Trois questions à Casquette Verte : « J’ai envie de savoir ce que ça pourrait donner de m’entraîner »

Interview

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Casquette Verte a débuté sa saison 2024 sur le Hong Kong 100 - Photo : Joseph Chan
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La saison de trail a déjà commencé pour Alexandre Boucheix alias Casquette Verte et elle s’annonce riche, rythmée et… un peu différente des années précédentes. Le coureur de Saint-Mandé, en région parisienne, rêvait depuis ses débuts en ultra-trail d’aller courir le Hong Kong 100, il a donc sauté sur l’opportunité d’être au départ de la première étape du nouveau circuit World Trail Majors. Il savait en partant qu’il n’avait pas la forme nécessaire pour donner le meilleur de lui-même après une fin d’année 2023 intense. Il a passé la ligne d’arrivée à la 22e place après 13 h 28 min (cote ITRA 703) sur cette course de 103 km (5300 m D+) réputée rapide. Il a bien « essayé de courir » sur les premiers kilomètres, mais il n’avait « pas d’énergie » et le moteur n’a pas suivi, a-t-il raconté sur ses réseaux sociaux. « Je ne cherche aucune excuse, a-t-il souligné dans la foulée. J’ai passé une grosse dizaine d’heures à fouiller toutes les raisons possibles. La réponse, je l’ai trouvée et elle est simple : j’ai été mauvais ! Je suis déçu de moi. J’ai loupé une occasion, et je n’ai pas appris grand-chose. Et c’est ce qui m’énerve le plus. Ah si, j’ai peut-être appris quelque chose : ça m’a donné envie de ne plus louper d’occasions. Et ça, c’est bien ! » Or, des occasions, le plus célèbre traileur parisien en aura en masse en 2024.

Précisons qu’en 2023, il a cumulé 10 600 km et 273 000 m de dénivelé. Il a remporté le 100 km de la Trace des Maquisards et le 170 km de l’ULTRA 01. Il a terminé 2e du 100 miles de Kullamannen en Suède et du 75 km de l’Ultra-Trail des Montagnes du Jura, 6e du MIUT à Madère, 10e de la Diagonale des fous à La Réunion et 21e de l’UTMB bouclé en 23 h 03 juste devant son amical rival Ugo Ferrari. Il s’est aussi offert une traversée de 500 km du désert chilien en solo dans le cadre de la course pirate The Speed Project ATACAMA (TSP ATACAMA) avant de tenter, en vain, une nouvelle LyonSaintéLyon (il s’est arrêté à Saint-Étienne). Il a fini l’année rincé, mais sportivement rassasié et heureux.

À son retour de Hong Kong, Alexandre Boucheix a joué le jeu des Trois questions D+, avec son habituelle générosité et à bâtons rompus bien entendu.

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Alexandre Boucheix alias Casquette Verte – Photo: Salomon Running

Distances+ : Après des années à refuser de t’entraîner de manière structurée, préférant courir à ta sauce, « bornant » matin et soir, notamment pour aller et revenir du travail et te déplacer dans Paris, en faisant des détours opportuns pour monter et descendre des côtelettes à l’infini et au-delà, tu as annoncé que tu avais envie d’explorer cette avenue. Que vas-tu changer, retirer, ajouter, concrètement ? Et dans quel but ?

Casquette Verte : En effet. Mais, d’abord, il faut expliquer les raisons :

1. J’en ai déjà fait beaucoup. Tellement plus que ce que je m’attendais à faire dans l’univers de la course à pied. Finir le semi-marathon de Paris en 2015 était à l’époque quelque chose de fantastique pour moi, alors je ne te dis pas ce que finir des ultras, en gagner certains, plusieurs fois, signer des top 20 sur l’UTMB ou un top 10 sur la Diag, a pu me permettre d’atteindre comme sentiment d’accomplissement. Sincèrement, humainement et expérientiellement parlant, je suis comblé ! Je n’aurais jamais cru possible de faire tout ça. Aussi petit et inutile que cela soit. Je me suis vraiment éclater à fond jusqu’à présent, et même plus. En revanche, j’avoue que, sportivement parlant, je n’ai jamais vraiment tenté de mettre toutes les chances de mon côté. J’ai couru. J’ai beaucoup couru. Mais je ne me suis jamais entraîné. Comme beaucoup, j’ai maintenant envie de savoir ce que ça pourrait donner si je m’y mets. J’ai envie de savoir si, en appliquant – un peu, parce que faut pas déconner non plus – quelques bons principes d’entraînement et surtout quelques bons principes de planification, je pourrais aller encore un peu plus loin. À voir. Je suis curieux. Donc pourquoi pas tenter l’aventure.

