Sur son agenda, Sylvain Cachard avait depuis longtemps entouré la date. Pour l’athlète de 25 ans, les championnats d’Europe de course en montagne à Annecy, le 2 juin 2024, constituaient l’un des principaux objectifs de sa saison. Il rêvait de défendre son titre sur le format montée et descente, chez lui, dans les Alpes. Il y a deux ans, il s’était imposé sur des terres plus lointaines, à El Paso, aux Canaries (Espagne). Depuis, le jeune coureur a poursuivi sa mue vers le trail, allongeant les distances et reléguant au passé ces parcours pentus et fulgurants dans lesquels il excelle. Un nouveau sacre européen dans cette discipline aurait fait figure de marqueur symbolique, lui permettant de clore de la plus belle des manières ce chapitre de sa carrière avant de passer définitivement à un autre. Mais lorsque le départ sera donné à Menthon-Saint-Bernard, Sylvain Cachard se trouvera loin des rives du lac d’Annecy, de l’autre côté de l’Hexagone, à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales). D’autres montagnes pour se remettre à courir, continuer de se rétablir et espérer attaquer l’été plus sereinement que le printemps. « Je ne pourrai pas mettre le point final que j’imaginais à toutes ces années de course en montagne, mais c’est ainsi, il faut l’accepter, positive-t-il. Maintenant je suis un traileur, et j’ai hâte de voir ce qui m’attend. » PORTRAIT
Début avril, alors qu’il est censé disputer les championnats de France de trail court à Buis-les-Baronnies, l’athlète Näak revient d’un séjour à La Réunion en béquilles. Cet hiver, un ongle incarné au gros orteil l’a fait souffrir plusieurs semaines, l’obligeant instinctivement à compenser avec d’autres parties de son pied pour atténuer la douleur. Une inflammation naît en conséquence, au sein de l’articulation, plus précisément au niveau des sésamoïdes, de petits os qui relient le tarse aux orteils. Il tente d’endiguer le traumatisme en réduisant la charge d’entraînement, mais sur l’île intense, la blessure se dégrade. Le coureur peine à marcher. À son retour, après une IRM (imagerie par résonance magnétique), on lui diagnostique une lésion osseuse et six semaines sans course à pied. « Sur le coup, c’était dur à encaisser, confesse Sylvain Cachard. J’étais dégoûté. Je songeais aux compétitions que j’allais rater. J’avais du mal à en dormir. Et puis j’ai décidé de ne pas me morfondre, de penser au long terme et d’en profiter pour me consacrer à d’autres activités et à mes proches. » Le jeune homme retrouve son cocon, une colocation sur les hauteurs de Grenoble, à La Tronche, qu’il partage avec d’autres amis athlètes et férus de sports en plein air ainsi que sa compagne Jade Rodriguez, membre de l’équipe Kiprun (qui portera le maillot de l’équipe de France à Annecy pour le championnat d’Europe de course en montagne sur l’épreuve classique montée-descente).
C’est là-bas que l’étoile montante du trail français a entamé sa convalescence, sur les contreforts du mont Rachais, dans le massif de la Chartreuse, un de ses jardins depuis qu’il s’est installé dans la région à la fin de ses études d’ingénieur. Salarié à mi-temps chez Sogilis, une société de service informatique, l’Isérois d’adoption fait partie de ceux qui pourraient vivre de leurs sponsors, mais qui préfèrent conserver un emploi. Une question d’équilibre. « Le sponsoring est un modèle économique fragile et instable, analyse Sylvain Cachard, toujours très réfléchi. En plus, quand on s’entraîne souvent seul en montagne, ça fait du bien de côtoyer du monde, y compris des personnes qui n’ont rien à voir avec le milieu du sport. C’est important pour moi d’élargir mon cercle social. »
« L’entourage, c’est un élément fondamental pour lui, confirme Jade Rodriguez. Il a besoin de voir régulièrement les gens qui comptent. » Privé de course à pied durant une partie de son rétablissement, l’athlète en a profité pour grimper sur son vélo et prendre la route avec des « potes ». À son actif ces dernières semaines : une traversée du Vercors en VTT, sur deux jours, et une belle sortie de Gap à Grenoble via le massif du Dévoluy et la plaine du Trièves. De retour de Font-Romeu, Sylvain Cachard ira directement tester ses jambes sur le format 20 km du Trail du Saint-Jacques by UTMB, le 15 juin, avant de s’aligner si tout va bien, à la fin du même mois, sur le très relevé Marathon du Mont-Blanc à Chamonix.
