Dès son lancement en 2017, la Volvic Volcanic Experience (VVX) s’est positionnée comme un événement à la fois sportif, festif, culturel et ancré dans un territoire à destination d’un très large public et pas uniquement comme un rassemblement de coureurs. À quelques jours de sa quatrième édition, qui doit accueillir environ 10 000 personnes, Distances+ s’est entretenu avec Jean-Michel Chopin, le chef d’orchestre de ce festival au cœur des volcans d’Auvergne. Il répond avec passion et sans filtre sur son événement, notamment sur la question de l’éco-responsabilité d’un festival déjà très populaire promu par une entreprise qui génère plus d’un milliard de bouteilles en plastique.
Il revient aussi entre autres sur l’importance d’avoir des athlètes élites ambassadeurs impliqués, à l’image de Kilian Jornet, François D’haene, Camille Bruyas ou encore Sangé Sherpa et Dawa Sherpa qui ne viennent pas simplement pour courir, gagner et repartir aussitôt.
Distances+ : L’association Volvic Volcanic Experience a été créée en janvier 2017 et la première édition de la VVX a vu le jour en mai de la même année. C’est très court comme délai pour organiser un événement de cette ampleur, le projet devait déjà être en germe depuis de longs mois…
Jean-Michel Chopin, président de la VVX : Pas du tout! Le projet est né en novembre 2016 d’une discussion entre amis. Je venais de prendre deux claques symboliques : la première par la responsable du Parc naturel des volcans d’Auvergne, qui m’a fait ouvrir les yeux sur le fait que je ne connaissais absolument pas le territoire sur lequel je courais tous les jours et que j’étais plus connecté avec ma montre qu’avec la nature. La deuxième claque est venue de ma famille et de mes amis qui m’ont également fait prendre conscience que je ne rapportais qu’un bilan comptable de mes courses du week-end, mais aucun souvenir personnel, aucune anecdote sur les paysages traversés, sur les gens rencontrés. Et puis, ils m’ont avoué aussi qu’ils s’ennuyaient lorsqu’ils m’accompagnaient. C’est vraiment avec ça en tête qu’est né le projet.
L’idée initiale allait plus loin que ce qu’on a fait. On avait imaginé interroger les coureurs à leur arrivée sur l’environnement traversé et, s’ils séchaient, ils prenaient des heures de pénalité. Là, mes copains directeurs de course m’ont vraiment dissuadé et j’ai admis que, oui, effectivement, pendant qu’on est dans l’effort, c’est tout de même compliqué d’être toujours très attentif. Par contre, le lendemain, on a du temps, pour revenir et pour comprendre un peu les paysages traversés. C’est de là qu’est partie l’idée de la deuxième journée : vous revenez sur vos pas pour comprendre l’endroit où vous avez couru. Par exemple, sur le 43 km, vous contournez l’impluvium pendant la course et le lendemain vous revenez avec des guides pour comprendre comment l’eau s’infiltre et comment on protège le lieu pour avoir une eau minérale toujours de très bonne qualité.
Une fois l’idée en germe, comment avez-vous monté votre équipe en si peu de temps?
Tout de suite, j’ai partagé l’idée avec mon ami et complice, Thierry Courtadon (sculpteur de lave très renommé, NDLR) un très bon cycliste, puis on s’est très vite rapproché du maire de l’époque, Mohand Hamoumou. Bernard Echalier est venu complété cette équipe de mousquetaires. En 2017, Bernard était directeur d’une société de recyclage et président de l’Association qui œuvrait à l’inscription de La chaîne des Puys – faille de Limagne au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Sur le coup, mes trois acolytes m’ont pris pour un fou, mais ils ont pris ma roue et on est partis tous les 4 dans cette aventure avec une passion partagée pour le sport et un très fort ancrage dans notre territoire.
Ensuite, il a fallu recruter des bénévoles, nos VIP, les Volonteers Important Persons comme on les surnomme aujourd’hui. Au départ, ce n’était pas gagné. Avec le maire, on était d’accord, il était hors de question de prendre une agence d’événementiels hors-sol pour gérer cette partie. On a eu l’idée de s’inspirer des gardes champêtres d’antan, qui criaient littéralement les nouvelles dans les villages et les hameaux et on a recruté un comédien qui, pendant tout un week-end, est allé diffusé l’information partout, en arrêtant les voitures, en allant chez les commerçants, en déclamant le projet et en appelant les habitants à se mobiliser. Il a même arrêté un match de foot, la honte de ma vie! Mais ça a marché, car finalement 240 personnes sont venues à la première réunion des bénévoles.
Pour atteindre cet objectif ambitieux de lancer un gros événement sportif et culturel, il faut des moyens financiers, humains, logistiques. Vous êtes très implanté dans le tissu industriel, associatif, politique de la région, car vous avez été directeur et président de la Société des Eaux de Volvic ainsi que des opérations des Eaux de Danone. Est-ce que cela vous a ouvert les portes et les comptes des partenaires de l’Association?
