Trois questions à l’ultra-traileuse XXL Claire Bannwarth, double vainqueure de l’infernale Spine Race au Royaume-Uni

Interview

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L'ultra-traileuse XXL Claire Bannwarth a remporté la Spine Race au Royaume-Uni pour la deuxième année consécutive (5e au classement général) - Photo : Montane Spine Race
3 questions à

Après avoir réalisé sa saison la plus intense en carrière en 2023, avec 28 courses d’ultra-distance (et souvent la victoire à la clé et des podiums au classement général), plus de 12 000 km et 270 000 m D+ au compteur, l’Alsacienne Claire Bannwarth a l’intention de monter encore d’un cran en 2024. La détentrice du record sans assistance du Colorado Trail aux États-Unis (un sentier de 800 km traversant huit chaînes de montagne entre Denver à Durango) vient d’ailleurs d’inaugurer son année de course à pied par une nouvelle victoire sur la Spine Race, tracée sur le plus vieux sentier balisé d’Angleterre, entre le nord du pays et l’Écosse. Elle a passé la ligne d’arrivée ce jeudi 18 janvier dans sa grosse « doudoune » après avoir affronté les 431 km et près de 11 000 m D+ dans le froid et le vent glacial en 92 heures et 2 minutes, contre 97 heures et 39 minutes l’an dernier. Elle s’offre du nouveau la 5e place au scratch sur 160 participants. À peine reposée de son premier ultra-trail XXL de la saison, Claire a joué le jeu des « Trois questions D+ ».

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Claire Bannwarth à l’arrivée de la Spine Race 2024 – Photo : Montane Spine Race

Distances+ : Tu entames ta 8e saison de trail et ta 6e saison comme « cumularde ». Dès 2018, tu avais participé à neuf ultras référencés par l’ITRA – mais sans doute davantage en réalité — et tu t’épanouis désormais dans cette pratique. Qu’est-ce que tu retiens de ton évolution dans le monde du trail et des ultras XXL au-delà de 100 ou 200 miles ? Et qu’est-ce qui te rend heureuse et te motive à continuer, en augmentant la charge chaque année ?

Claire Bannwarth : Les ultra distances, c’est vraiment une discipline à part qui nécessite une grande connaissance de soi-même et de ses propres limites. Celles-ci sont dures à trouver, mais j’en envie de voir jusqu’où je peux aller. J’ai envie de courir toujours plus loin et toujours plus vite, tout en faisant ce que j’ai envie à l’entrainement, car je ne suis pas pro. J’ai énormément progressé depuis mes débuts et je continue à progresser chaque année, tout en prenant du plaisir à chaque course et dans ma vie de tous les jours, et ça me motive à tenter toujours plus haut, car je sais que j’en ai les capacités.

En janvier, normalement, on demande aux athlètes à quoi leur saison va ressembler et quels sont leurs objectifs, leurs ambitions. Nous sommes le 18 janvier et, toi, tu as déjà une victoire sur ultra de plus de 431 km sur la mythique Spine Race au Royaume-Uni. Tu as terminé de nouveau 5e au général et tu améliores de quasiment une demi-journée (environ 5 h 30) ta performance de l’an dernier. Raconte-nous les grandes lignes de ta course, à chaud puisque tu viens pour ainsi dire de passer la ligne ? Qu’est-ce qu’il t’est arrivé de plus fou durant ce périple où les conditions hivernales semblaient, de loin, moins rugueuses qu’en 2023, même si l’hiver et la neige étaient encore de la partie ?

À chaud, cela va être dur, vu que cette année les températures étaient glaciales, entre -5 et -10 degrés dans l’ensemble, avec des -20 degrés en ressentis avec le vent sur les sommets. J’ai eu les lacets de mes chaussures gelés en permanence, ce n’est pas pratique pour changer de chaussettes ou si les pieds gonflent ! Pareil pour les flasques, je n’ai pas pu beaucoup boire.

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Je suis partie à mon rythme. J’étais 27e au bout de 10 km. J’ai fait tranquillement ma course sans trop me soucier des autres, et j’ai fait le « Pac-Man » du début à la fin, jusqu’à atteindre la 5e place au scratch, ce qui au vu de la start-list de folie au départ était assez inespéré ! J’ai surtout pris beaucoup de plaisir, grâce à mes trois doudounes et ma paire de gant premier prix Décathlon qui a fait plus que le job. Et j’ai réussi à courir fort du début à la fin, le tout avec zéro minute de vrai sommeil. Je me suis allongé 40 minutes vers la mi-course, mais je n’ai pas réussi à fermer l’œil. Je ne vous dis pas les belles hallucinations que j’ai eues la dernière nuit !

