Le Jurassien Damien Humbert est l’un des traileurs les plus performants — et les plus discrets — de sa génération. Au classement international (ITRA), le spécialiste des courses de skyrunning figure en ce mois de mai 2024 dans le top 3 des meilleurs athlètes français sur demi-maratrail — dominé par le champion d’Europe de course en montagne Sylvain Cachard — et dans le top 5 sur maratrail. Il a débuté la compétition avant son vingtième anniversaire, en 2013, et n’a cessé de progresser depuis, de manière quasi linéaire, jusqu’à son plus gros coup d’éclat en carrière, l’année dernière, à la Transvulcania sur l’île volcanique de La Palma aux Canaries. Il avait terminé juste derrière l’Américain Dakota Jones sur l’épreuve de 73 km et 4600 m D+ et avait été crédité d’une cote de performance de 914 sur 1000. Le très haut niveau mondial en somme.
Avant cela, Damien avait cumulé plusieurs victoires sur une large palette de distances sur des événements emblématiques dans le monde du trail, comme la Whistler Alpine Meadows au Canada — où Damien a vécu quelques années —, l’Ultra 01, la Stromso Skyrace, le Trail du Petit Saint-Bernard, l’Istria 100, le Wildstrubel by UTMB ou encore l’Ultra-Trail Côte d’Azur Mercantour (UTCAM). Le jeune trentenaire s’était aussi illustré avec un top 10 à Sierre-Zinal (9e) en 2021. L’année suivante, il avait manqué d’un chouilla la victoire au classement général du circuit mondial de skyrunning (Skyrunner World Series), laissant les honneurs à son rival espagnol Nicolas Molina.
Ces dernières saisons ont malheureusement aussi été marquées par les blessures qui l’ont contraint à faire une croix sur ses gros objectifs, comme l’OCC ou la CCC. D’ailleurs, il doit composer en ce début d’année avec une pubalgie qui l’a forcé à renoncer aux championnats de France de trail et à la Transvulcania, l’une de ses courses préférées. Mais il a quand même pris le départ du kilomètre vertical — où il avait terminé 2e en 2023 — pour tester son corps. Un coup de chaud a refroidi ses ardeurs. Le lendemain, il était au départ du semi-marathon, mais sans aucune attente (Damien a pourtant terminé 4e « sans pousser sur la fin pour ne pas [se] faire mal aux adducteurs). Car s’il a gniak et qu’il a hâte de remettre un dossard avec des ambitions, il a appris que la patience et la frustration sont parfois de mise pour espérer un retour magistral plus tard. Pour lui, ce sera peut-être dès le Marathon du Mont-Blanc fin juin.
Damien Humbert, qui a intégré en janvier le nouveau team New Balance sous la coupe de Jean-Michel Faure-Vincent, a joué le jeu du « trois questions à », avec humilité et générosité. INTERVIEW
Distances+ : Depuis plusieurs années, tu es identifié par les observateurs du trail comme l’un des athlètes français au plus gros potentiel. Tu l’as confirmé à de multiples reprises, notamment sur les courses du circuit mondial de skyrunning que tu as failli remporter en 2022, ou encore lors de l’édition 2023 de la Transvulcania, où tu termines à la deuxième place juste derrière Dakota Jones, mais ces performances de haut niveau sont régulièrement ponctuées par les blessures et tu as dû renoncer à quelques courses parmi tes « objectifs A ». Comment décrirais-tu, toi, tes premières années de carrière, comment vis-tu mentalement ces blessures et quel est ton état de forme physique ?
Damien Humbert : Cela fait au moins depuis 2016 que je me suis rendu compte que mes bonnes sensations en course à pied et mon niveau physique pouvaient me permettre de performer à haut niveau, mais ce n’est qu’en 2019, lorsque je suis rentré en Europe (après un temps passé au Canada), que je me suis confronté à la concurrence, avec des difficultés au début dues à mon manque d’alimentation en course, que j’ai corrigé par la suite. Et c’est depuis 2020 que j’ai découvert l’univers élite de la course en montagne et que j’ai peu à peu structuré ma façon de m’entraîner, voire peut-être trop planifié.
2020 a été en quelque sorte l’année de la révélation, où je me suis rendu compte que même en m’entraînant moins que de nombreux coureurs de haut niveau, j’étais capable de m’approcher de leurs performances.
En 2021, j’ai expérimenté mon premier contrecoup à cause de ma planification de l’entraînement, ne trouvant pas assez de sens dans le fait de simplement suivre un plan d’entraînement jour après jour.
C’est en 2022, après avoir repris en main ma préparation, que j’ai le mieux vécu une saison de course à pied, avec de belles performances certes, mais aussi un style de vie en adéquation.
Mes deux récentes blessures sont vraisemblablement dues à un surentraînement, non en termes de volume, mais plutôt d’intensité moyenne. J’ai déjà reculé une fois sur le fait de me faire entraîner, et je pense actuellement repartir de mon côté pour la partie planification. Je suis perfectionniste et ça me pousse à toujours, coûte que coûte, à suivre le plan, voire à en ajouter un peu si possible, ce qui m’a mené droit dans le mur à deux reprises.
