En se lançant tête baissée dans l’inconnu, Joan Roch a vécu la plus belle aventure de sa vie

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Couverture du livre de Joan Roch, « Ultra Ordinaire 2 - Odyssée d'un coureur » - Les Éditions de l'Homme
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La pandémie a chamboulé nos vies. Les athlètes ont dû s’adapter à l’annulation ou au report de la plupart des compétitions de trail dans le monde. Ils ont dû réviser leurs objectifs et adapter leur entraînement. En ce début d’année 2021, Distances+ a demandé à plusieurs coureurs inspirants de raconter comment ils vivent cette période inédite.

L’ultra-marathonien et photographe en mouvement Joan Roch sort ce mercredi 24 mars le deuxième tome de ses aventures, « Ultra ordinaire 2 – Odyssée d’un coureur ». Il y raconte sa vie bouleversée des dernières années, son arrêt de la course à pied subitement en 2016, son retrait des réseaux sociaux sur lesquels il jouissait d’une grande popularité comme coureur influenceur, mais aussi plus intimement l’érosion de son couple parental et sa nouvelle histoire d’amour avec la romancière — et coureuse — Anne Genest, à l’origine de sa « renaissance », sandales aux pieds. Ce nouvel amour, cette nouvelle vie, qui l’ont amené à courir 1135 km en 14 jours l’été dernier entre Percé, en Gaspésie, et le sommet du mont Royal, à Montréal.

Quelques semaines avant la sortie de ce deuxième livre, dans lequel il se raconte aussi en autoportraits plus créatifs les uns que les autres, Joan Roch avait pris le temps de répondre aux questions de Distances+ et de s’enthousiasmer pour les vertus de l’improvisation, lui qui s’était préparé en 2020 à courir trois ultra-trails de plus de 200 miles en deux mois aux États-Unis, le Triple Crown, et qui bien évidemment a dû y renoncer en raison de la pandémie.

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Joan Roch court en short et souvent en tee-shirt même durant les très froides journées d’hiver – Photo : Joan Roch

Distances+ : Avec du recul, comment as-tu vécu ton année 2020?

Joan Roch : Sans aucun doute mon année de course la plus intéressante! Évidemment, je n’ai pas échappé aux frustrations lorsque mes courses du Triple Crown of 200s ont été annulées au dernier moment, mais ces contraintes m’ont poussé dans une direction inattendue et, finalement, bien plus intéressante. C’était d’autant plus frustrant que ces courses devaient constituer le point d’orgue de mon deuxième livre, la suite d’ « Ultra-ordinaire – Journal d’un coureur » (publié en 2016 aux Éditions de l’Homme, NDLR).

Avant d’être confronté à la réalité du confinement planétaire, je prévoyais toujours de me rendre aux États-Unis pour enchaîner en deux mois le Bigfoot 200, le Tahoe 200 puis le Moab 240. Et ma préparation était impeccable, en tout cas en ce qui concerne le kilométrage, car pour le dénivelé, la rive sud de Montréal, c’est zéro! Bref, je n’ai jamais couru autant, atteignant même des semaines proches de 400 km.

Comme les frontières restaient obstinément fermées, je me suis rabattu sur le Québec et j’ai décidé au dernier moment de profiter à fond des vacances que j’avais prévues et de mon entraînement. Aller simple en bus pour Percé et retour à Montréal en suivant la route 132. Une paire de sandales, aucune organisation, aucune équipe, aucune connaissance du terrain et première course multi-jours de ma vie.

Et voilà que l’histoire de mon deuxième bouquin s’est écrite toute seule. La communauté des coureurs s’est mobilisée sur ma route pour m’aider à avancer malgré les tempêtes, canicules, infections bactériennes, insolation et autres plaisanteries. Jamais je n’aurais vécu une telle aventure dans le Far West.