Meilleur chrono français de tous les temps à Sierre-Zinal
Le jeune ingénieur a l’habitude des saisons en dents de scie. L’an passé, à peu près au même moment, il avait déjà connu un passage à vide. En avril 2023, lors de la précédente édition des championnats de France de trail court, au Trail de la Cité de Pierres à Montpellier-le-Vieux, le coureur finit par laisser filer Thibaut Baronian et Loïc Robert dans l’avant dernière bosse, comme s’il n’était soudain plus concerné. Il se souvient du mental qui lâche, d’un coup, comme un plomb qui saute. « Je me demandais ce que je faisais là, pourquoi je me faisais mal, raconte-t-il. Subitement, tout cela n’avait plus de sens. » Il se classe alors à la onzième place et entame une période de remise en question, hantée par des émotions négatives. L’envie lui manque, s’entraîner devient une corvée. Mais regarder depuis son canapé le triomphe des Tricolores aux championnats du monde de trail et de course en montagne à Innsbruck (Autriche) ravive un peu la flamme. En ligne de mire, Sylvain Cachard a une échéance aussi redoutable que légendaire : Sierre-Zinal. Avec Nicolas Martin, qu’il définit davantage comme le « directeur sportif de sa performance » plutôt que comme son coach, le traileur en devenir met en place toute une stratégie pour reprendre goût à la tâche, puis briller le jour J. À la mi-août, après une course maîtrisée, il termine quatrième derrière un triplé kenyan et signe le meilleur chrono français de tous les temps sur le mythe suisse.
Cela fait longtemps que Sierre-Zinal figure sur la liste des courses que Sylvain Cachard rêve de gagner un jour. Elle n’est pas la seule. Gamin, il s’extasiait déjà devant les retransmissions en direct de l’UTMB. Il faisait rire ses parents quand il disait d’un ton sérieux que quand il serait grand, il franchirait en tête la ligne d’arrivée de cette grande boucle de 172 kilomètres autour du Mont-Blanc. Le jeune coureur n’a rien oublié de ses prédictions.
Autant passionné qu’ambitieux, il aborde son sport avec un mélange de plaisir et de désir permanent de bien faire. « Sylvain a toujours eu cette faculté d’être à fond dans les activités qu’il pratiquait, et d’être doué, témoigne Sabrina, sa mère. C’était le cas avec la planche à voile, le VTT ou encore le piano. » Il faut dire que le triple champion de France de course en montagne et son frère Benoît sont allés à bonne école. Chez les Cachard, sans rien imposer à personne et dans la bonne humeur, on cultive l’excellence. Respectivement professeur de SVT et de mathématiques, Sabrina et Olivier, les parents, ont inculqué à leurs enfants le sens de la réussite. Après un bac S obtenu avec une note globale de 19,8/20, l’étudiant travailleur intègre l’Institut national des sciences appliqués (INSA), au sein d’une section aménagée pour les sportifs de haut niveau. « C’est quelqu’un de brillant en règle générale, corrobore Nicolas Martin. Quelqu’un d’animé par des rêves forts. »