Moi, j’ai trouvé les conditions de cette année beaucoup plus dures dans l’ensemble par rapport à l’année dernière, parce qu’au final, à part les 12 premières heures où il avait plu et les trois mètres de neige dans les monts Cheviot, on avait eu droit à des conditions exceptionnellement sèches et des températures agréables. Là, certes, le sol était plus dur sous les pieds dès le départ, mais tellement gelé que c’est vite devenu glissant et dangereux, avec des plaques de glace, des rochers gelés…

On a également eu droit à de la neige tout le mardi qui a transformé le sol en une immense patinoire. Je suis d’ailleurs tombée plusieurs fois assez rudement, dont une fois la tête la première sur un caillou. Ma mâchoire a pris cher. Je me suis même demandé si elle n’était pas cassée, puis j’ai commencé à saigner abondamment. J’ai emballé tout ça dans un buff pour faire un peu compression, car il faisait tellement froid et tellement nuit que je ne pouvais pas m’arrêter soigner ça, puis j’ai essayé de rejoindre le plus rapidement possible le check point suivant. Ils m’ont soulagé, car ce n’était au final qu’une petite plaie et un bleu de l’espace. Je suis également tombée lourdement sur mon épaule droite plusieurs fois, et j’ai passé six heures à ne pas pouvoir le lever ou utilisé un bâton. Bref, des conditions pas faciles, mais finalement typiques de la Spine.

La liste des courses et tentatives de FKT prévues en 2024 est hallucinante, même si comme tu l’as souligné avec espièglerie, il te reste deux-trois week-ends de libres. Là-dedans, qu’est-ce qui t’excite le plus. Si tu devais réussir trois ultras parmi la trentaine d’événements que tu as cochés cette année, lesquels seraient-ils ? Et pourquoi ?

– Ma tentative de FKT sur le Long Trail début juillet (273 miles à travers les Green Mountain au Vermont jusqu’à la frontière canadienne et le Québec, NDLR), parce que c’est un sentier mythique de l’Est des États-Unis. Je vais essayer de le réaliser entièrement « unsupported », sans assistance donc. Après mon expérience réussie du Colorado Trail l’été dernier, j’ai définitivement envie de me lancer sur beaucoup plus de projets de FKT multijours. Si je n’avais pas un travail à temps plein, je me prendrais d’ailleurs bien une année off pour faire le Triple Crown of Hiking (trois grands sentiers qui traversent les États-Unis du nord au sud, à savoir l’Appalachian Trail, le Pacific Quest Trail et le Continental Divide Trail, NDLR). Vivement la retraite !

– L’UTMB, parce que c’est la seule course qui peut se prétendre être l’équivalent d’un championnat du monde d’ultra trail. Quand tu es un « zélite », tu peux difficilement la zapper et ne pas en faire un objectif principal de ta saison.

– Le TOR des Géants, car c’est un peu l’UTMB des courses de 200 miles. C’est juste le 200 miles le plus relevé du monde. Le parcours est absolument magnifique et les montées déglinguent bien les jambes, comme on aime. Je l’avais bouclé péniblement en 2021. C’était un de mes premiers 200 miles, alors j’ai envie de voir ce que je donne maintenant avec toute cette expérience supplémentaire. Bon, vu que je vais me taper l’UTMB une semaine avant, puis la Swiss Peak 360 en course de récup, pas sûre que je fasse mieux qu’en 2021 niveau chrono, mais je prends le pari !

Question subsidiaire : aspires-tu, au-delà du plaisir de courir, à devenir une « légende » de l’ultra-trail, comme certains observateurs te qualifient déjà ?

J’ai des objectifs à moyens et longs termes qui, effectivement, s’ils sont réussis, devraient m’apporter un statut de « légende », mais ce n’est pas un but en soi et ni ma motivation première. Ma motivation, c’est toujours le fun et le fait de montrer que les femmes peuvent faire de l’ultra et foutre une branlée aux mecs !


👉 Claire Bannwarth était l’invitée exceptionnelle du 33e épisode de La Bande à D+. L’émission est à réécouter ici, avec Ludo Collet, Thomas Lorblanchet, Florence Morisseau de La Clinique du Coureur et Robin Schmitt des Genoux dans le GIF.


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