François D’Haene, le grand favori de la Diagonale des fous 2018, – Photo : Philipp Reiter pour Salomon Running
DISTANCES+ À LA RÉUNION – C’est l’un des ultras les plus anciens, et l’un des plus lointains. Véritablement lancé en 1993, le Grand Raid est aussi l’une des courses les plus intenses du circuit trail, avec chaque année plus de 40 % d’abandons. Sur la distance reine, la Diagonale des fous (164,5 km, 9576 m de D+), les favoris sont la Suédoise Mimmi Kotka chez les filles et le Français François D’Haene chez les garçons.
Cinq Québécois seront également de l’aventure (lire plus bas)
Il faut imaginer une île qui vibre comme un coeur d’enfant. Il faut imaginer une ferveur presque religieuse comme nulle part ailleurs, sur ce gros caillou en plein océan Indien qui rassemble près de 850 000 habitants éparpillés au gré d’un relief façonné de cirques (des enceintes naturelles aux parois vertigineuses creusées par l’érosion), forêts, villes et volcan, plages et villages perchés… L’île de La Réunion qui, une fois par an, retient son souffle et déchaîne une passion délirante pour une course hors normes qui consacre des « fous ».
Pour sa 26e édition, le Grand Raid de l’île de La Réunion – c’est le nom de l’événement – attire sur cette île volcanique située à 700 km au sud-est de la grande île de Madagascar, près de 6000 ultramarathoniens issus de 35 pays.
Outre la mythique Diagonale des fous, trois autres courses sont au programme : un 111 km (Trail de Bourbon), un 68 km (Mascareignes) et une course en relais de 180 km (Zembrocal). Des épreuves extrêmes qui supportent une amplitude thermique de plus de 35°C – on voisine le point de congélation sur les sommets qui dépassent 2500 m en fin de nuit – , des montées comme des murs, des racines, des pierres, et des sentiers comme des escaliers.
François D’Haene, le grand favori
Depuis 25 ans, seuls 60 % des engagés coupent le fil d’arrivée de la Diagonale au stade de La Redoute à Saint-Denis, la ville principale. Cette année, parmi les 2795 inscrits, trois anciens vainqueurs seront au départ, les Français François D’Haene, Antoine Guillon et Benoît Girondel.
François D’Haene, 32 ans et haut de 6 pieds 4, a déjà remporté la Diagonale trois fois (2013, 2014 et 2016), comme l’UTMB (2012, 2014 et 2017). Le double vainqueur de l’Ultra Trail World Tour (2015 et 2017) revient à La Réunion pour « profiter de cette course unique ».
En dépit d’un palmarès qui le place tout en haut de la planète trail, impossible de lui faire dire qu’il est le favori. « C’est ce qu’on me répète, mais je vois les choses autrement, a-t-il dit à Distances+. Ici, personne ne sait comment il va être mangé. C’est le charme des ultras, de celui-là en particulier : une météo incertaine, une grande technicité, un dénivelé très cassant. La Diagonale est un des ultras les plus durs pour toutes ces raisons. On verra…»
François D’Haene sera concurrencé par un grand habitué de l’événement, Antoine Guillon, qui va s’élancer pour sa 12e Diagonale, dont une victoire en 2015, et Benoît Girondel, vainqueur surprise de l’édition 2017.
Autres Français dans l’élite, les frères Camus, Sébastien et Sylvain, qui rêvent d’une arrivée « main dans la main », Maxime Cazajous, plus spécialiste de distances de moins de 100 km, mais aussi plusieurs Réunionnais candidats au top 10. L’Espagnol Tofol Castanyer est aussi du voyage dans l’inconnu du Grand Raid, tout comme l’Italien Francesco Cucco, vainqueur très impressionnant de la Maxi-Race à Annecy cette année. Il a vécu à La Réunion et connaît les sentiers par coeur.
