Après ses deux podiums successifs à l’UTMB (3e en 2021, 2e sous la barre des 20 heures en 2022), le capital notoriété du coureur franco-québécois Mathieu Blanchard a explosé. Tout comme les sollicitations de toutes parts. Fin communicant, très à l’aise pour partager ses expériences et son quotidien de sportif de haut niveau et athlète généreux de son temps, il a dû apprendre à ne plus dire « oui » à toutes les propositions qui se présentent, mais aussi à se protéger des affres de la popularité et de l’ultra médiatisation — en partie née de sa participation à l’émission Koh-Lanta — tout en essayant de garder le contrôle sur la narration de sa propre histoire, à travers ses réseaux sociaux, son livre (« Vivre d’aventures ») ou encore les documentaires dont il est le « héros ». Dans les derniers mois, il a fait notamment l’objet d’un article de plusieurs pages dans « Paris-Match », l’emblématique émission « Intérieur sport » de Canal+ lui a consacré un épisode tout entier et L’Équipe Explore a diffusé un film sur son duo épique dans le désert de Jordanie avec son petit frère amputé d’une jambe (« L’âme frère »). Elle est loin l’époque où Distances+ était à peu près le seul média à raconter les victoires, les aventures et l’évolution de l’ingénieur-athlète montréalais, vedette numéro 1 au Québec, qui avait décidé de s’investir à temps plein dans sa pratique du trail dès 2018.
L’année 2023 aura été pour lui celle de la professionnalisation à 100 %, avec des contrats de partenariat, et donc d’importants engagements, mais cela aura été aussi une année émotive et sous tension, durant laquelle tout ne s’est passé comme espéré. D’aucuns reconnaîtront qu’il a réussi sa saison, marquée entre autres par une 4e place à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, où il brille décidément par sa régularité, mais il avait des objectifs plus grands, plus hauts, plus forts. Tout comme quelques semaines avant, sur la Western States dont il n’avait pas pris le départ avec la 7e place en tête, même s’il a passé la ligne d’arrivée dans un temps plus qu’honorable avec lequel il aurait pu remporter la course californienne il y a quelques années. Désormais installé avec sa compagne et équipière Alix Noblat dans un chalet des 2 Alpes, au cœur du massif des Écrins, Mathieu Blanchard prépare sa saison sans mettre la charrue avant les bœufs. Il souhaite vivre l’hiver à fond, une tradition cultivée au Québec, avant de penser à la course à pied et à cette nouvelle saison qui pointe à l’horizon. Quoiqu’il n’a pas résisté à l’opportunité de participer mi-janvier au trail blanc Les lumières de la Muzelle, qu’il a remporté main dans la main avec son ami Yannick Noël.
Mathieu a accepté de jouer au jeu des Trois questions D+. Et même un peu plus.
Distances+ : Tu as décidé cette année de passer l’hiver en dehors du Québec, dans ton nouvel environnement de vie à la montagne, aux 2 Alpes. Qu’est-ce que ça va changer par rapport aux années précédentes dans le cadre de ta carrière d’athlète ?
Mathieu Blanchard : Mon nouvel environnement ressemble beaucoup à celui du Québec. Mon nouveau camp de base est à 1600 m d’altitude dans les Alpes, et mon terrain de jeu va de 1000 m à 3500 m d’altitude. Donc, en hiver, les conditions sont très similaires à celle du Québec. La grosse différence, c’est l’ajout de l’activité Skimo que je découvre ici.
Comment abordes-tu ta saison 2024 ? Quelles sont les grandes lignes de ton plan de match en ce mois de janvier et tes ambitions ? Qu’est-ce que tu vas garder des saisons précédentes et qu’est-ce que tu vas ou veux changer ?
Après de nombreux changements en 2023, j’aborde cette année 2024 en étant plus serein, avec des équilibres de vie qui se stabilisent.
De mon expérience des saisons précédentes, j’ai choisi de revenir à l’entrainement de l’hiver 2022, où je n’avais pas beaucoup couru. J’avais préparé l’aventure Uapapunan en ski-pulka (une expédition de 250 km dans « l’œil du Québec », dans la réserve Manicouagan-Uapishka, pendant 10 jours par -40°C avec l’aventurier Loury Lag, NDLR) et j’étais arrivé relativement frais en été avec d’excellentes sensations. Je ne veux pas m’entraîner comme l’hiver dernier avec beaucoup de course à pied parce que j’étais arrivé sur la saison de trail assez fatigué (il avait notamment couru le Marathon de Paris en 2 h 22 min 36 s, NDLR).
Le plan de match pour la saison de trail 2024 n’est pas encore figé. J’avance cette année au gré de mes sensations et de mes envies. Pour le moment, je me focalise sur l’entrainement hivernal en skimo, avec en ligne de mire, mi-avril, la prestigieuse Patrouille des Glaciers (course mythique de ski alpinisme par équipe de trois, organisée tous les deux ans par l’armée suisse, NDLR). Ensuite, on verra bien. C’est sûr que la Diagonale des fous en octobre reste un objectif, mais je n’ai pas encore arrêté mon choix à 100 %. Je suis encore en train de challenger mon « WHY ». Je tente de retrouver une énorme flamme et un équilibre général. Donc pour le moment, je me focalise sur les activités sportives hivernales et la course à pied, je la pratique juste en mode plaisir. Je commencerai à prendre des décisions sur ma saison de trail seulement après le stage avec l’équipe Salomon, qui aura lieu en Corse au printemps.
L’année 2023 aura été pour toi, d’une certaine façon, la saison de la pression. Parce que tu es devenu — après ta troisième place à l’UTMB 2021, mais surtout après ta deuxième place à l’UTMB 2022 derrière Kilian Jornet avec une arrivée en moins de 20 heures (172 km et 10 000 m D+) —, l’un des traileurs les plus populaires et les plus suivis de la planète, que tu es désormais systématiquement attendu au tournant par les observateurs de notre sport et les médias, et parce que tu es soutenu désormais par plusieurs partenaires et acteurs majeurs du monde du trail. Qu’as-tu appris de ça et qu’est-ce que tu as mis en place pour te sentir « plus serein », comme tu dis, et moins pris à la gorge ?
Effectivement, passer d’un statut « d’outsider » à un statut de « favori » changent énormément de choses, dont la pression et la charge mentale. J’ai appris qu’un statut est un vrai nouveau mode de vie, comme changer de métier. À nouveau, l’équilibre est drastiquement bousculé, et seul le temps permet de retrouver de l’apaisement. Alors, je prends du recul, je lâche un peu prise, et je laisse l’équilibre se refaire.
Question subsidiaire : As-tu désormais un entraîneur pour t’accompagner ou tu continues de mener ta barque en solo ?
Oui, pour la première fois de ma carrière, je vais essayer une saison avec un entraineur, que je qualifierais plutôt de « mentor » puisque nous co-construisons les programmes ensemble. Mais on ne souhaite pas en faire quelque chose de médiatique.
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