Tracer le parcours d’un ultra-trail comme on crée un scénario

Deux directeurs de course nous racontent l’envers du décor

Sur le tracé du Gaspésia 100 – Photo : courtoisie

Comment trace-t-on un parcours de course? Quels sont les ingrédients d’une recette gagnante? Distances+ s’est entretenu avec deux directeurs de course, Jean-François Tapp du Gaspesia 100, et Sébastien Côté de l’Ultra-Trail Harricana du Canada, qui ont accepté de livrer leurs secrets.

Le but d’un parcours, c’est de faire vivre une expérience unique, estime Jean-François. « On est d’abord des passionnés de la Gaspésie, dit-il. Notre prémisse, c’est d’offrir quelque chose que les autres sont incapables d’offrir. Si notre parcours ne fait pas « wow », on ne fait pas de course. Je ne veux pas déplacer des gens de 700 km pour qu’ils courent uniquement dans des single tracks ».

Un des aspects uniques du Gaspesia 100 est justement une section de 6 km qui passe sur la plage. « À 5 h du matin, au départ, la marée est basse et la plage est immense. Au retour, à l’heure du dîner, la marée va être haute et les coureurs vont devoir presque faire de l’escalade sur les falaises pour traverser », illustre Jean-François Tapp.

Briefing d'avant-course de Jean-François Tapp au Gaspésia 100 2017 / Photo: courtoisie
Briefing d’avant-course de Jean-François Tapp au Gaspésia 100 2017 – Photo : courtoisie

Sébastien Coté partage cette volonté d’offrir une course exemplaire, notamment aux athlètes de l’extérieur du Québec qui représentent 30 % des inscrits. « Ils deviennent des ambassadeurs du Québec, assure-t-il. Quand ils repartent, ils doivent pouvoir dire « j’ai vu les sommets, j’ai traversé la forêt boréale, j’ai croisé un barrage de castors ». C’est comme un scénario de film : le parcours est planifié pour qu’à telle heure les coureurs grimpent à telle place pour voir le lever du soleil. »

La création d’une course

Bien avant que les coureurs s’élancent sur le parcours, un long travail préparatoire est requis. « Je débute avec les cartes du ministère des Ressources naturelles, où les chemins forestiers sont représentés, et je mets des punaises sur les points de vue, explique Jean-François Tapp. Avec le logiciel Garmin BaseCamp, je fais un tracé qui va interrelier tous les points de vue pour composer un parcours épique. L’avantage de notre terrain de jeux, c’est le nombre infini de chemins forestiers en Gaspésie. »

Si cet ultra-marathon utilise des sentiers existants, notamment ceux de la municipalité de Percé, l’Ultra-Trail Harricana du Canada (UTHC), près de La Malbaie dans la région de Charlevoix, a eu plus de difficultés à mettre en place le parcours du 28 km, raconte Sébastien Côté. « On a dû utiliser des pistes de ski de fond, car autour du mont Grand-Fonds, il n’y avait pas vraiment de sentiers pédestres. Nous avons dû raccorder les sentiers existants et réouvrir des sentiers abandonnés pour faire une boucle intéressante. Après, il faut vérifier si le parcours va être assez rapide, si on le fait dans le sens horaire ou antihoraire. Est-ce qu’on va débuter par une ascension ou terminer par une descente fulgurante? Ce sont des décisions du directeur de course. »

Avant la course, les bénévoles se déploient sur les tracés pour s'assurer que les parcours seront sécuritaires. Ici une partie de l'équipe de l'UTHC / Photo: courtoisie
Avant la course, les bénévoles se déploient sur les tracés pour s’assurer que les parcours seront sécuritaires. Ici une partie de l’équipe de l’UTHC / Photo: courtoisie

La connaissance du terrain est essentielle pour pallier les imprévus. « Même si on est sur des terres publiques, on se trouve à être sur le secteur de chasse de quelqu’un qui n’a pas envie de nous voir, nous a confié Jean-François Tapp. L’année dernière, des bénévoles m’ont appelé pour me dire qu’un secteur n’était plus balisé sur deux kilomètres. On a dû composer un autre parcours et on a été en mesure de le faire rapidement si bien que les athlètes ne se sont pas aperçus du changement. »

Problème de chiffres

La mesure précise de la distance et du dénivelé est aussi une préoccupation. « On utilise les cartes pour établir ces mesures, mais on repasse toujours sur le terrain avec un GPS, précise Jean-François. Tout le monde n’a pas la même montre et il y a toujours des gens qui nous disent : “vous n’avez pas la bonne distance ou le bon D+”. Pour le trail, on ne fait pas une obsession d’offrir la distance exacte comme pour les courses sur route. »

Sébastien Coté dresse le même constat. « Avec une montre barométrique, tu vas vraiment avoir le D+ exact si elle est bien calibrée. Pour la distance, notre 125 km et un 117 km en réalité. Il n’y a pas trop de stress avec ça ».

Le niveau de difficulté d’une course est évalué par l’ITRA (International Trail Running Association) pour toutes les courses homologuées. « Les tracés sont transmis à l’ITRA et selon le nombre de points GPS, ils vont évaluer si elle est bonne ou médiocre, raconte Sébastien Coté. Ils ne vont jamais demander de changer un parcours, mais ajuster le nombre de points en conséquence. Pour avoir le nombre maximum de points qui est de six, le niveau de difficulté doit être énorme (par exemple l’UTMB 2018, 171 km pour 10 400 m D+, sera coté 6 points d’endurance sur 6 et 8 points de montagne sur 12). Et ce sont les parcours linaires qui sont privilégiés. Si ton 100 miles fait trois boucles, ils vont diminuer le pointage même si tu as 10 000 m de D+. » Le 125 km de l’UTHC est coté 5 points ITRA.

Avant la course, les bénévoles se déploient sur les tracés pour s'assurer que tout sera correct sur le parcours. Ici dans les montagnes de Charlevoix / Photo: courtoisie UTHC
Avant la course, les bénévoles se déploient sur les tracés pour s’assurer que tout sera correct sur le parcours. Ici dans les montagnes de Charlevoix – Photo : UTHC

Préserver l’histoire

Pour Sébastien Coté, il est essentiel de ne pas altérer un tracé. « Comme directeur de course, je ne veux jamais qu’un parcours change parce ça vient aussi changer l’histoire, toutes les statistiques des dernières années. À la demande des coureurs, on a changé une section de 3 km d’un chemin forestier vers un sentier single track. Pour moi, ça change le niveau de difficulté et le temps, ça m’agace un peu. »

De son côté, pour sa seconde édition, le Gaspésia 100 a opté pour une refonte complète. « En 2016, on s’est aperçu que les coureurs ont manqué tous les points de vue dans les sections traversées de nuit. Notre 160 km fait maintenant trois fois un circuit de 53 km linéaire, et c’est sûr que les coureurs vont tout voir au moins une fois. »

Enfin, il convient de bien doser le parcours. « Il y a des directeurs de course qui disent “je veux la course la plus difficile au monde”, raconte Sébastien Coté. Un ultra, c’est déjà assez difficile à la base. Je veux un parcours bien équilibré et assez rapide pour que les gens courent. S’il faut marcher la moitié du temps parce qu’on a de l’eau jusqu’aux hanches ou qu’il y a trop de racines, pour moi, ça devient plus une randonnée. »