Mimmi Kotka : « J’ai les jambes, pas l’expérience »
Chez les athlètes féminines, la Suédoise Mimmi Kotka, diminuée par une mononucléose, des bobos à un genou et à une main à l’UTMB, qu’elle avait abandonné très vite, fait figure de favorite logique.
Toutefois, celle qui brille sur le circuit depuis deux ans tempère : « J’ai les jambes, mais je n’ai aucune expérience sur une telle distance. Je vais devoir courir cinquante kilomètres et sans doute 10 heures de plus que ce que j’ai accompli jusqu’à maintenant. J’ai reconnu des portions du parcours. C’est très très technique, avec beaucoup de roches, des parties très pentues. Je sais aussi que la journée sera très chaude vendredi. Je vais devoir bien m’alimenter et boire parce que c’est une très longue course. Je suis nutritionniste donc j’ai bien préparé cet aspect de la course, mais elle va me réserver beaucoup de surprises, c’est certain. Je ne saurais qu’après si j’ai fait des erreurs. God bless… »
Quatre Françaises sont aussi candidates à la victoire et aux places sur le podium. D’abord, l’incroyable Nathalie Mauclair (deux victoires sur la Diagonale, en 2013 et 2014). À 48 ans, elle vient pour « profiter encore de cette formidable course ». « J’ai connu des blessures cette année, a-t-elle souligné. Je ne sais pas forcément de quoi je suis capable, mais la tête va bien. »
Juliette Blanchet, chercheuse en mathématiques, deux fois deuxième de la Diag’ (2014 et 2016) et Émilie Lecomte, deux victoires (2010 et 2012), deuxième l’an passé, seront toutes les deux en embuscade.
La surprise pourrait venir d’une jeune réunionnaise de 26 ans, Camille Bruyas, qui a remporté les deux autres courses au programme du Grand Raid (Mascareignes en 2016 et Trail de Bourbon en 2017).
Cinq représentants du Québec au départ du Grand Raid
Jean Dessureault, Alejandro Ramirez Sandoval, Pierre-Jules Arnaud, Tony Fichora et Cédric Chavanne affrontent cette fin de semaine la Diagonale des fous.
Jean Dessureault, dossard 700
Jean, 64 ans, est médecin-urologue à l’Hôpital du Haut-Richelieu, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Marathonien depuis 1989, plusieurs fois qualifiés pour Boston (meilleur temps en 3 h 10), triathlète, il a débuté le trail en 2013.
« J’ai tellement aimé que j’ai laissé les courses sur route au profit des courses en sentier, a-t-il raconté à Distances+. Tranquillement, j’ai progressé vers les longues distances de 54 km jusqu’à 125. Et maintenant, je suis prêt à relever le défi du 164 km. »
Il a toujours été au bout de ses courses, et toujours terminé « dans les premiers 40 % de finishers overall ».
Pourquoi la Diagonale? « Pour trois raisons : pour l’île de la Réunion et ses paysages à couper le souffle, pour compléter un160 km et pour me prouver qu’à plus de 60 ans on peut encore décrocher les points de qualification pour m’inscrire à l’UTMB. Je veux terminer cette aventure avec plein de belles images dans ma tête et surtout prendre le temps d’apprécier ce pour quoi je suis venu : la beauté de la nature. »
Alejandro Ramirez Sandoval, dossard 612
Alejandro, 43 ans, travaille pour une firme d’architectes à Montréal. Il a débuté la course à pied il y a 8 ans en s’inscrivant au club de triathlon de Saint-Lambert. Il est désormais au club Orange. C’est Jean Dessureault qui lui a fait découvrir la Diagonale.
« La course à pied, c’est ma force, affirme-t-il. J’ai commencé le trail comme entraînement pour la course à pied pour les triathlons et, franchement, c’est plus amusant de courir en nature que sur l’asphalte. Je me considère encore débutant dans le trail », dit celui qui a déjà décroché une troisième place au 42 km à Bear Mountain, dans l’État de New York.
