Lorsqu’il était négociateur spécialisé dans la gestion du risque de change sur les marchés boursiers, le Monégasque Claude Eyraud courait pour s’offrir un bol d’air et déstresser. Depuis qu’il est à la retraite, celui qui a accroché plus de 600 dossards au cours des 40 dernières années continue de nourrir sa passion pour la course à pied, notamment en arpentant les épreuves de trail du sud de la France avec ses appareils photo.
Les sorties courtes de ses débuts, à la fin des années 80, se sont rapidement allongées et quand ses amis d’alors lui ont demandé s’il comptait courir un jour un marathon, il n’a pas tardé à s’embarquer dans l’aventure new-yorkaise. C’était en 1988. « À peine un an après les premières foulées, le virus était en moi, irrémédiablement », commente Claude Eyraud, aujourd’hui âgé de 79 ans.
Activité exutoire au début, la course est vite devenue un besoin pour celui qui partage sa vie entre la Principauté de Monaco et la ville de Genève, en Suisse. « Dès que j’ai eu fait un 10 km, un semi et un marathon, je n’ai pensé qu’à vouloir améliorer mes chronos, dit-il. J’ai même participé à plusieurs 100 km. J’avais besoin de m’entraîner 100 à 150 km par semaine, sinon j’étais en manque ».
C’est à cette période qu’il a rejoint son premier club, l’AC Evian, le club d’athlétisme d’Évian-les-Bains sur le bord du lac Léman, en Haute-Savoie. Plus tard, ce sera l’AS Monaco. « Je n’ai été licencié que dans deux clubs depuis 1987 », souligne-t-il.
Témoin de l’évolution de la course à pied
Avec une telle longévité dans le monde de la course à pied, Claude est un témoin privilégié de l’évolution de son sport. « Cela a commencé avec les kilomètres indiqués (par des panneaux) sur le bord de la route, puis sont apparues les montres Polar sur lesquelles on cliquait au passage de chaque kilomètre. Puis, évolution ultime, le GPS, sans lequel je ne peux aller courir maintenant est arrivé et s’est popularisé. »
À cette époque, il n’y avait pas d’internet, pas de photos sur Facebook, et encore moins de commentaires ou de récits, se souvient Claude. Une paire de chaussures et un dossard suffisaient quand il participait à une course. « J’en ai retrouvé d’anciennes, je ne comprends pas comment je pouvais courir avec », s’amuse-t-il. Quant aux dossards, « on les accrochait sur une pique à l’arrivée, au fur et à mesure, mais on attendait moins longtemps les classements! »
315 000 photos de course à pied
Quand Claude Eyraud n’accroche pas de dossard à son chandail, il se rend sur les épreuves de course à pied équipé de ses appareils photo. Que ce soit en Suisse ou dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il ne se déplace jamais pour rien.
« Depuis que j’ai commencé de les compter, mi-2012, je suis arrivé, courant février 2020, à plus de 315 000 photos, publiées en double sur mon blogue et sur ma page Facebook ». Le tout gratuitement, pour le seul plaisir des participants.
« Je suis passionné depuis toujours par la photo. J’ai commencé celles de coureurs dans les moments où les blessures et/ou l’impossibilité de courir me laissaient du temps, raconte-t-il. J’allais quand même sur les courses prendre les photos des personnes de mon club, ainsi que des amis. Il y avait aussi d’autres participants bien sûr sur les clichés. Tout naturellement, j’ai pensé à leur en faire profiter. Et petit à petit, j’ai pris tout le monde, du premier au dernier. C’est paradoxal parce que mes problèmes respiratoires et les allergies qui m’empêchaient de courir m’ont rendu disponible pour jouer au photographe sur les courses. »
Claude Eyraud porte un regard très sévère sur les clichés de ses débuts. « Quand je regarde mes premières photos, je ne les apprécie pas du tout, je ne les publierais même pas maintenant, affirme-t-il. J’ai dû m’améliorer et même suivre quelques cours pour bien maîtriser mon appareil. Il n’est pas toujours facile de trouver le bon endroit pour le soleil ou l’arrière-plan qui convient. »
En tant que photographe, il préfère le trail
Quand on lui demande de parler de sa vision du trail, Claude explique à Distances+ qu’il aimait les courses en sentier, mais uniquement comme photographe, pas vraiment comme participant.
« Les coureurs qui cherchaient de meilleurs chronos sur 10 km ou marathon, mais qui ne progressaient plus, ont trouvé un autre challenge en se mettant au trail, mais moi qui tombe souvent, j’évite les trous, les cailloux, les racines et je me contente de la route. Par contre, comme photographe c’est le contraire, j’adore aller partout où se passent les trails. »
Sur certaines compétions, il se sert de sa montre GPS pour mesurer le nombre de kilomètres parcourus au bord du sentier ou de la route appareil photo à la main et il constate qu’il parcourt souvent une plus longue distance que les participants qu’il immortalise. « Deux exemples : sur les 10 km de Cluses, en Haute-Savoie, pour les photos, j’ai fait plus de 11 km. Et sur les dernières séries de 1000 m qui précédent le Meeting Herculis (la rencontre internationale d’athlétisme de Monaco qui se déroule en août), j’ai dépassé les 27 km. »
600e dossards
En décembre dernier, Claude Eyraud a franchi un exceptionnel cap symbolique. « J’ai porté le dossard 600 lors de la course à Monaco “U Giru de Natale” pour ma 600e course, s’enthousiasme-t-il. Un dossard bien aimablement octroyé par l’organisation. J’avais eu aussi eu le dossard 500 pour ma 500e à Contes, dans les Alpes-Maritimes, il y a quelques années. »
Le temps passe, et Claude reste, souliers de course aux pieds. Ses anciens amis et adversaires, eux, sont pour la plupart passés à autre chose. « Très peu d’amis coureurs sont encore actifs, confirme-t-il. Les anciens, je les place dans trois catégories : il y a ceux qui n’acceptent pas de descendre dans les classements et qui passent à autre chose, comme la “rando”. Il y a ceux qui sont maintenant dans les catégories vétérans Masters M8, M9 ou même 10 (nés en 1935 et avant, selon le système de catégorisation de la Fédération française d’athlétisme) et qui continuent tant bien que mal à épingler un dossard sur leur maillot. Je les comprends, j’en fais partie, tant que le physique le permet, pourquoi pas! Et enfin il y a ceux qui sont passés entraîneurs pour transmettre leur passion ou qui sont devenus membres du bureau de leur club pour aider à organiser la vie de celui-ci pour le bonheur des plus jeunes. »
Depuis 1987, les souvenirs se sont accumulés, et la passion de la course à pied est devenue éternelle. « Les années passent… songe Claude Eyraud. Il faut accepter que nos performances diminuent, en essayant de ralentir le processus, mais en gardant toujours autant de plaisir et le même enthousiasme. Si cela disparaissait, ce sera le clap de fin. »
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