2. Je consacre 13 % de mon temps de vie effectif à courir. En gros, toutes les 10 heures, je cours une heure. C’est invraisemblable ! Et, là, je ne parle que du temps de course. Je ne parle pas des réseaux sociaux, du traitement des sollicitations médias, de l’organisation logistique pour participer aux différentes courses, de l’organisation de mes off, des relations avec mon partenaire Salomon… bref, ça me prend un temps de dingue ! J’ai rogné sur énormément de choses pour pouvoir prendre ce temps et le consacrer à la course. J’ai trop rogné ! J’ai trop rogné sur ma vie sociale, sur mes proches, sur ma carrière pro. Je ne peux plus – et je ne veux plus – prendre autant de temps. Surtout autant de temps en lien avec la course consacré à autre chose que courir. Je dois donc m’organiser autrement. Me cadrer. Et c’est une solution possible que j’ai trouvée pour retrouver un équilibre.

3. Casquette Verte, il est marrant, il fait des trucs qui sortent de l’ordinaire, OK, mais dans la réalité, si tu sors pas un 23 h à l’UTMB ou un top 10 sur la Diagonale, tu restes à la portée des quelques zozos qui ont la critique facile depuis leur canapé. Non pas que leur avis m’importe, mais leur silence fait du bien à tous. Il s’agit donc de continuer à les faire taire.

Alors, concrètement, qu’est-ce qui va changer ? L’idée est d’utiliser 2024 comme une année de transition. Passer de « je cours beaucoup et puis c’est tout » à « je cours beaucoup, mais je planifie ma saison pour arriver en forme sur les courses que j’estime importantes et je m’entraîne un peu dans tout ce volume en ajoutant des exercices ludiques ». Je vais insister sur mes points faibles et ajouter autre chose que de la course à pied pour 2025, 2026 et 2027. J’ai la grande ligne de ce vers quoi je veux aller dans ma tête. Je l’ai choisi, donc je vais le faire. Quant à la mise en exécution, ça va être relativement simple. En étant accompagné par quelques personnes que je respecte et qui, je pense, peuvent me permettre de penser la course à pied différemment, on va mettre en place un plan d’action. C’est actuellement en cours…

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Quelles sont les grandes lignes de ta saison 2024 sur le papier ? Qu’est-ce qui t’excite le plus parmi les projets que tu as sous ta casquette verte ? Et quel sera ton objectif numéro 1 ?

Le programme est assez illisible pour le moment, mais j’aime bien ça ! Je sors à peine de mon premier ultra, le HK100 à Hong Kong et je vais enchainer avec l’Opération Schengen, un gros off avec mon pote Loïc en mode « à l’arrache », un peu à la sauce de l’Opération Paris-Plages de l’an dernier (il était parti de chez lui pour rejoindre en courant Honfleur en Normandie, NDLR), le 80 km de l’EcoTrail de Paris en mode préparation pour la course suivante, un autre off baptisé « Something not MDP » en accompagnement d’un projet pirate de l’organisateur du TSP Atacama que j’ai fait au Chili en novembre dernier, l’Ultra-Trail du Mont-Fuji au Japon, la VVX, un autre joli off avec Loïc qu’on a nommé « Don’t Stop Mer Now », l’ULTRA 01 pour faire un dernier bon ultra avant la course de quartier, le TSP SISY qui est une autre course The Speed Project bien pirate en Allemagne cette fois (Berlin), « 100 V de GraVelle » pour préparer l’UTMB uniquement à Paris parce que je vais devoir y rester tout l’été cette année, la course de quartier, certainement la longue épreuve de l’UTMJ dans mon Jura adoré, le Kullamannen pour aller chercher une « golden ring » que l’on obtient au bout de trois finish, la LyonSaintéLyon parce que ça m’a un peu vexé de ne pas pouvoir prendre part à la course cette année et l’UTMM (Ultra-Trail MontMartre) pour organiser à nouveau quelque chose de fou à Paris.

Qu’est ce qui m’excite le plus là-dedans ? Franchement, tout m’excite ! Mais j’avoue que l’Ultra-Trail du Mont-Fuji, au Japon, comme le Hong Kong 100, c’est l’une des courses dont je rêve depuis que j’ai commencé à faire de l’ultra. J’ai vraiment hâte de me retrouver là-bas au bout de 12-14 heures de course. Ça va être incroyable !