À cette époque, j’étais président des Eaux de Volvic-Evian-Badoit-Salvetat, donc au niveau sponsor, très clairement ça m’a aidé. Je me suis auto-aidé pour être très clair. En tant que dirigeant des Eaux de Volvic et de Danone, je n’aurais jamais soutenu un trail classique, par contre soutenir un événement familial, à la découverte d’un paysage, de la chaîne des volcans, là, ça avait un vrai sens pour la marque.
Cette double casquette a été un point de départ non négligeable, mais ensuite, il faut convaincre les bénévoles, les institutions, les sponsors, les coureurs et leurs familles de nous suivre.
Le concept de base est resté le même : jour 1 : vous courez, jour 2 : vous restez sur place et vous explorez et vous profitez de la région et de ses trésors naturels, mais aussi de la culture et de la gastronomie locale. Mais aujourd’hui, plus de 10 000 participants sont attendus sur le week-end. Comment concilier le développement de la VVX et la responsabilité écologique sur laquelle vous communiquez?
On n’a pas augmenté le nombre de personnes par course. C’est un engagement que l’on a pris tout de suite avec le Parc naturel des volcans. C’est 500 max par course, même 400 pour le 80 km que l’on a ajouté cette année et 90 sur le 220 km. On ne veut pas confondre des étoiles avec des frontales! Pour nous, c’est « éco… logique » de respecter ce point : en mettant 10 000 personnes sur les chemins, on ne serait pas bien dans notre tête et puis on veut pouvoir encore serrer la main aux gens, accueillir chaleureusement tous les coureurs.
Par contre ce qui monte, c’est le nombre d’accompagnateurs. Il y a maintenant davantage de coureurs qui viennent en famille. Et honnêtement, c’est en faisant ce constat qu’on a commencé à se poser des questions sur notre empreinte carbone.
On a profité en particulier de la période covid pour se pencher un peu plus sur l’ensemble de l’événement. On était sur cette logique dès la création de la VVX pour actions de base, comme le fait de consommer local, de trier les déchets, etc. . Par contre, on a voulu savoir objectivement qu’elle était l’empreinte carbone réelle de l’ensemble de notre événement. On s’est mis en relation avec le cabinet mondialement reconnu Carbon Trust (un cabinet d’experts qui conseille les plus grandes entreprises mondiales, NDLR), mais comme on n’a pas les moyens de payer directement un expert pour faire un audit de cette ampleur, on leur a proposé de faire les calculs de notre côté, avec leurs outils de mesure, puis de leur envoyer pour les faire valider. En interne, on a des ressources importantes, dont l’ancien directeur Recherche et Développement de Volvic, qui s’est attelé à cette tâche ingrate. Il a fallu faire des questionnaires, des ratios pour savoir d’où venaient les coureurs, comment, avec qui? Cela a représenté un an de travail et au final il est ressorti que notre événement pèse 502 tonnes d’équivalents CO2. C’est évidemment beaucoup, mais pas tant que ça si on se réfère à l’empreinte carbone individuelle (un Français moyen émettait environ 8,2 tonnes d’équivalents CO2 par an en 2020, selon l’INSEE).
Ces 502 tonnes, elles viennent à 80 % des déplacements des traileurs pour venir sur le site, à 10-15 % des textiles et à 5-10 % de l’événement en lui même.
Une fois ce constat posé, quelles sont les actions que vous menez pour tendre vers une empreinte la plus neutre possible, ce que vous avez revendiqué comme un objectif?
Que faire? Sur les déplacements on a tapé à la porte de la SNCF et on est assez fiers d’avoir conclu un partenariat fort avec la société et la région Auvergne-Rhône-Alpes. On offre maintenant une réduction de 40 % sur les billets de train et la gratuité pour les enfants.
Au niveau du textile, c’est vraiment compliqué! Pour les vêtements, on commence à regarder du côté des textiles recyclés, de la filière coton, mais ce n’est pas génial non plus. Avant de bouger, on réfléchit à comment on peut bouger. La question des cadeaux se pose aussi : est-ce qu’il faut faire des médailles, des tee-shirts finisher? C’est aussi peut-être une question de changement de mentalité. On a fait des enquêtes de satisfaction et sur les « petites » courses en particulier, les coureurs sont très attachés à ces souvenirs. On réfléchit pour les amener sur d’autres choses, mais l’attachement aux goodies reste très fort.
Avec Carbon Trust, on est engagé sur un plan de 3 ans et nous avons des indicateurs sur 15 points édictés dans une charte. En plus des achats vertueux, locaux, de la gestion des déchets, de la réduction de la consommation énergétique, du respect de la biodiversité, les aspects solidarité, handicap, inclusion sont également au cœur de notre projet.
Même avec de la bonne volonté, cela reste difficile d’atteindre la neutralité carbone sur un tel événement, c’est ce que vous dîtes?
Même si on essaie de réduire au maximum notre empreinte, il reste une partie incompressible, que l’on a d’abord compensée avec l’achat de points carbone, comme toutes les grandes entreprises. Mais c’est une démarche qui nous plaît moyennement, car, est-ce que, quelque part, on ne s’achète pas une bonne conduite?
Jusqu’en 2019, pour être carbone neutre, on a fait comme tout le monde, on a acheté ces fameux points carbone.
