La Diagonale des fous : un tracé empreint de folie

Grand Raid de La Réunion

Après l'ascension du Taïbit depuis Cilaos, l'entrée dans le cirque de Mafate vers Marla - Photo : Nicolas Fréret
Après l’ascension du Taïbit depuis Cilaos, l’entrée dans le cirque de Mafate vers Marla – Photo : Nicolas Fréret

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La collaboratrice de Distances+ Isabelle Bernier, qui faisait partie de l’équipe des Guerriers du Grand Raid, a survécu – selon le terme consacré – à la Diagonale des fous 2019, sur l’île de La Réunion. Nous vous proposons, à travers son expérience de course, de revivre pas à pas cette épreuve intense de 166 km et près de 9600 m de dénivelé.

Sur le coup de 22 h, le départ est donné à Saint-Pierre, au sud-ouest de l’île. L’air ambiant est chaud, la foule euphorique. Un groupe de musiciens répand un écho festif et le son résonne comme la foule qui entoure les lieux. Sur le départ de cette course, près de 2700 coureurs s’élancent, prêts à franchir 166 km et 9576 m de dénivelé positif de terre, de montagne, de pierres, de routes et plus encore. Chaque année, c’est un rendez-vous pour ceux et celles qui se sentent, peut-être, un peu plus fous que la moyenne. Mythique, le Grand Raid de La Réunion perdure et accueille des gens de tous les horizons. Cette année, une trentaine de Québécois ont été du lot, constituant une partie de l’équipe des Guerriers du Grand Raid.

Une énorme arche marque le point de départ. Plusieurs kilomètres peuvent être nécessaires pour réussir à prendre un rythme satisfaisant. De toutes parts, les gens encouragent, prononcent le prénom des participants (affichés sur chacun des dossards) et leur souhaitent « bon courage », une expression que l’on entend tout au long du trajet de la bouche de centaines de bénévoles, supporters et proches des coureurs.

Domaine Vidot, Notre-Dame-de-la-Paix

Les premiers quinze kilomètres sont empreints de l’excitation, contagieuse, environnante. Bien que les coureurs soient légion, on arrive à trouver sa cadence alors que certains ralentissent. La route prend rapidement des allures de faux-plat ascendant, puis de montée, parfois terreuse, parfois bitumée, en paliers. L’arrivée au premier ravitaillement, au Domaine Vidot, se fait dans la foulée de cet élan.

La course se poursuit ensuite, encore assez rapidement, vers un deuxième ravito, celui de Notre-Dame-de-la-Paix (km 25). L’ombre des paysages qui se dessinent, dans la nuit, est fascinante. Non seulement est-on plongé dans une culture qu’on ne connaît pas ou très peu, mais encore se fait-on surprendre par une végétation qui se transforme avec l’altitude, à l’instar de la température, qui baisse drastiquement. Elle sera proche du point de congélation bientôt.

Les coureurs avancent groupés, à chaque groupe son rythme. Contrairement à ces courses où l’on peut évoluer en solitaire, avec de l’espace entre les uns et les autres et une certaine perspective, ici, il semble plutôt habituel de partager le sentier côte à côte.

Changement d’air

Le troisième ravitaillement, l’aire du Nez de boeuf (km 39), surprend tant il fait froid, compte tenu de l’altitude et qu’on y passe en pleine nuit. Près de 2500 m de dénivelé positif ont déjà été avalés. Peu de gens s’y éternisent pour éviter de perdre la chaleur dégagée en courant. On file donc généralement assez rapidement vers l’étape suivante, Mare-à-Boue, 10 km plus loin, une section renommée pour ses sentiers bouetteux. Et elle porte bien son nom. En ce mois d’octobre, il semble toutefois la météo ait été ultra favorable, seuls les chaussures s’enfoncent dans le sol.

Le défi, dans cette section, est sans contredit celui de grimper, puis de redescendre, quand on ne peut pas enjamber, les rochers qui jonchent le sol.

On débouche sur une route qui mène au quatrième ravitaillement, juste avant d’entreprendre la route pour Cilaos. Il fait jour, les paysages sont ressourçants. Les gens, fidèles au poste, encouragent encore et encore, offrent des accolades et dirigent les coureurs vers leurs stations respectives. ll y a quelque chose d’émouvant à prendre le temps de se laisser emporter par la vague, par l’hospitalité et par les bons plats des Réunionnais.

