Cyrille Quintard est photographe depuis plus de 25 ans. Ses débuts dans le monde du trail en France remontent à 2015. Alors quand la maison d’édition Turbulences a lancé sa collection « Best of Trail », une série de beaux livres qui met à l’honneur le travail des photographes du trail professionnels, elle a logiquement sollicité Cyrille Quintard. Profitant d’une période plus calme sur le plan sportif, mais dont il se sert pour chercher ses contrats, le photographe de l’Alpe-d’Huez est revenu sur ce projet pour Distances+.
Ce livre d’une centaine de pages propose quelques-uns de ses plus beaux clichés. « C’est un livre de moi ou sur moi, je ne sais pas comment on peut dire ça », s’interroge Cyrille Quintard. Bien qu’il n’apparaisse sur aucune des photos (hormis la première photo du livre qui accompagne une courte biographie, NDLR), l’expression « sur moi » est tout de même de mise tant on plonge dans son regard de professionnel. Paysage, portrait, cliché plus insolite, cet ouvrage illustre une partie de ce qu’est le métier de photographe de trail.
Alors il y a bien sûr les traditionnelles photos de course, mais aussi les photos plus originales, qui en disent tout autant sur l’épreuve. Comme cette photo à l’arrivée de l’UTMB où cinq personnes sont prises de dos à Chamonix. On y voit seulement leurs jambes, mais avec les veines qui ressortent et les muscles contractés. Elle résume l’effort réalisé par les participants pour arriver au bout d’un ultra-trail.
Les annotations permettent aussi de comprendre les choix pour tel ou tel cliché. Comme celui d’une mère et de sa fille à l’arrivée du Marathon des Sables en décembre 2017 où il explique avoir shooté car « l’émotion du moment [l’a] poussé à les photographier ».
C’est aussi ça le travail du photographe, être capable de se laisser surprendre tout en étant suffisamment réactif pour saisir le moment captivant. Cyrille Quintard confie « se fier à l’instinct » et réagir en fonction de l’instant présent. Ça le conduit parfois à s’éloigner des coureurs pour les situer dans le milieu où ils évoluent, plutôt que d’aller chercher des émotions sur leur visage.
Une arrivée sur le tard
Cyrille Quintard est tombé dans le trail sur le tard, à 35 ans. Pris de passion pour la photographie durant ses études post-bac dans l’audiovisuel, le natif du Poitou-Charentes a abandonné un temps ce métier après son déménagement à l’Alpe d’Huez. Avant cela, il a été créateur de sites web et même taxi entre 2010 et 2015. C’est à cette période qu’il a repris le sport et qu’il a découvert le trail running, lui qui était autrefois footballeur. Il a notamment participé à la SaintéLyon, au Festival des Templiers ou encore au Trail Nivolet Revard.
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En 2015, il a participé à un concours photo qui réunissait sa passion et sa nouvelle pratique sportive. Il a décroché le premier prix : accompagner l’ultra-traileur français François D’Haene trois semaines en Équateur pour le photographier.
« C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait que je revienne à la photographie et que c’était ça mon métier, se souvient Cyrille. Par contre, si je voulais en vivre, je ne pouvais pas le faire à moitié. » La suite lui a donné raison. Il a pu photographier les meilleurs spécialistes du trail, comme D’Haene, Kilian Jornet ou la double championne du monde Nathalie Mauclair, sur les courses prestigieuses que sont l’UTMB, le Marathon du Mont-Blanc, la Diagonale des Fous, etc. Mais il a surtout pu décrocher des contrats avec des organisateurs de trails en France. Des courses où la plus grande partie de son travail est de photographier le coureur lambda.
Il travaille aussi pour des offices de tourisme et il est souvent amené à se renouveler dans le choix des événements qu’il couvre. « Quand tu fais ce métier, tu finis toujours par « sauter » parce qu’il faut changer de vision, il faut changer d’œil. Pour ça, on change de photographe », analyse-t-il avec lucidité.
Un regard critique
Cyrille Quintard porte un regard critique sur son propre travail et notamment sur certains vieux clichés, parce qu’il a évolué dans son approche. « Il y a des photos qui sont datées de 6 ou 7 ans. Ça ne ressemble plus vraiment à celles que je prends maintenant », dit-il, évoquant notamment la partie urbex de son travail. Il photographiait par exemple des coureurs dans des zones industrielles abandonnées. Toutefois, la maison d’édition a tenu à en faire figurer dans son Best of trail.
En l’écoutant, on comprend qu’une partie du choix des photos sélectionnées pour le recueil s’est fait très naturellement. « Il y a des courses que je n’ai pas mises parce que, techniquement, ce n’était pas très intéressant, que les paysages n’étaient pas particulièrement époustouflants ou parce que moi-même je n’avais pas été très bon », explique-t-il.
Sa force, il estime qu’elle s’exprime surtout dans son l’art du portrait. « On aurait très bien pu en mettre 200, assure-t-il. Ça aurait même pu être un livre uniquement de portraits. Ça peut être une idée d’ailleurs… »
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Mais pour le moment, le photographe ne souhaite pas se lancer lui-même dans la publication d’un livre photo. D’abord, parce que « ce n’est pas [son] métier » et parce que cela « prend beaucoup de temps ». Car si ce livre a été rendu possible, c’est aussi en raison du timing. « C’est tombé un peu pendant le confinement, donc je me suis vite dépêché avant que les trails ne reprennent », raconte Cyrille.
En ce début de saison 2022, il souhaite poursuivre son chemin dans le monde du trail. Jusqu’à quand ? Il ne le sait pas. Peut-être arrêtera-t-il un jour pour des raisons physiques, car les courses, lui aussi les fait à sa manière. « Tu montes pas mal dans la journée. Il faut le faire, surtout avec le matos et les kilos dans le dos », illustre-t-il. Ou peut-être que la passion pour le trail s’éteindra, mais de toute évidence, on en est loin. Pour l’instant, Cyrille Quintard aime ce qu’il fait. « On a la chance, en tant que photographe, de pouvoir choisir de photographier ce que l’on kiffe », s’enthousiasme-t-il. Il n’y a donc pas de raison que cela cesse.