Trois questions à Marianne Hogan : « cette dernière blessure m’a grandement assagi »

Interview

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Marianne Hogan appréhende la saison 2024 avec un grand sourire - Photo : Martiskka / Salomon Running
3 questions à

La carrière de traileuse de Marianne Hogan pourrait se résumer, jusqu’à présent, à des montagnes russes, qu’elle dévale avec un large sourire, tantôt en criant de joie, tantôt en serrant les dents, en étant toujours prête à repartir pour un tour. À l’orée de sa saison 2024, la championne québécoise semble toutefois résolue à changer de dynamique en mettant fin au cercle vicieux des blessures qui l’assaillent, sans pour autant cesser de partir courir longtemps et de grimper haut pour mieux contempler les sommets.

Entre 2015 et 2017, la jeune athlète canadienne a débarqué sur les sentiers et rapidement creusé son sillon sur les courses américaines, remportant de belles victoires comme le 50 miles de Behind the Rock, avant de s’offrir un premier séjour dans les Alpes pour gagner la Transalpine en duo mixte avec l’un de ses meilleurs amis, Mathieu Blanchard — après qu’ils aient tous les deux été repérés par Salomon. Malheureusement, l’enthousiasme de Marianne a vite été douché par une jambe cassée. Elle a dû faire preuve d’une infinie patience avant de remettre un dossard, d’autant que la pandémie est venue prolonger sa convalescence. En 2021, de retour à son plus haut niveau, elle a enchaîné une deuxième place à l’Ultra-Trail Harricana du Canada (Québec) et une deuxième place à l’Ultra-Trail Cape Town (Afrique du Sud) derrière l’Américaine Courtney Dauwalter. En quelques mois, elle a ensuite exposé son talent au monde entier en remportant la Bandera 100 au Texas puis en montant sur le podium de la Western States en Californie avant de signer sa plus prestigieuse performance à l’UTMB (2e derrière l’Américaine Katie Schide) à Chamonix. Ce moment fort a pourtant été à l’origine d’un nouvel arrêt brutal puisque Marianne avait parcouru les 40 derniers kilomètres de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc dans le dur, aux prises avec une énorme déchirure au niveau de la hanche. Elle a dû faire une croix sur sa saison 2023, du moins sur les grands objectifs qu’elle s’était fixée. Ce qui a mis son positivisme légendaire à rude épreuve. Elle a toutefois pu tester sa nouvelle approche de l’entraînement en fin d’année, marquée par une victoire en Chine sur le 80 km du Tsaigu et une nouvelle belle deuxième place sur le 100 km de l’Ultra-Trail Cape Town (qui fait partie du nouveau circuit World Trail Majors) devant la Néo-Zélandaise Ruth Croft.

À défaut de courir au plus haut niveau comme elle l’espérait l’an dernier, l’athlète de 33 ans a continué de tisser des liens avec ses amis du Team Salomon, à l’image des Français Camille Bruyas et Thibaut Baronian à l’occasion de virées dans les Alpes françaises, dont elle est tombée en amour. Il ne faudra donc pas s’étonner de la voir encore gambader sur les sentiers français cette année. Marianne Hogan a joué le jeu des trois questions D+.

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Les membres de l’équipe internationale de Salomon Marianne Hogan, Courtney Dauwalter, Mathieu Blanchard et Thibaut Baronian et le team manager Vincent Viet avant la Western States 2023 – Photo : Alexis Berg / Salomon Running

Distances+ : Après une année de trail exceptionnelle, entre ta 2e place à l’UTHC au Québec en septembre 2021 et ta 2e place à l’UTMB en septembre 2022, en passant par une 2e place à l’UTCT, une victoire à la Bandera 100 et une 3e place à la Western States, tu as été confrontée pour la deuxième fois de ta carrière d’athlète à une longue traversée du désert pour réparer ton corps meurtri. Qu’est-ce que tu vas retenir de cette période ? Quels enseignements tu en as tiré ? Et, d’ailleurs, es-tu définitivement de retour dans le jeu au plus haut niveau, comme ta fin d’année 2023 le laisse présager ?

Marianne Hogan : L’année 2022 a été une grande année pour moi, mais je dois avouer qu’elle m’a laissée sur une grande faim. Elle s’est conclue avec une deuxième place de rêve à l’UTMB, mais elle s’est aussi conclue avec une très grosse déchirure au psoas qui a nécessité trois mois complets sans course.

Lorsqu’est venu le temps pour moi de recommencer à courir, fin 2023, je ressentais encore énormément d’inconfort dans la région de ma hanche, malgré des IRM qui révélaient un psoas « guéri ». J’étais tellement motivée à recommencer à courir, et surtout à recommencer de m’entraîner en vue de mes objectifs de 2023 (Western States et UTMB de nouveau, NDLR), que j’ai complètement fait fi de mes sensations, en espérant que mon corps s’adapte en cours de route. Il s’est adapté, mais pas de la façon que je voulais. Il a encaissé les coups et je me suis retrouvée avec une fracture de fatigue du pubis, qui m’a coûté un autre trois mois sans entraînement, et plusieurs objectifs « clé » de ma saison. Mais je dois dire que cette dernière blessure m’a grandement assagi et m’a forcé à changer ma façon de faire. J’ai commencé à travailler avec un entraîneur et je diversifie grandement mon volume d’entraînement. Jusqu’à présent, mon corps réagit très bien, et même si je n’ai eu que trois mois de préparation avant mes deux seules courses de la saison 2023 (Tsaigu et UTCT), mes résultats m’ont vraiment encouragé pour la saison 2024 (victoire proche de son meilleur niveau de performance et 2e, NDLR).

