La Hardrock 100, dont les quatre précédentes éditions avaient été remportées par l’Espagnol Kilian Jornet, absent cette année, a été marquée en fin de semaine par la disqualification du principal favori de l’épreuve, le Français Xavier Thévenard, à seulement 15 km de l’arrivée.
Les organisateurs du célèbre 100 miles américain (160 km, 10 000 m D+), qui se déroule dans le Colorado, ont très lourdement sanctionné le coureur pour avoir reçu de l’aide en dehors d’un ravito.
Thévenard, qui s’est entre autres distingué en devenant le seul athlète à avoir gagné toutes les courses de l’UTMB (OCC, CCC, TDS et UTMB deux fois), ne s’est jamais inquiété sur cette course, qu’il a dominée dès le départ. Lorsqu’il a été arrêté, au km 145 (Cunningham), il possédait plus de deux heures d’avance sur son principal poursuivant, l’Américain Jeff Browning, qui a passé la ligne d’arrivée en vainqueur.
La Hardrock a mentionné que des témoins avaient « fait savoir que le coureur Xavier Thévenard a reçu de l’aide en dehors d’une zone de ravitaillement » et qu’après enquête, « il a été confirmé que Xavier a reçu de la glace et de l’eau trois kilomètres (après) la station d’aide d’Ouray. »
« Nos règles protègent l’intégrité de la Hardrock et l’équité pour tous les participants », ont précisé les organisateurs de la course, qui ont toutefois estimé que le coureur français n’avait pas agi avec malice, avant de l’inviter à s’inscrire à la loterie pour tenter de participer de nouveau au cours des années futures.
Thévenard complètement abattu
Le coureur, terrassé par la nouvelle, s’est rapidement exprimé sur sa page Facebook. Il a reconnu ses torts, mais a tenu à raconter ce qu’il s’est passé exactement. Précisons qu’il partageait les sentiers avec un pacer de luxe, son ami Benoit Girondel (« Bengi »), vainqueur de la dernière Diagonale des fous. Ils étaient ensemble quand le couperet est tombé.
« Je ne conteste pas les faits, mais cette décision de l’organisation est à mon goût un peu trop cruelle, a-t-il écrit samedi. Deux miles après le ravitaillement d’Ouray (km 69), alors que Bengi venait d’entrer comme pacer, nous avons croisé, lors d’une traversée de route, nos compagnes, qui nous assistaient sur la course, car mon staff habituel n’était pas présent. Nous les avons saluées, nous avons échangé quelques mots et plaisanté. Tout allait bien. Nous avions une avance importante. En parlant, nous avons pris une gorgée d’eau et une poignée de glace… un peu par inadvertance. Nous ne nous cachions pas, car il y avait évidemment du monde sur le parking. Ceci est considéré comme un ravitaillement hors zone, alors que nous venions de faire le plein d’eau et de glace quelques minutes plus tôt au ravito. Nous n’étions donc pas du tout en détresse ! Pour ce fait, nous avons été sortis de la course 90 km plus loin après 145 km parcourus et 21 h 20 de course !
Xavier Thévenard s’est dit « complètement abattu », soulignant que sa Hardrock, c’était aussi 600 h d’entraînement depuis début janvier et 15 000 km d’avion. « À aucun moment je n’ai voulu tricher, clame-t-il. De plus, il n’existe pas de sanction pour un ravitaillement hors zone dans le règlement. Je trouve cette sanction démesurée. Une heure ou deux de pénalité, pourquoi pas, mais là c’est trop injuste […]. »
Les jours qui ont suivi, Benoit Girondel a brièvement répondu aux questions de Distances+. « On est très mal. C’est très dur pour nous », a-t-il répété, lui qui n’avait pas été pris à la loterie, mais qui a décidé de s’investir quand même pour aider son ami à atteindre son objectif. « On va mettre un moment à remonter la pente, craint-il. On comprend la sanction, mais pas sa dureté. Dans l’action on ne pensait pas être en faute. Après, c’est fait… »
Kilian Jornet a lui aussi vécu une disqualification aux États-Unis
Sur Twitter, Kilian Jornet s’est dit « triste » pour Xavier Thévenard, qu’il connaît bien. « Je crois vraiment qu’il n’avait pas de mauvaises intentions, et je suis sûr que c’était une décision difficile à prendre (pour la Hardrock), mais même si c’est peu, ce qui est injuste, c’est l’aide extérieure pour les autres concurrents. »
Humble, Kilian se souvient avoir lui aussi été disqualifié à la Speedgoat 50, dans l’Utah. « J’étais revenu en arrière (alors que c’était interdit). C’était ma grande erreur de ne pas être au courant des traditions et des règles américaines », a-t-il ajouté.
Le champion espagnol a quand même tenu à féliciter son collègue français. « Xavier peut être heureux de la course qu’il a faite. De sa performance plus que du résultat. Il devrait en être très fier. »
Xavier Thévenard va devoir rapidement se remobiliser, car il sera au départ de l’UTMB pour tenter de décrocher une troisième victoire. Quant à Benoit Girondel, il va tenter de gagner une deuxième fois de suite le Grand Raid de La Réunion.
Interprétation radicale du règlement
Dans le règlement de la Hardrock, il est stipulé que « le directeur de course a l’autorité finale sur toute question qui pourrait survenir pendant la [course] » (point 2), et qu’il est interdit de « se ravitailler et d’être aidé le long du parcours, à l’exception d’un périmètre de 365 m autour de la zone de ravito » (point 5).
Comme le regrette Thévenard, les pénalités ou la jurisprudence ne sont pas précisées dans le livret de course à l’attention des coureurs.
Nous avons interrogé deux directeurs de courses au Québec, Jean Fortier (Quebec Mega Trail) et Sébastien Côté (Ultra-Trail Harricana du Canada) concernant cette application du règlement à l’encontre de Xavier Thévenard. Ils relativisent tous les deux la situation.
« Ce n’est pas évident de contrôler une course, assure Sébastien Côté. Le directeur de course a toujours le dernier mot, que le règlement soit écrit ou non. Ici, sa décision est très sévère et il a arraché une victoire sans équivoque à Xavier, ajoute-t-il cependant. Même avec une heure de pénalité, je pense qu’il aurait gagné. »
« À première vue, je trouve ça crève-cœur de se faire disqualifier pour ça, et je peux comprendre la déception de Xavier, surtout qu’à ce stade de la course, c’est difficile de penser à tous les points des règles, mais c’est écrit noir sur blanc et c’est, selon moi, très clair, a pour sa part commenté Jean Fortier. C’est tout à l’honneur de l’organisation d’appliquer les règles et surtout de ne pas faire de passe-droit pour un coureur élite. Les règlements sont les mêmes pour tout le monde et la compétition est la même pour tout le monde. Ne pas donner de passe-droit, c’est donner de la crédibilité à ton organisation. »
Jeff Browning vainqueur par défaut
C’est donc, contre toute attente, Jeff Browning (3e de la Western States 100 en 2016) qui a remporté la Hardrock 2018, en 26 h 20, à près de 4 h du record de Kilian Jornet sur l’épreuve. Côté féminin, c’est l’Américaine Sabrina Stanley qui a passé la première la ligne d’arrivée en 30 h 23.
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