Né à Mont-Saint-Aignan, près de Rouen, en Normandie, où furent un temps mutés ses parents, Sylvain Cachard grandit à Clermont-L’Hérault, au bord du lac de Salagou et du cirque de Mourèze, là où chantent les cigales et où la terre est sèche et minérale. L’hiver, la famille part skier dans les Pyrénées, du côté de Font-Romeu, et c’est ainsi que le garçon apprivoise les reliefs. « La montagne, je l’ai découverte comme ça, ni mes parents ni moi n’en sommes originaires, se livre-t-il. Par la suite, j’ai toujours ressenti une sorte d’angoisse quand je m’en éloignais, comme si j’y étais lié et qu’elle m’habitait profondément. » Avant d’explorer de fond en comble les massifs, c’est bien à deux pas de chez lui que le jeune garçon se prend au jeu du sport en plein air et de la course à pied. À Lunas. Chaque année, dans ce village occitan, un raid est organisé et les Cachard y participent en meute. Le format pour les enfants n’a rien à envier à celui des adultes, avec une boucle en VTT, des traversées techniques de rivières et des portions de trail. Le petit Sylvain raffole de l’événement, cette sorte de tradition familiale pour laquelle il s’entraîne toute l’année avec les copains du coin. Il se rappelle une de ses toutes premières éditions lors de laquelle, voyant devant lui se dessiner une côte au fort degré de pente, il a continué de courir parce qu’il pensait que marcher était interdit. Ou bien d’une autre qu’il a manqué parce qu’il était puni. « Il y a eu une phase difficile au début de son adolescence, racontent ses parents. On lui laissait déjà beaucoup de liberté mais il en voulait toujours plus, partir en vadrouille, à pied ou à vélo. Il savait ce qu’il voulait et il était très mature. On aurait dit un adulte dans un corps d’enfant. »
Heureusement, l’enthousiasme pour les grands espaces et le temps passé dehors se partage en famille. Ancienne sportive tout comme son mari, Sabrina Cachard décide d’arrêter de fumer pour ses 40 ans et de courir un marathon. Les dossards s’enchaînent, sur la route comme sur les sentiers. Olivier Cachard suit le mouvement et, les week-ends, le couple dépose les enfants chez les grands-parents pour s’engager sur des raids multisports ou des ultra-trails. En 2015, lors de la Transaubrac – 105 km et 3700 m D+ –, ils les emmènent avec eux. Sylvain a 16 ans et plutôt que de rester dans l’appartement loué pour l’occasion, il monte sur son vélo et embarque son petit frère pour une nuit d’assistance au pays des burons et des vaches aux robes fauves. « On les pensait devant la télé et en arrivant au premier ravitaillement ils nous attendaient, se remémore Sabrina. Ils ont continué de nous suivre. Ils ont dû rouler 100 bornes. On n’était pas complètement sereins de les savoir dans la nature, mais ils avaient l’air heureux. » « On n’a pas dormi de la nuit, pour nous c’était l’aventure, retrace encore avec excitation l’aîné de la fratrie. À la fin, un orage a éclaté et, aux ravitos, c’étaient les parents qui s’occupaient de nous et non l’inverse. »
En 2019, Sabrina et Olivier courent leur premier UTMB et l’achèvent tous les deux en moins de 31 h 30, dont un top 20 pour la maman. L’excellence, toujours.