Cilaos et le cirque de Mafate

Sur le chemin de Cilaos, c’est l’émerveillement. Les montagnes sont immenses, les cols si haut. Les villages, lovés au creux de ceux-ci, semblent fort invitants. On dirait qu’ils ont été construits comme des refuges pour les passants, puis perfectionnés au fil du temps.

L’entrée vers la montée du Taïbit, puis le passage du cirque de Cilaos vers le cirque de Mafate et la descente vers Marla (km 80), la plaine des Merles et enfin Grande-Place-les-Bas sont autant de défis pour les corps et les esprits, mis à rude épreuve, avec ces interminables montées et descentes, plus sauvages et plus rudes que dans le cirque de Cilaos. À ce moment-ci de la course, le courage, le désir de continuer et la détermination sont interpellés. Pour tous et pour toutes. Certains y passeront de nuit alors que d’autres rencontreront ces lieux sous le plein soleil (les premiers coureurs passent 24 h sur le parcours, les derniers 66 h).

Les étapes suivantes constituent des passages très marquants du parcours. L’environnement impressionne, même dans l’obscurité la plus complète. Le sentier qui mène à la commune de Roche-Plate notamment, puis l’ascension de l’infernal Maïdo jusqu’au sommet, longe une falaise impressionnante, surtout en plein jour – la nuit, on se contente d’éviter de trop s’en approcher, car la largeur du sentier est de plus ou moins un mètre. Un pas de trop de côté peut être fatal.

Redescendre du sommet

Au sommet du Maïdo (km 120), après une montée absolument unique, éreintante, de plus de 1100 m de dénivelé, on atteint le point de contrôle et le ravitaillement qui permet de faire des provisions avant d’entamer une descente considérable, d’une dizaine de kilomètre. Celle-ci nous mène à L’Islet Savannah, un espace de villégiature typiquement réunionnais. Il y a fort à parier qu’on ne l’aurait pas découvert si on n’y avait pas mis les pieds en courant. C’est un lieu dépaysant, car il ne colle pas à cette vision touristique qu’on peut avoir de l’île. Et, là encore, les gens sont accueillants. Plusieurs offrent de l’eau et permettent aux coureurs de se rafraîchir, un vrai bonheur en cette saison estivale (c’est le début de l’été dans l’hémisphère sud), lors d’un effort aussi soutenu.

Les dernières étapes

De L’Islet Savannah, on se dirige vers la Possession, puis le Chemin des Anglais, la Grande Chaloupe et le Colorado. Sur le profil de la course, cela semble « facile » au regard de ce que l’on vient d’affronter. Il n’en est rien. Ce sont des tronçons de sentiers et de routes uniques qui font mal au corps.

La Possession est un lieu où les édifices respirent encore le passé alors que le Chemin des Anglais impressionne par la variété et le positionnement aléatoire de ses pierres. En dépit de la fatigue, il faut rester vigilant et regarder où on pose les pieds. Le Colorado, quant à lui, ajoute au dépaysement complet de quelques autres sections : sa terre est blanche, sablonneuse et demande un effort considérable en montée, lorsque les jambes souffrent. Sa descente est vertigineuse et appelle les adeptes de la vitesse, de la technique. On peut la compléter en quarante-cinq minutes ou en plus de deux heures, c’est selon. Qu’on y accède en plein jour ou pendant la nuit, elle est unique.

La Redoute

L’ultime descente débouche sur une avenue, occupée par de nombreux passants et bénévoles qui encouragent pendant des heures et des heures (ils sont tenaces), heureux de voir les visages de ceux et de celles qui entament la dernière portion du trajet. On se retrouve presque instantanément plongés au coeur de Saint-Denis, enveloppés par les cris qui émanent du Stade de la Redoute.

C’est toujours un moment bien particulier. Qu’on l’ait anticipé ou pas, l’ensemble de ce qui s’y passe nous fait sentir comme un héros, une héroïne. Au micro, les arrivées du premier comme du dernier sont annoncées avec enthousiasme. Sur la ligne d’arrivée, les mains sont serrées, les médailles et les souvenirs remis, à grands renforts d’émotions. Envisager de compléter la Diagonale des Fous représente, encore à ce jour, un défi considérable et le fait de le relever, ne serait-ce que pour un certain nombre de kilomètres, demeure impressionnant. Chapeau bas à tous ceux et celles qui se sont élancés sur l’édition 2019! C’en était toute une!

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