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Autoportrait avec un clin d’oeil à Montréal et ses éternels travaux – Photo : Joan Roch

Que retiendras-tu et quels enseignements as-tu tiré de cette période insolite?

Pour courir, définitivement, on n’a pas besoin d’un dossard. Je pensais le savoir, mais j’avais pourtant programmé tout mon été et mon automne 2020 sur une compétition, le Triple Crown, sans même réfléchir aux alternatives. Et quand la première course a été annulée, je me suis retrouvé véritablement déboussolé. Je me suis rabattu sur Percé – Mont-Royal presque par dépit. Et maintenant, voilà que je me demande si je vais jamais m’inscrire de nouveau à un ultra alors que je peux juste choisir mon point de départ, la direction et courir suivant mes propres règles. À la base, la course est synonyme de liberté et d’indépendance, et il m’aura fallu une pandémie mondiale pour véritablement le comprendre et le vivre.

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Joan Roch durant son périple entre Percé et Montréal à l’été 2020 – Photo : Joan Roch

Qu’est-ce que la pandémie et ses conséquences ont eu comme impact sur ta « carrière » de coureur?

Cette période a accéléré la trajectoire que j’avais en tête vers les courses couvrant plusieurs jours. J’y pensais, mais pour bien plus tard. Maintenant que j’y ai goûté, je ne vois plus bien l’intérêt de ne courir que pendant quelques heures, ni même un jour ou deux. Évidemment, le problème avec cette transition vers les périples de 1000 km ou plus, c’est la logistique et le temps. Avec une famille et un boulot, ça va vite devenir compliqué. Mon périple le long de la 132, qui aura duré 15 jours au total, rentre dans des vacances normales. Impossible par contre de traverser un continent sans faire hurler mes enfants et mon employeur. À suivre!

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Au fil des années, Joan Roch a rivalisé de créativité pour réaliser chaque jour un autoportrait en mouvement – Photo : Joan Roch

Comment appréhendes-tu cette saison 2021? À quoi, au moment où l’on se parle, devrait-elle ressembler?

Je ne réfléchis plus à mes courses en termes de saison depuis 2015. C’est artificiel. Je n’ai jamais été très fort sur l’organisation à long terme. L’improvisation et l’adaptation m’amusent bien plus. Avec une telle approche, il est devenu impossible de me construire un calendrier de compétitions puisque toutes les courses se remplissent à une vitesse folle et que les loteries sont devenues la norme. 

Ceci dit, 2021 devrait être calme côté aventure, car je vais me concentrer sur la promotion de mon deuxième livre (« Ultra-ordinaire 2 – Odyssée d’un coureur », toujours aux Éditions de l’Homme, NDLR). J’ai des idées pour 2022, mais c’est trop loin pour avoir la moindre certitude. En attendant, je vais pousser l’expérimentation côté entraînement dans de nouvelles directions, car ce que j’ai découvert sur mes capacités avec cette course de 1135 km sur route est particulièrement intrigant. L’avenir est devant moi!

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Le pont Jacques-Cartier est une source d’inspiration pour Joan Roch – Photo : Joan Roch

Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?

Je n’ai jamais été très friand des programmes d’entraînement ni de toute structure trop rigide, préférant l’improvisation en cours de route. Disons que cette approche m’a probablement avantagé au cours de la dernière année. Je ne peux donc que recommander à tous les coureurs et sportifs d’accueillir les imprévus comme des opportunités pour explorer quelque chose de nouveau. Sans pandémie, j’aurais répété ce que je connaissais déjà, c’est-à-dire enchaîner quelques ultras. Avec la pandémie et sans flexibilité, j’aurais tout décalé d’un an ou deux et perdu mon été sans aucune garantie sur l’avenir. En me lançant tête baissée dans l’inconnu, j’ai vécu la plus belle aventure de ma vie et accéléré ma découverte de nouveaux horizons. Alors, ne réfléchissez pas trop et lancez-vous!



 

 

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