« Je participe à des courses depuis trois ans seulement, le 65 km de l’Harricana, la CCC à Chamonix (111 km) et le 160 km de Bromont Ultra. »
Le principal objectif d’Alejandro sur la Diagonale est « de s’amuser et de découvrir le coeur de l’île, les gens, la culture, la végétation. Je veux m’approcher de mes limites, continuer à me découvrir et franchir la ligne d’arrivée avec un gros sourire, peu importe le temps du parcours. Une fois passée la ligne d’arrivée, j’aurai les 15 points pour postuler à UTMB 2019. »
Pierre-Jules Arnaud, dossard 1544
Pierre-Jules, 31 ans, ingénieur à Montréal, a grandi à La Réunion. Il est installé au Québec depuis 8 ans. Il est coureur en sentier et triathlète.
« J’ai commencé la préparation pour le Grand Raid il y a deux ans. Je n’avais pas vraiment de passif de coureur avant ça », explique-t-il. Il a couru le 30 km de la Clinique du coureur à Lac-Beauport, puis le 65 km Harricana et le 80 km du Bromont Ultra.
« Après l’inscription, je n’ai pas été tiré au sort, mais grâce aux désistements, j’ai pu être repêché, raconte-t-il. J’ai donc préparé la course depuis juillet avec montée tranquille des distances, un 35 km en août et le 80 km de la Chute du diable début septembre. »
Le père de Pierre-Jules vit toujours à La Réunion. « Il va prendre le départ avec moi. Ce sera un 19e départ sur la course pour lui! Il va essayer de le compléter pour la 10e fois. L’objectif est qu’on le court ensemble, on a un tableau de marche prévu pour 40 h, mais c’est optimiste. »
Tony Fichora, dossard 1492
Tony, 30 ans, est lui aussi ingénieur et originaire de l’île de La Réunion.
« C’est durant une randonnée à La Réunion, il y a trois ans, que l’idée de courir la Diagonale m’est venue. Il a profité du plein essor du trail au Québec et a notamment couru le 100 km du Québec Méga Trail cet été. « Un beau défi dans mon programme d’entraînement », estime-t-il.
« Sur la Diagonale, mon objectif est de franchir la ligne d’arrivée tout en savourant la course, précise-t-il. J’ai la chance d’avoir ma famille qui sera là un peu partout sur le parcours et j’aimerais leur faire partager ces moments aussi. Ma copine Katherine, originaire du Québec, sera là également pour m’assister. On est tous les deux passionnés de trail, nos entraînements et nos destinations de courses sont choisis ensemble et ça fait de beaux objectifs et de beaux voyages. »
Cédric Chavanne, dossard 2740
Cédric, 41 ans, est enseignant-chercheur en océanographie à l’Université de Rimouski. Originaire de France, il a vécu à Hawaï et en Angleterre avant de s’installer « durablement » au Québec en 2011.
Ce papa de trois enfants est « venu à La Diagonale parce c’est une course mythique, peut être la plus mythique au monde, dit-il. J’ai couru l’UTMB en 2016, c’était mon premier 100 miles. Je cours également beaucoup au Québec. Quand je suis arrivé à Rimouski, j’ai opté pour le sport le plus simple qui me permette de me défouler. J’ai d’abord voulu courir un marathon, puis j’ai lu « Born to Run ». Après mon premier trail, j’ai juré de ne plus jamais en refaire. Depuis, je n’ai plus arrêté. »
La Diagonale des fous s’élance ce jeudi à 22 h (14 h au Québec), le Trail de Bourbon, vendredi à 13 h, et la Mascareignes vendredi à 19 h. L’île de la Réunion, dont les pitons, les cirques et les remparts ont été inscrits en 2010 au patrimoine mondial de l’UNESCO, va entrer en éruption pour plusieurs jours. La Réunion à l’unisson du Grand Raid. Raide dingue.