DISTANCES+ À LA TRANSGRANCANARIA – Une verticalité désertique comme tout horizon et un climat qui passe en quelques heures d’une tempête glaciale à un soleil écrasant ont fait de l’édition 2024 de la Transgrancanaria, qui s’est déroulée du 22 au 25 février sur l’île de Gran Canaria au large des côtes nord-ouest de l’Afrique, le défi ultra de ce début de saison (128 km, 6800 m D+). Distances+ s’est plongé au cœur d’un événement incontournable dans le monde du trail, qui s’est refait une beauté cette année pour attirer un plateau de premier ordre.
Avec cette nouvelle arche en écran led, la ligne d’arrivée n’avait jamais été aussi clinquante. Elle se fond sans mal à l’environnement de Maspalomas, la grande ville balnéaire de l’île très prisée des touristes allemands pour ses hôtels géants où toutes les consommations sont incluses. L’investissement du nouveau sponsor titre de la Transgrancanaria n’est certainement pas pour rien dans ce remodelage étincelant. La marque américaine de sports plein air The North Face a en effet décidé de s’associer, comme par le passé (avec l’Ultra-Trail du Mont-Blanc notamment) à une grande épreuve européenne de trail.
Les nombreux observateurs présents sous le beau soleil de l’archipel des Canaries étaient aussi là pour vivre les premiers pas de la Transgrancanaria dans le tout nouveau circuit World Trail Majors, qui se positionne comme une alternative à l’ogre UTMB World Series. Annoncé un peu à la hâte fin 2023, le WTM réunit 10 courses de renom sur tous les continents, à l’exception de l’Océanie, parmi lesquelles le Mt. Fuji au Japon, le MIUT à Madère, le Swiss Canyon Trail en Suisse, le Québec Méga Trail au Canada ou encore le Grand Raid des Pyrénées en France. Deux événements ont déjà eu lieu en ce début 2024, le Hong Kong 100 en Chine et le Black Canyon Ultras en Arizona.
Il n’y a pas que le nom et le décorum de la célèbre traversée de l’île de Gran Canaria qui ont subi une mue : la liste de départ annoncée par les organisateurs ainsi que le nombre de médias présents sur place avaient de quoi donner le tournis. Et si le vainqueur de l’UTMB 2024, l’Américain Jim Walmsley, n’était finalement pas de la partie pour rivaliser de nouveau avec son compatriote Zach Miller, les coureurs de premier rang, dont la reine de la discipline, Courtney Dauwalter, ont offert un grand coup de projecteur sur la 25e édition d’une épreuve qui ne manquait déjà pas de notoriété.
Environ 2200 coureurs étrangers sont arrivés en avion depuis l’Europe entière à Gran Canaria pour affronter ses montagnes d’ocre et de poussière, arides et sculpturales, destination de trail tout indiquée pour sortir de la morosité du pluvieux hiver du nord de l’Europe. « Ce soleil brûlant, cela fait autant de bien que c’est déstabilisant, commente Julien, un coureur français croisé sur l’épreuve de 46 km, arrivé la veille de sa course. Hier, je me rendais à l’aéroport sous la pluie, en doudoune, et aujourd’hui, je me passe des glaçons dans la nuque pour ne pas surchauffer. »
Le jeudi, le kilomètre vertical (victoire de l’Italien Henri Aymonod et de l’Américaine Katie Schide) et le « Starter » (victoire de l’Espagnol Antonio Martinez Perez et de la Polonaise Katarzyna Solinska), l’épreuve de 21 km, ont ouvert le bal. Il faisait particulièrement chaud pour la saison, tout comme le lendemain à l’occasion de ce Marathon, première épreuve « longue » : 26 degrés sans vent et sans ombre avec un ressenti bien supérieur encore dans les canyons arides de ce parcours allant de Tejeda au centre de l’île jusqu’à Maspalomas sur la côte sud. L’expérience sur les sentiers est largement impactée par ces conditions météo auxquelles la grande majorité des organismes ne sont pas habitués si tôt dans l’année, coureurs locaux mis à part évidemment. Mais les postures excentriques que semblent prendre les reliefs sous les yeux de ces drôles de spectateurs méritent les longues heures à rougir au soleil. Il n’y a qu’à jeter un œil au célèbre Roque Nublo, immense dent rocailleuse dressée, seule, sur un plateau minéral, pour avoir un aperçu. « Je ne m’attendais pas à des paysages aussi spectaculaires. La réputation de tourisme de masse de l’île évince un peu la beauté de ses sentiers, c’est dommage », lâche, entre deux halètements, Anna, autre coureuse du Marathon, remporté en 3 h 31 par le Kényan Paul Kpemboi et en 4 h 18 par l’Américaine Jennifer Lichter.
