Le confinement obligatoire instauré en France pour endiguer le coronavirus ainsi que l’annulation ou le report de toutes les compétitions jusqu’à cet été, a mis la saison de tous les athlètes européens sur pause. Mais comment ont-ils vécu cette période complètement inédite? Distances+ a posé la question à plusieurs des meilleurs traileurs français actuels. Ils y ont répondu alors que le confinement était encore en vigueur.
Nous avons souhaité conclure cette série d’entrevues « spécial confinement » avec le coureur et fondeur émérite Xavier Thévenard, qui a entre autres remporté les quatre courses de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (OCC, CCC, TDS et trois fois l’UTMB).
L’an dernier, le coureur emblématique de l’équipe Asics a terminé deuxième de l’UTMB derrière l’intouchable espagnol Pau Capell, après avoir remporté le 90 km du Marathon du Mont-Blanc pour la deuxième fois, et l’Ultra-Trail du Mont-Fuji au Japon.
Le Jurassien de 32 ans avait décidé que 2020 serait la première année où il vivrait entièrement de la course à pied, en participant à des courses et en assurant ses engagements avec ses partenaires qui, dit-il, lui prennent beaucoup de temps. Jusqu’à présent, il était moniteur de ski de décembre à avril et le reste de l’année il s’appliquait à préparer ses compétitions. Il voulait voir si ça lui permettrait de progresser, mais il devra attendre 2021 pour cela.
Distances+ : Comment as-tu vécu la période de confinement?
Xavier Thévenard : Mon activité de sportif s’est plus cantonnée à de l’entretien pour garder la forme qu’à une préparation d’objectif, puisque de toute façon, des objectifs, il n’y en a pas! Je me suis donc contenté de faire du vélo d’appartement et du renforcement musculaire dans mes escaliers.
Et puis, quand je sortais pour aller faire les courses (de première nécessité), ce n’était pas en voiture, mais à pied ou en vélo. J’estimais que c’était une raison valable pour circuler (au-delà du kilomètre autorisé). Avec mes jambes, ma tête et mon sac, j’ai pu allier l’utile à l’agréable en respectant les consignes. Je joue un peu sur les mots, mais j’ai ma conscience pour moi.
Ça t’a choqué que l’on t’interdise d’aller courir en forêt?
Au-delà du coronavirus, ce qui me choque, c’est qu’il y a une crise qui arrive, en fait on est même en plein dedans, c’est la crise écologique, et qu’on ne fait rien! Il y a plein d’espèces vivantes qui sont en train de mourir, notre faune et notre flore, notre biodiversité sont en train de péricliter. Les scientifiques du monde entier alertent les dirigeants, mais pourtant ils ne bougent pas. Alors que ce sont les scientifiques que l’on écoute durant cette crise pour prendre les décisions. Il y a des aberrations complètes, alors quand je les entends nous dire ce qu’il faut qu’on fasse, ou qu’on ne fasse pas, ça me fait doucement rigoler.
Les autorités évoquaient l’intérêt collectif derrière ces décisions qui ne laissent pas de place aux exceptions.
Quand je vais faire mes courses en vélo, s’il y en a un qui joue le jeu de l’intérêt collectif, c’est bien moi! La pollution tue 600 000 personnes par an en Europe (NDLR : selon un rapport de l’OMS en 2015) et le coronavirus, pour l’instant, c’est 370 000 morts dans le monde (NDLR : selon le recensement de l’AFP fin mai). Moi, quand je prends mon vélo, je n’utilise pas ma bagnole, je n’émets pas de gaz à effet de serre et je vais faire des courses dans une boutique bio.
Aujourd’hui, s’il y a bien quelque chose qui a un impact négatif sur l’environnement, par contre, c’est toute cette agriculture intensive, c’est l’appauvrissement des sols, c’est la pollution des eaux à cause de tous ces produits chimiques que l’on déverse pour cette agriculture. Il y a urgence aussi, mais que fait-on? Rien.
Tu sembles désabusé.
Ouais, un peu. J’essaie de faire avancer les choses autour de moi avec mes convictions pour aller dans le bon sens, en essayant de fonctionner avec logique, mais il y a tellement d’aberrations! Et quand je vois les comportements des gens d’une manière générale, je vois bien qu’on ne va pas dans le bon sens. On est en train de massacrer la vie sur terre.
Là, c’est marrant, on arrive à se priver de certaines libertés individuelles pour le bien commun, alors pourquoi on ne fait pas la même chose pour l’environnement?
Il ne suffirait pas de se priver beaucoup pour changer les choses, comme de consommer bien, en consommant bio, ou encore ne pas systématiquement acheter le dernier truc qui sort. Ça, ça aurait un impact considérable. Mais certains, la première chose qu’ils vont faire quand c’est possible, comme on a pu le voir, c’est d’aller consommer du fast food en se précipitant au McDo. La consommation de ces produits-là est bien plus délétère que le corona. Il faudrait éduquer les gens pour faire comprendre l’impact réel de la malbouffe sur notre environnement, sur les conséquences, par exemple, d’acheter une barquette de bouffe ultra transformée.
