Le monde du trail a été secoué d’un tremblement de terre en 2021 au moment de l’annonce du partenariat stratégique entre les groupes UTMB et IronMan. Cette stratégie de consolidation s’inscrit dans une volonté de professionnaliser le sport, mais surtout d’inculquer une structure compétitive plus formelle à travers un nouveau circuit : l’UTMB World Series. D’ailleurs, tenter de recenser tous les circuits internationaux et championnats mondiaux de trail représente un ultra défi en soi et nous permet de constater à quel point le trail running est fragmenté.
Une telle alliance, entre UTMB Group et IronMan, n’a rien de surprenant aujourd’hui compte tenu du contexte de croissance que le trail connaît depuis plusieurs années. Avec environ 20 millions de participants depuis 2010, c’est l’un des sports à la croissance la plus rapide au monde, selon la World Athletics, la Fédération internationale d’athlétisme. L’ITRA, l’International Trail Running Association parlait même, dans son rapport 2021, d’une nouvelle ère : « le Trail Running 2.0 » alors que l’on constate un intérêt grandissant des participants, environ 12 % de croissance annuelle à l’échelle mondiale, mais aussi des organisateurs, des équipementiers, des médias, etc. Bref, de l’ensemble des parties prenantes.
Avec ces changements importants viennent certains défis, entre autres :
– Un nombre croissant de participants internationaux;
– Une diversification des profils et des motivations;
– L’empreinte carbone et les impacts environnementaux non négligeables de la pratique sportive;
Le trail se démocratise et se professionnalise, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Certains puristes du sport voient d’ailleurs dans ce mouvement de professionnalisation une cassure avec, en premier lieu, les valeurs fondamentales du trail et, ce qui est régulièrement nommé « l’esprit trail ».
Écoutez le débat sur l’esprit trail dans l’émission La Bande à D+, le podcast de Distances+
Quelle est la crainte à l’égard de la professionnalisation?
C’est essentiellement que le trail devienne trop commercial. Attention toutefois à ne pas confondre ces deux termes. D’une part, la professionnalisation est un concept complexe qui vise essentiellement à adopter des normes et des standards, le développement des talents et une amélioration de la reconnaissance et de la valorisation de la discipline. La commercialisation, elle, est un procédé de gestion comprenant entre autres les activités de vente, de marketing, de communication et d’image de marque. Pour simplifier, elle consiste en l’occurrence à utiliser le trail ou certains aspects de ce sport de façon à générer des revenus.
Au fur et à mesure que de nouveaux commanditaires joindront le monde du trail, ceux-ci apporteront fort probablement avec eux leurs propres cultures d’entreprise. Or, dans le sport, il est plutôt rare qu’une culture soit définie de façon explicite par un commanditaire ou un seul groupe. Appuyée par des valeurs et des principes fondamentaux, elle émerge plutôt des paroles, des comportements et des gestes des participants.
Face à ces différents constats, une chose est néanmoins certaine : on ne peut pas forcément freiner les changements déjà bien amorcés, mais on peut assurément œuvrer au maintien et à la sauvegarde des principes et des valeurs tant appréciés par la communauté.
Concrètement, que faire?
Comme point de départ, rappelons les valeurs fondamentales du trail, identifiées par l’ITRA :
– L’authenticité
– L’humilité
– Le fair-play
– L’égalité
– Le respect
Dans la mesure où elles sont bien connues, intégrées et partagées, ces valeurs ont un impact sur les façons d’être et d’agir de tout un chacun. Et justement, c’est bien là, dans le « être et agir » que réside ce fameux esprit trail.
Être et agir…
– Avec soi-même
Pour la très grande majorité des participants, la victoire, c’est de terminer la course et non pas de monter sur le podium. Si les coureurs ne s’alignent pas tous sur une ligne de départ, c’est aussi parce que d’autres opportunités se présentent. Les défis personnels ont d’ailleurs vu leur popularité exploser au cours des deux dernières années avec, entre autres, l’annulation d’une majorité d’événements consécutivement à la pandémie.
– Avec les autres
Bien que la course à pied soit à première vue un sport individuel, le trail revêt une dimension collective et communautaire importante. Avec la multiplication des clubs de trail, on constate que la solidarité, l’entraide et la camaraderie prévalent sur les performances individuelles. Après quelques mois, la course devient souvent un prétexte pour une activité plus sociale. Parlez-en autour de vous et vous le constaterez.
– Avec son environnement
Le trail, c’est aussi une découverte constante de nouveaux terrains, de nouveaux sentiers et de nouveaux paysages. À l’ère de l’hyperconnectivité où nos vies complexes mélangent stress et anxiété, le contact avec la nature semble tout indiqué. Les études suggèrent d’ailleurs qu’il diminue la dépression et les émotions négatives, rend de meilleure humeur, réduit la fatigue, donne de la vitalité et améliore l’attention.
En somme, la culture du trail qui nous est chère, c’est notre responsabilité à tous de la comprendre, de pouvoir la mettre en mots et d’en faire une priorité.
Samuel Ouellette est directeur administratif du Pôle sports HEC Montréal, un important centre de recherche et de transfert en gestion du sport. Traileur et passionné de sports d’endurance, il s’implique sur plusieurs comités et groupes de travail, au Québec et à l’international, pour accompagner les organisations sportives à faire face à de nouveaux défis spécifiques au domaine. Le développement social par le sport fait partie de ces principaux champs d’intérêt.