Concernant mon état mental, cette deuxième blessure (la pubalgie) m’a permis de réaliser que mon approche de l’entraînement cette année ne me convenait pas. Selon moi, les blessures sont une occasion de réfléchir à notre pratique et de corriger le tir pour que ça ne se reproduise pas.
Ma vision de l’entraînement, c’est de ne pas avoir l’impression de m’entraîner en suivant scrupuleusement un plan. Ça ne me correspond pas. Moi, je m’épanouis en sortant courir tous les jours et en plaçant des séances que j’estime appropriées en fonction de mon objectif à venir. En me faisant coacher, je peux perdre ce plaisir-là. C’est pour ça que j’aime gérer moi-même ma préparation. Ça me permet aussi et surtout d’être en permanence à l’écoute de mon corps et de mon état d’esprit.
Actuellement, je suis en phase de rééducation après ma pubalgie, qui s’est traduite par un œdème osseux au pubis, et je reprends tranquillement la course à pied et le renforcement spécifique à l’aide d’un préparateur physique.
Je me sens physiquement très en forme malgré le fait que je cours peu et que je fais surtout du vélo. C’est pour cela que j’ai renoncé cette année à participer au 72 km de la Transvulcania, n’étant pas capable mécaniquement d’atteindre mon objectif de moins de 7 heures, et ne souhaitant pas prendre le risque de retomber dans la blessure.
En revanche, je me suis mis le petit défi de courir le km vertical, et si je n’ai aucune douleur, le semi-marathon de la Transvulcania, qui a retrouvé son beau parcours d’origine.
Tu as intégré en ce début d’année la nouvelle équipe de New Balance (en provenance de l’équipe Inov-8), qui se donne quelques années pour faire sa place dans le monde du trail en Europe. Qu’est-ce que ça change et qu’est-ce que cela signifie pour toi concrètement de faire partie d’un « team », de toute évidence ambitieux ?
Mon intégration à New Balance ne change pas en soi ma préparation et mon niveau sportif. En revanche, cela m’enlève un poids logistique et financier important pour continuer à mener un style de vie tourné vers la performance dans les courses de montagne.
Je pense être encore à la recherche de l’équilibre optimal pour performer au mieux de mes capacités et New Balance vient clairement ajouter une grosse pierre à l’édifice. Du côté de la logistique pour les courses et certains stages, je peux compter aujourd’hui sur Jean-Michel Faure-Vincent (team manager de l’équipe Salomon pendant 20 ans avant d’embarquer dans le projet New Balance début 2024, NDLR) pour en organiser la majeure partie et je pourrai également bénéficier de sa grande expérience dans les compétitions de haut niveau, notamment pour l’UTMB.
Je dois aussi ajouter que la vision de Jean-Michel concernant la performance dans notre discipline me plaît beaucoup.
Je suis aussi un observateur du trail, et ce depuis que Thomas Janichon me l’a fait découvrir en 2012. J’ai toujours eu ce caractère plutôt réservé, et le fait de prioriser la performance avant la mise en lumière sur les réseaux sociaux me paraît tout à fait logique. J’espère acquérir progressivement l’expérience nécessaire pour partager davantage de bons conseils et anecdotes aux personnes qui me suivent, mais bien entendu ça restera avec parcimonie.
Quelles sont tes priorités pour 2024 et comment te vois-tu évoluer dans le monde du trail ?
Ma grande priorité est de trouver un système qui fonctionne pour concilier mes différentes activités professionnelles, dont le trail, dans le but de performer sur des échéances clés à partir de 2025. Je sais que cette année sera encore du rodage, notamment avec ma première participation à l’Ultra-Trail du Mont Blanc (170 km, 10 000 m D+), mais aussi que je ne suis pas à l’abri de belles performances sur l’une des dates que j’ai cochées dans l’été.
Dans les prochaines années, je me vois évoluer sur des distances un peu plus longues, autour de 80-100 km, et pourquoi pas de me consacré à l’ultra-trail en fonction de mon expérience à l’UTMB 2024. Je souhaite aussi tenter ma chance pour aller faire les mondiaux à Canfranc en Espagne et porter pour la première fois le maillot bleu, blanc, rouge, puisque le parcours s’annonce magnifique et dans mes cordes.
Question subsidiaire : Quel est, au moment où l’on se parle, le moment le plus fort, intense ou épique de ta carrière et pourquoi ?
Je retiens deux moments de trail en particulier, le premier, ma bataille avec Kieran Lumb en 2016, sur la course en montagne Seek the Peak, reliant Ambleside (bord de l’océan à West Vancouver) à Grouse mountain en passant par le sommet.
Ensuite, je garde un souvenir mémorable du format 85 km de l’Ultra 01 que j’ai couru en 2019 parce qu’il passait dans mon village, Giron. J’ai savouré tout le parcours, surtout les encouragements des copains tout du long, et la fierté d’exposer le pourquoi je passe tant d’heures à courir et faire du sport en nature aux Gironnais qui suivent mes aventures depuis déjà quelques années. Ce n’était pas une grande course en termes de niveau, mais la symbolique l’était.
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