Kit grand froid obligatoire
Entre forêts de conifères et pics arides malmenés par les éléments, la Transgrancanaria traverse les trésors de l’île. Les plus chanceux, ce sont les coureurs de la « Classic », l’ultra-trail de 128km qui s’élance au nord pour rejoindre le sud de l’île de Gran Canaria. Ils se sont élancés en pleine nuit, à minuit, alors que les conditions venaient de changer radicalement. D’une écrasante canicule quelques heures avant le départ, ils ont vu le ciel sombrer dans la tempête en un rien de temps. À tel point que l’organisation avait exigé que les participants ajoutent le kit grand froid à la liste du matériel obligatoire. Pluie lourde, brouillard, vent glacial et soutenu : après avoir vécu le Marathon en plein été, on avait l’impression de se retrouver en plein hiver en d’autres lieux. « La nuit a été terrible, raconte Howard, un journaliste britannique qui a bouclé le 128 km. On était frigorifiés malgré les habits imperméables. Et le nord de l’île, qui a pris les intempéries plus longtemps que le sud, était extrêmement boueux, au point de nous obliger à descendre sur les fesses par endroit. C’était le début de la course. Cela a fait beaucoup de dégâts dans le peloton. » Puis le soleil a refait surface de sa chaleur écrasante pour la fin du spectacle.
Aux avant-postes de cette épreuve phare du week-end, la plus grande coureuse de trail de tous les temps a tenu son rang, aisément, « rigolant et ramassant les morts » d’une confrontation masculine partie trop vite », raconte l’ultra-traileur vétéran Cédric Chavet, vainqueur de l’Ultra-Trail Harricana 2023 en trio avec Antoine Guillon et le Québécois Jean-Philippe Thibodeau. « Avec du recul, je m’aperçois tout de même que quand la densité de la course est élevée, les départs sont trop rapides et tout le monde explosent. Pourtant, on continue de s’obstiner à le faire. Il n’y a qu’à regarder mes compagnons du top 20 du début de course, ils ont tous explosé à un moment donné. Cette fichue testostérone… » Cédric a abandonné après 42 km de course.
Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de dégâts dans la course masculine, à l’instar de son favori, 2e de l’UTMB 2023, Zach Miller. Longtemps animateur d’une tête de course partie très vite, spectaculaire jusqu’à ses ravitaillements express où il jette son sac pour en récupérer un autre au vol, l’Américain a largement subi la seconde partie de ce tracé exigeant pour terminer finalement 7e. Était-ce le rythme ou les conditions difficiles ? Quoi qu’il en soit, les hommes n’ont pas su gérer leur course aussi brillamment que la reine Dauwalter qui, face aux sentiers glissants du début de course et au soleil à nouveau brûlant de la fin, a adopté un rythme plus conservateur que lors de sa victoire l’année dernière (15 h 15 en 2024 contre 14 h 40 en 2023). Elle dit avoir souffert, mais elle a une nouvelle fois donné une leçon de gestion. 28e au premier pointage, elle a passé la ligne d’arrivée sous les acclamations de la foule en 13e position. L’Espagnole Claudia Tremps (16 h 27) et la Britannique Emma Stuart (16 h 50) ont complété le podium.
En l’absence de Pau Capell, roi de la Transgrancanaria, quadruple vainqueur de l’épreuve, mais surtout nouveau papa, c’est le surprenant Roumain Raul Butaci qui s’est imposé sur la Classic en 13 h 22. Le vétéran espagnol Miguel Heras — qui avait remporté la Transgrancanaria il y a 14 ans (2010) — et un autre Roumain, Ionel Cristian Manole, ont terminé respectivement 2e et 3e.
Pour la petite histoire, les grands artificiers de l’équipe The North Face ont tous sauté. C’est là aussi la magie des grandes courses, des départs fougueux stratégiques et de la gestion des aléas du climat. « Dans l’audace, il y a l’enchantement », disait le montagnard Gaston Rebuffat. Dans le peloton de tête de cette capricieuse 25e édition de la Transgrancanaria, il y a bien eu matière à s’enchanter.
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