Aujourd’hui, on a voulu aller plus loin et œuvrer plus localement à la préservation de notre propre territoire. Nous nous sommes rapprochés du Conservatoire des espaces naturels d’Auvergne et nous participons désormais au projet Sylvaé. Nous contribuons dans ce cadre au rachat de parcelles de vieilles forêts pour les extraire de toute activité humaine et assurer leur biodiversité. La démarche dépasse le seul cadre de la VVX, car, dans quelques mois, le rôle des vieilles forêts sera même reconnu scientifiquement et officiellement. Chaque entreprise pourra atteindre son objectif « bas carbone » à travers la protection des vieilles forêts (qui en étant rachetée et protégée ne pourront plus être achetées par exemple par un promoteur immobilier, NDLR).
Par contre, parce qu’il faut bien en parler, la VVX est soutenue par un grand groupe qui génère plus d’un milliard de bouteilles de plastique. Que répondez-vous aux critiques?
Volvic n’est pas une entreprise philanthropique. Si cette entreprise existe, c’est parce qu’elle nous rapporte, c’est sûr, mais ce n’est pas Volvic ou Danone qui jette ses propres bouteilles à la mer. Il faut aussi que chacun, individuellement, prenne ses responsabilités par rapport à ça. Nous faisons beaucoup pour notre communauté, il ne faut pas l’oublier. On a par exemple aidé la ville à connecter toutes les maisons au tout-à-l’égout, on a aidé les agriculteurs qui n’utilisent plus d’engrais, on est attachés à la biodiversité… Volvic cherche des solutions pour réduire, elle aussi, son impact, en favorisant le transport en train par exemple, et pour l’instant on n’a pas trouvé mieux. Sur la question du recyclage au maximum des bouteilles, c’est très bien, mais le retour au verre, c’est illusoire! Ce qui est le plus important, c’est le transport! Or si on fait des bouteilles en verre, c’est plus lourd donc il faut transporter des centaines de tonnes supplémentaires, c’est une hérésie écologique. La solution du verre ne tient que si on livre à moins de 150 km et que l’on recycle. La solution avec des bouteilles « tetra pak » (carton) non plus ce n’est pas viable, car avec une bouteille tétra pak on ne refait pas une bouteille tétra pak, tandis qu’avec le plastique, on refait une bouteille plastique. 90 % de nos bouteilles sont recyclées. Le plastique, ce n’est pas la panacée, mais les bouteilles en canne à sucre, un autre exemple, c’est une véritable bêtise écologique aussi parce que c’est une culture non vertueuse à la base… Quant à la qualité de l’eau, je préfère de l’eau minérale que de l’eau du robinet très traitée, filtrée, mais pas à 100 %. Pour moi, c’est de l’eau vaccinée avec un peu de chlore.
De plus en plus de monde converge vers l’Auvergne pour le grand week-end de l’Ascension y compris les plus grands noms du trail. En 2019, Kilian Jornet était à vos côtés et cette année, ce sont deux autres vedettes de la discipline Camille Bruyas et François d’Haene qui parrainent l’édition et qui prendront le départ d’une course. Comment les attirez-vous?
Les élites nous aiment!
En 2019, Kilian est venu en tant qu’ambassadeur de la marque Volvic. C’était un échange de bon procédé dans le contrat de sponsoring.
Mais, cette année, avec François et Camille, c’est différent. La VVX a auto-financé la venue des ces deux grands athlètes, mais au-delà de leur image, c’est vraiment des coureurs avec qui je partage de très grosses valeurs de simplicité, d’authenticité, de rapport avec la nature. Ce sont des gens simples que j’ai reçus chez moi. François a passé une soirée à la maison. Il vient avec sa femme, ses enfants, ses parents. Il a vite compris que la VVX c’était autre chose qu’une course. Il a bien compris le message porté dès le début. Camille vient avec son compagnon et sa bande de potes. S’ils venaient juste pour courir et repartir aussi sec chez eux, nous ne les aurions pas choisis comme parrain et marraine de l’édition 2022. On a refusé des demandes de coureurs très connus, qui souhaitaient juste prendre un cachet et rentrer chez eux. On ne leur donne même pas un dossard!
Vous affichez complet sur l’ensemble de vos courses cette année, mais en tant que course indépendante, qui ne fait donc pas partie des courses du nouveau circuit UTMB World Series ni d’aucun circuit, craignez-vous comme d’autres organisations populaires l’effet siphonnage des courses « by UTMB » dans l’avenir?
En 2019, nous avions clairement affiché la volonté d’intégrer l’Ultra Trail World Tour (qui rassemblait plusieurs courses indépendantes dans le monde entier). On était en phase avec le projet, on partageait les valeurs et les bonnes pratiques et on conservait notre indépendance et notre particularité. Mais on a aussi clairement refusé de rentrer dans le moule de l’UTMB World Séries. On veut rester très indépendant, très local. Cette année, nous affichons complet sans problème de remplissage avec même un peu de surbooking sur toutes les distances. À voir donc l’année prochaine s’il y a un impact, en particulier sur le 110 km.