En ce début d’année, tu as pris la décision de quitter le Québec pour devenir officiellement « nomade ». Qu’est-ce que ça signifie concrètement ? À quoi va ressembler ta vie désormais ? Et pourquoi ce choix ? D’ailleurs, quels sont les endroits du monde qui te font rêver et où tu as l’intention de séjourner ?

En fait, je vivais déjà un peu de façon nomade, mais il m’est apparu évident l’année dernière à quel point j’appréciais la France et ses terrains de jeux multiples. J’adore les hautes montagnes, les parcours à vélo qui incluent des cols mythiques, et découvrir de nouvelles cultures à travers de nouvelles personnes. Bref, j’aime explorer de nouveaux endroits. J’ai donc décidé de me départir de mon « chez-moi » montréalais, et de devenir 100 % nomade, en choisissant mes destinations en fonction de mes courses, et de certains camps d’entraînement.

Je pense passer le plus grand de mon temps en Europe cette année, dans les grandes montagnes. Peut-être que je vais trouver un endroit où m’établir plus sérieusement, mais je ne suis pas pressée de m’installer, je veux d’abord bien profiter de cette période plus flexible de ma vie.

Depuis l’an dernier, tu es coachée par l’ancien team manager de l’équipe internationale de Salomon Greg Vollet (remplacé en 2023 par Vincent Viet). Qu’est-ce que cela t’apporte d’être accompagnée dans tes entraînements, toi qui appréciais ton indépendance et sortir quand tu en avais envie, le temps que tu en avais envie et où tu en avais envie ? Et quel est ton plan de match, mais aussi tes ambitions, pour la saison 2024 ?

C’est drôle parce que j’ai toujours été réticente à l’idée d’avoir un entraîneur en ultra. J’avais peur que cela m’enlève mon niveau de plaisir profond que je ressentais quand j’allais courir avec aucun plan en tête. Par contre, en 2023, il a fallu que je me rende à l’évidence : je n’étais pas capable de contenir mon enthousiasme vis-à-vis de mon entraînement et j’avais besoin d’un système de contrôle pour que je puisse tout gérer. Ça s’est passé de façon très fluide. Greg m’a toujours épaulé dans ma carrière d’ultra-traileuse. On se connait depuis 2017 et il m’a toujours conseillé en termes de planification de courses, stratégie de course, etc. Il m’avait même prévenu quelques semaines avant que je me blesse en 2023, que j’en faisais trop. Il a donc été normal et naturel pour moi que je me tourne vers lui pour des besoins d’entraînements.

Je dois admettre que je suis surprise à quel point je prends plaisir à suivre un plan d’entraînement. Je ne m’y attendais pas du tout. Et je pense que cela apportera beaucoup sur le long terme dans ma carrière. Je réalise qu’il y avait encore plus de curseurs sur lesquels nous pouvions jouer afin d’essayer d’améliorer ma performance en ultra. J’ai hâte de voir ce que ça donnera. Mais bien sûr, le curseur plaisir demeure le curseur le plus important dans ma pratique et Greg s’adapte pour moi à ce niveau lorsque vient le temps de faire le plan. Lorsque certaines aventures se présentent et qui m’intéressent grandement, il est flexible pour les intégrer à mon programme.

Pour 2024, je préfère regarder la saison une course à la fois. Elle débutera avec la Transvulcania. J’ai toujours voulu aller aux Îles Canaries et participer à cette course, et je pense que cette année sera la bonne. Le niveau semble très relevé et j’adore ça ! Si tout se passe bien, j’enchainerai sur le 111 km de la Swiss Canyon trail qui fait dorénavant partie de la World Trail Majors. 

J’irai aussi pacer Camille Bruyas à la Hardrock.

Question subsidiaire : Est-ce que – si ces deux premières courses se passent comme tu le souhaites et que tu en sors sans bobo – l’UTMB, où tu es qualifiée grâce à ton UTMB score, pourrait être de nouveau un objectif de ta saison 2024 ? 

Oui, j’ai dans la tête l’UTMB comme jamais ! Mais bon, je ne veux pas m’emporter trop tôt. Une course à la fois.

À noter que vous pouvez suivre la saison de la championne québécoise régulièrement dans le balado Pas Sorti du Bois du Bois.

Marianne Hogan sera également de nouveau membre en 2024 de La Bande à D+, le podcast de Distances+, aux côtés de Sabine Ehrström, Blandine L’hirondel, Florence Morisseau, Fiona Porte, Ludo Collet, Ugo Ferrari, Thomas Lorblanchet, Nico Martin et Robin Schmitt. À noter l’arrivée dans la bande pour cette troisième saison de Sissi Cussot, Véronique Billat, Stéphane Brogniart et Jean-Michel Faure-Vincent.


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