit-il. Et ça avait été le feu vert pour m’attaquer ensuite au GR20. » L’année suivante, il s’était en effet lancé dans le sentier avec l’objectif d’améliorer le temps de référence de Kilian Jornet (32 h 54). Entouré de ses proches et de plusieurs lièvres, il avait retranché 54 minutes au chrono de la légende catalane, pour un temps total de 32 h tout pile à l’époque, redonnant aux Corses le record de leur sentier.
Lambert Santelli a un parcours similaire. Double vainqueur de l’Ultra Trail di Corsica en 2017 et 2019, sa carrière d’athlète l’a également mené sur le GR20 dont il se disait qu’il connaissait le moindre caillou. Lui aussi a réussi son pari, après 30 h 25 min d’effort en 2021, détrônant une autre star de l’ultra-trail, François D’haene, qui avait lui-même amélioré le temps de Guillaume Peretti en 2016 (31 h 06). À l’époque, porté par son équipe et ses proches, dont son ami Guillaume Peretti, Lambert avait un moment couru sur les bases d’un record sous la barrière des 30 heures. C’était un « moment fort », se souvient-il, au delà de toutes les victoires qu’il a pu vivre dans sa carrière.
Le champion corse, aujourd’hui de retour de blessure, estime que le Restonica Trail est un moteur pour le trail en Corse. « C’est la course qui nous a donné le goût de nous entraîner et qui a motivé beaucoup de gens à franchir des caps en terme de distances. Avant la création de l’Ultra Trail di Corsica, la 69 (comme ils l’appellent sur l’île) était un petit peu le graal chez nous. »
La Corse bénéficie d’une forte culture de la montagne et des sports d’endurance de part son environnement propice à la pratique du plein air. « En vélo, il y a des cols partout, explique Guillaume Peretti. « À pied, le réseau de sentiers est incroyable, et il n’y a pas que le GR20, ajoute Lambert Santelli, Le GR est même surfréquenté depuis quelques années. Il faut faire connaître d’autres chemins qui sont tout aussi beaux. »
Le GR20, réputé comme étant l’un des sentiers les plus difficiles d’Europe pour les randonneurs, continue d’attirer et susciter les envies de dépassement de soi. François D’haene a récemment confié sur ses réseaux sociaux qu’il pourrait revenir pour une nouvelle tentative de record en 2026. « Les records sont faits pour être battus », rétorque Lambert Santelli.
Aurélien Dunand-Pallaz lui aurait également confié son souhait de tenter l’aventure un jour. Le coureur savoyard, vainqueur de la Hardrock 100 et du Grand Raid de la Réunion 2023, est d’ailleurs venu à plusieurs reprises parcourir le GR20 en quelques jours ces dernières années.
Interrogé sur son envie de retourner sur le GR20 si son record tombait, Lambert Santelli est perplexe. « J’ai vécu quelque chose de tellement fort, j’ai peur de le refaire et que ça n’ait pas la même saveur ». Sportivement, l’objectif de passer sous les 30 heures semble être dans un coin de sa tête, mais sans plus. « À étudier », botte-t-il en touche.
Selon lui, d’autres coureurs de l’île pourront un jour ambitionner le record, comme Noël Giordano. Âgé de 25 ans, le coureur originaire d’un petit village de Haute-Corse, vainqueur du Restonica Trail en 2021, brille sur des courses corses, nationales et internationales, parmi lesquelles le 60 km de l’Ultra-Trail de l’île de Madère (MIUT) et la Mascareignes à La Réunion en 2022. « J’aimerais revivre ça avec lui, comme lui l’a vécu avec moi à l’époque. J’avais accompagné Guillaume sur son record, Noël et Guillaume m’avaient accompagné sur le mien, et j’aimerais accompagner Noël pour la transmission. » confie Lambert. Le trail en corse est avant tout une aventure collective.
*Le record féminin du GR20 est détenu depuis 2022 par la Française Anne-Lise Rousset, en 35 h 50
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