Parle-nous de l’impact que cette crise a eu sur ta motivation.
Franchement, moi, ce qui m’anime, c’est le sport, c’est d’être en plein air, c’est de pouvoir transpirer. Aujourd’hui, je n’ai pas d’objectif, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai pas de motivation. Donc, tous les jours, je m’entraîne. Je sors, je fais mon activité sportive parce que c’est quelque chose dont j’ai besoin pour ma santé mentale et physique, mais ce n’est pas une fin en soi. Si c’est une année blanche et si je ne mets pas de dossard, ce n’est pas grave! Je ne suis pas obnubilé par la compétition. J’arrive à relativiser la situation. Et j’ai d’autres centres d’intérêt, même si je m’éclate dans ce truc-là.
Donc tu n’es pas frustré?
Si, forcément ça me frustre! J’aimerais bien aller en Suisse en ce moment, et crapahuter dans le Chablais, mais je fais du sport de proximité à la place et c’est pas plus mal. Je m’adapte. Dans ma situation, je ne sais pas ce qui pourrait me rendre vraiment nerveux.
Et tu sembles aimer cette vie que tu te crées, loin des tumultes de la ville notamment.
Plus j’entends nos dirigeants et plus j’ai envie de me mettre à l’écart de ce bordel et vivre loin de tout ça, oui. J’ai des convictions et j’ai envie d’aller au bout. J’ai des projets extrasportifs aussi. Demain, pour vivre heureux il faudra vivre caché, alors je pense à ça. J’aimerais concevoir une habitation autonome, être indépendant, en autonomie alimentaire pour avoir très peu d’impacts, sans vivre non plus dans une grotte. Ça me botterait vraiment.
As-tu fait une croix sur ta saison? Sur quoi te concentres-tu désormais?
Je devais courir le MIUT en avril, les championnats de France de trail en mai, le Marathon du Mont-Blanc en juin, la Hardrock en juillet et l’UTMB en août.
S’il n’y a pas d’UTMB (NDLR : au moment de l’entrevue, l’UTMB n’avait pas encore été annulé), je vais voir ce qu’il y aura parmi les courses en octobre (NDLR : possiblement les Templiers), mais j’ai surtout dans l’idée de faire des traversées. Je n’en dis pas plus, mais c’est une traversée que j’ai faite l’été dernier (NDLR : il avait parcouru le GR 20 en Corse, soit 180 km et 11 000 m D+ en quatre jours, avec Benoit Girondel) et ça me dit bien de la retenter. Je vais essayer de voir ce que je peux faire en fonction des règles. Après, record de la traversée ou pas, on verra (NDLR : le record est détenu depuis par François D’Haene en 31 h 06). Je ne veux pas en dire plus sur mes intentions pour l’instant.
Un mot, quand même, sur la Hardrock car, décidément, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas? (Xavier avait été arrêté et éliminé alors qu’il menait largement ce 100 miles mythique au Colorado en 2018, et l’événement avait déjà été annulé l’an dernier en raison d’un enneigement des sentiers)
Ouais… Je ne suis pas sûr d’y retourner en fait. J’ai envie d’être en accord avec moi-même et je me demande si c’est très raisonnable, encore aujourd’hui, de prendre un vol long-courrier pour aller courir, alors qu’on a tout ce qu’il faut à côté près de la maison, dans les Alpes. Je me dis que c’est un mal pour un bien. Il n’y a peut-être pas de Hardrock cette année (NDLR : il devait être au départ avec François D’Haene entre autres), mais ça m’évite de prendre l’avion. Plus les années passent et plus je me dis que ça ne rime à rien de faire 15 000 bornes pour aller courir à l’autre bout du monde. Ça ne risque pas de se reproduire, je pense. Je vais rester sur l’édition 2016 avec Kilian, qui était très sympa (NDLR : il avait terminé 3e derrière Kilian Jornet et Jason Schlarb qui avaient passé la ligne d’arrivée ensemble).
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Il faut tout le temps se poser la question : quels sont mes besoins concrets? Est-ce que j’ai vraiment besoin de ces fringues? Savoir faire la différence entre l’envie et le besoin. Si j’ai un trou dans mon short, est-ce que je le change ou est-ce que je le répare?
Je dis ça, mais je ne suis pas exemplaire, parce que forcément, en tant qu’ambassadeur de marques, je fais vendre des produits. J’ai conscience, malgré ce que je dis, que je suis un pur produit de la consommation. Mais quand même, on peut tous faire cet effort, quand on rentre dans un magasin, il suffit de se poser la bonne question.
L’important, aujourd’hui, c’est de pouvoir sauver la vie sur terre. L’être humain, c’est 0,01 % des espèces vivantes sur terre (NDLR : selon une étude parue dans la revue scientifique américaine PNAS en 2018), mais on est en train de massacrer 85 % des espèces vivantes qui existent. L’essentiel, c’est de mettre toutes les forces de notre côté pour que ça continue de tourner. La terre, c’est clair qu’elle va continuer de tourner, mais la vie, ça ce n’est pas sûr. Ce modèle économique est délétère, il faut réfléchir autrement. Et c’est le moment de s’en rendre compte.
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