La championne du monde de trail long Marion Delespierre n’accrochera pas de dossard sur son ventre rond en 2024. La coureuse lyonnaise a annoncé en ce début d’année que le seul ultra auquel elle se préparerait cette année est celui de donner naissance à son bébé. Compétitrice, elle ne s’arrêtera pas de courir pour autant et n’a pas l’intention de faire une croix sur sa carrière de haut niveau, ni sur sa carrière professionnelle de médecin de sport.
L’ancienne nageuse — elle a été vice-championne de France junior en brasse dans sa jeunesse —, a trouvé l’équilibre en conciliant sa vie de femme, sa vie d’athlète et sa vie professionnelle, ajoutant même à son arc la corde de l’enseignement puisqu’elle intervient à l’Université de Besançon dans le cadre du DU de trail running où elle donne un cours sur les femmes et la course en sentier.
Marion Delespierre court depuis 2013. Elle a remporté sa première grande victoire en 2019 lors de la Maxi-Race du lac d’Annecy après être montée sur le podium du 90 km du Mont-Blanc (2018). Elle a entre autres à son palmarès une 2e place à la Diagonale des fous (2019), une 4e place à l’UTMB (2021) et, la même année, une victoire au 85 km du MIUT à Madère. Outre son sacre mondial individuel à Innsbruck, en Autriche, en juin 2023 — qu’elle avait qualifié de « surprise » tant elle s’attendait à ce que ce soit plutôt sa copine Blandine L’hirondel qui l’emporte (abandon sur blessure)—, Marion est également double médaillée d’or par équipe avec les Bleues (Chiang Mai 2022 et Innsbruck 2023).
Entre deux patients, la traileuse funambule a joué le jeu des trois questions D+.
Distances+ : Qu’est-ce que ton titre de championne du monde de trail long a changé à ta vie ? Est-ce qu’il y a eu un avant et après ? Et qu’est-ce qu’il te reste en mémoire de cette journée-là ?
Marion Delespierre : Il n’y a pas eu de changements notables dans mon quotidien. Je me lève toujours tous les matins pour aller travailler à 8 h.
Par contre, certains détails ont changé, notamment vis-à-vis de mon sponsor (ON, NDLR), et je perçois une certaine reconnaissance globale, même de mes patients.
Il me reste beaucoup d’émotions, de fierté, de cette journée du 9 juin 2023. Quand j’ai un coup de mou dans ma journée ou que je doute sur mes choix, je ferme les yeux et je me revois passer cette ligne d’arrivée. Ça me rebooste.
2024 est une année olympique, c’est aussi l’année des championnats d’Europe de trail organisés cette année en marge de la Maxi-Race du lac d’Annecy en France, mais pour toi, elle sera peut-être moins athlétique qu’à l’accoutumée puisque tu te prépares, je te cite, pour un « ultra pas comme les autres ». Comment vis-tu la perspective de devenir maman ? Comment abordes-tu cette nouvelle « aventure » d’endurance et quelle place penses-tu donner à la course à pied en particulier et aux sports en plein air en général en parallèle de ta grossesse ? Et question importante en 2024 : comment tes partenaires composent-ils avec cette nouvelle ?
On peut parler d’aventure, d’apprentissage sur soi et d’émotions parce que je pense que ça va m’en apporter beaucoup. C’est une course de manière différente. C’est l’inconnu, un ultra dont je n’ai jamais pris le départ. Avec Nico, mon conjoint, nous avons fait quelques courses en duo, celle-ci en est une autre, sauf qu’on va finir à trois, c’est beau non ?
Je continue les sports plein air, le ski cet hiver, la course à pied, le trail, la rando… Je ne voulais pas me priver et pour l’instant tout se passe bien, donc j’en profite ! Le sport m’a toujours apporté beaucoup d’équilibre et de bien-être, or le bien-être maternel est très important dans cette phase de vie. Le tout est de se faire confiance et d’être un minimum renseignée.
Mes partenaires sont très contents pour moi. ON me soutient à 100 %. Au moment de la signature de mon contrat, fin 2023, je leur en ai parlé, et cela n’a rien changé aux conditions qu’ils m’offraient comme athlète de l’équipe. Pour les autres, comme Meltonic par exemple, ils sont très heureux aussi et ils continuent à me soutenir.
Parmi les mythes largement véhiculés dans la société, il y a le fait qu’une femme enceinte devrait arrêter le sport et arrêter de courir pour ne pas « prendre de risques » ? Comme médecin, que réponds-tu aux personnes qui prônent la sécurité face aux risques présumés pour une femme enceinte, convaincues qu’elle met en danger sa santé et son bébé si elle continue de courir ? À quoi doit-on éventuellement rester vigilant·e ? Et quels sont les avantages de continuer à courir et à faire du sport tout au long de la grossesse ?
Je leur réponds que c’est un principe de précaution, beaucoup utilisé en médecine. Par prudence, on préfère évincer la course. Il y a quelques années, c’était globalement l’activité physique qui était déconseillée aux femmes enceintes.
Les recommandations, c’est de bouger 30 minutes par jour minimum, à intensité modérée ou vigoureuse si cette activité était déjà pratiquée avant la grossesse, c’est d’éviter les sports à risque de chutes ou de trauma — la course à pied ne fait pas partie de ces sports-là — et, oui, on doit rester vigilants et s’assurer qu’on n’a pas de « pertes », pas de saignements, pas de contractions et pas de douleurs, sinon il faut s’arrêter et consulter un médecin.
Les avantages sont un bien-être maternel, d’abord mental puis physique.
Pour la santé de la maman, ça limite le diabète gestationnel, la prise de poids, l’hypertension qui peut être une complication pendant la grossesse, et on constate aussi moins de douleurs musculo-squelettiques globalement.
Quant au fœtus, il n’y a pas de grosses variations de sa fréquence cardiaque en lien avec l’effort maternel et, en plus, il est protégé par l’utérus et le liquide amniotique.
Question subsidiaire : Comment images-tu la suite pour toi, lorsque ton bébé sera arrivé ? Penses-tu poursuivre ou reprendre de front ta carrière de haut niveau et ta carrière de médecin du sport en parallèle de ta nouvelle vie familiale ?
Je pense que c’est dur de s’avancer. Ça va être un gros changement qui va nécessiter de l’organisation. Après, mon quotidien est déjà bien rythmé. Disons que j’ai l’habitude d’être « au seuil » tout le temps dans ma vie.
Mon souhait le plus profond, c’est de reprendre à 100 % et j’espère au même niveau. Je sais que le challenge sera compliqué, athlète de haut niveau et maman, on en voit, mais athlète plus maman plus médecin à temps plein, c’est moins fréquent. Mais certaines l’ont fait. Je pense à Anne-Lise Rousset qui a aussi une carrière professionnelle bien remplie (vétérinaire à plein temps, la championne de France de trail long 2023 avait battu le record de la traversée du GR20 quelques mois après avoir donné naissance à son petit garçon, NDLR). Clairement, elle m’a montré la voie. Elle a montré que c’est possible. Ceci dit, c’est sûr qu’il y aura des adaptations à faire et que dans mes trois piliers « famille, sport et boulot » il faudra nécessairement réduire un peu la voilure sur certains points. Pourquoi pas au niveau professionnel.
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