Mon objectif numéro 1, cette année, c’est simple : je veux réussir à mettre à nouveau une pilule au Duc de Savoie (Ugo Ferrari, NDLR) sur l’UTMB. Et cette année, en ne préparant l’UTMB qu’à Paris les deux mois précédents. Si j’y arrive, je pense qu’il faudra clairement et définitivement qu’il fasse allégeance au Baron de Paris.

Avant d’en finir avec une année 2023 rondement menée, avec encore plus de 10 000 km dans les pattes, sans parler du dénivelé, tu es allé courir plus de 500 km dans le désert d’Atacama au Chili, le désert réputé le plus aride de la planète. Il s’agissait d’une course « pirate » dans le sens où les organisateurs sont anonymes et l’événement n’a aucune structure légale et qu’il n’est pas déclaré aux autorités. Qu’est-ce que tu as découvert sur toi, là-bas ? Quels ont été les émotions que tu as ressenties ? Et avec quel bagage supplémentaire es-tu revenu d’Amérique du Sud 

Alors, sur le TSP ATACAMA, j’ai trouvé ce que je cherche dans l’ultra. L’aspect pirate. L’aspect « tu te démerdes ». L’aspect ultra-endurance poussée à l’extrême. L’aspect « courir à un endroit qui n’est vraiment pas fait pour cela ». L’aspect « se retrouver dans des situations totalement improbables ». L’aspect « pas de règles ». Sincèrement, tout, là-bas, était au reflet de ce que j’aime dans la vie, et dans la pratique de l’ultra.

Ça fait des années que je répète qu’on s’emmerde un peu dans cet univers de la course à pied en France, et en Europe. Il ne se passe pas grand-chose de nouveau, qui sort du cadre, qui donne de nouvelles perspectives. Alors, participer au TSP ATACAMA, m’a redonné un peu la foi en la capacité de l’humain à se révolutionner, à se remettre en question, à ne pas suivre bêtement le mouvement. Ça m’a fait du bien, comme une vrai bouffée d’oxygène en remontant du fond de la piscine après une apnée un chouïa trop longue. Ça m’a convaincu que ma manière de faire, ma manière de chercher du plaisir, de la folie, du panache, de l’exceptionnel sans forcément trop de paillettes, c’était bien la voie que je souhaitais continuer à parcourir.

Et puis, aussi, ça m’a fait me rendre compte d’un truc important : il y a d’autres gens comme moi. Je n’ai rien d’exceptionnel. Et ça fait du bien, de temps en temps, de remettre l’église au centre du village. Je ne suis pas humble et les réseaux sociaux et le fait d’être énormément supporté ne m’aide pas vis-à-vis de ce défaut. Même si je relativise tout le temps, en me disant que ce n’est que de la course à pied, au bout du 2000e « t’es un monstre », « bravo champion », « la machine », ect… tu finis par y croire et te complaire là-dedans. Donc rencontrer d’autres personnes, en l’occurrence les six autres coureurs du TSP ATACAMA, qui font la même chose que toi, et qui n’en font pas tout une affaire, sérieusement, ça fait du bien ! Quand tu es fou et qu’il n’y a autour de toi que des fous, alors plus personne ne l’est. Ça fait du bien d’enlever l’étiquette et de ne pas être au centre parfois.

Une dernière petite chose, aussi, que j’ai trouvée vraiment super, c’est qu’au TSP ATACAMA, un peu comme dans une colocation, tu y trouves ce que tu y amènes. Sous-entendu : tu es un acteur de l’événement. Celui-ci n’est pas figé dans le marbre. Il n’y a pas de forme de tradition à respecter, de codes sociaux à suivre, prédéterminés. À l’heure de la normalisation des organisations de course, à l’heure de la standardisation des épreuves, pouvoir avoir réellement un impact sur un évènement, c’est tellement rafraichissant !

Question subsidiaire : En 2024, qui prendre le dessus sur l’autre ? Alexandre ou Casquette Verte ?

Casquette Verte a toujours été une extension d’Alexandre, la capacité pour Alexandre d’aller plus loin dans ses projets, de le faire avec plus d’extravagance, d’ajouter du panache à un grand timide qui est derrière. L’un ne prend pas le dessus sur l’autre. L’un se sert de l’autre pour s’exprimer. Comme un acteur se sert d’un personnage pour s’exprimer.


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