Apprendre à gérer ses émotions
Pour Sylvain, l’année 2019 est également charnière. Au mois de mai, il file vers l’Italie pour disputer le trophée Nasego, un classique de la course en montagne transalpine, qui relie les villages de Costa et de Famea, en Lombardie. Mentor, coach et ami, Julien Rancon l’accompagne (Julien était le coach de l’équipe de jeunes Hoka Buff de laquelle Sylvain faisait partie à l’époque). C’est à lui, le quadruple champion de France de la discipline, que Sylvain Cachard doit en partie sa culture de ces formats intenses. C’est lui aussi que le jeune ingénieur peut remercier d’avoir freiner ses ardeurs, au début de sa carrière. « Je l’ai rencontré quand je suis arrivé en équipe de France junior, détaille l’Isérois. Avec Johann Baujard, on lui a dit qu’on voulait faire l’UTMB d’ici deux ou trois ans. Il nous a regardé et nous a répondu : ‘’vous n’avez vraiment rien compris les jeunes !’’. » Le garçon de 17 ans est à l’écoute. Il préfère suivre la voie qu’on lui indique, continuer de développer d’autres capacités, de vitesse notamment. Ses rêves d’UTMB attendront. En Italie, il est appelé lors de la présentation des favoris et il les rejoint sur la pointe des pieds, impressionné. Le lendemain, au cours des 20,6 km et 1300 m de dénivelé positif du parcours, il découvre la ferveur locale, les tifosis déguisés, les cloches secouées jusqu’à ce que les bras tétanisent. La densité d’athlètes très performants, aussi. Il se classe deuxième, presque à la surprise générale, et commence à prendre conscience de son potentiel. L’année suivante, il revient et l’emporte, une semaine après avoir été sacré champion de France de course en montagne pour la première fois, au Dévoluy. Le prodige est lancé.
Ensuite, les victoires s’accumulent tout autant que la pression d’un nouveau statut à assumer, les coups de fatigue, les doutes. « Ces dernières saisons, il m’arrivait régulièrement d’avoir des passages à vide mentaux, des périodes où je me sentais moins investi, où j’avais du mal à redonner du sens à ma pratique », se confie Sylvain Cachard. Dans ces moments-là, le coureur retrouve du souffle en mettant l’entraînement entre parenthèses pour suivre ses envies, revenir à ses premières amours pour le VTT ou le raid, les « grandes bambées entre amis », le ski aussi, auquel il consacre la majeure partie de son temps l’hiver. « C’est un athlète qui croise beaucoup les sports et qui est capable de privilégier ce qu’il a besoin de faire plutôt que ce qu’il avait prévu de faire, explique Nicolas Martin. C’est sain et je pense que c’est une bonne manière de durer à haut niveau, sur le long terme. Il ne faut pas essayer d’être la personne que l’on n’est pas. » L’athlète et coach, qui l’aide à structurer sa performance, reconnaît que la gestion des émotions représente un élément sur lequel Sylvain Cachard peut encore progresser. « C’est quelqu’un qui veut toujours être à 100 %, dans tous les domaines de sa vie, et qui y met beaucoup de convictions, approuve Jade Rodriguez, sa compagne. Forcément, en cas d’échec, cela peut être encore plus déceptif, surtout en tant qu’athlète. » Compétiteur dans l’âme, l’ingénieur assure de son côté tenter désormais de se concentrer sur « l’intention » davantage que sur le résultat. « Le principal est de tout donner en fonction du contexte et de la forme du jour », résume-t-il.
Comme l’an passé, les aléas de sa saison le conduisent à faire de Sierre-Zinal l’apogée de son été. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. Pour Sylvain Cachard, cette course contient tout ce qu’il aime, « une ambiance de passionnés, des singles magnifiques, de la vitesse, un profil qui ne laisse aucune place aux faux-semblants ». Dans sa tête, il nourrit forcément l’espoir d’améliorer sa marque de 2023, soit 2 h 34 min et 22 s, et pourquoi pas d’aller décrocher un podium voire le Graal. Fin août, pour entériner son passage de la course en montagne au trail court, l’athlète s’alignera sur l’OCC – 55 km et 3425 de D+ – entre Orsières en Suisse et Chamonix, la distance la plus longue qu’il n’ait jamais couru en compétition. Une épreuve que Nicolas Martin connaît bien, pour en avoir remporté la première édition, en 2014. « Cela va être intéressant de voir comment Sylvain va parvenir à enchaîner ces deux échéances, à s’adapter aux exigences de ces nouveaux formats et à la concurrence, commente le coach et membre du podcast La Bande à D+. Il en a largement les moyens, mais ça reste un vrai challenge de quitter un milieu que l’on domine pour s’imposer dans un autre. » Un challenge que le jeune ingénieur est depuis longtemps prêt à relever. Depuis gamin même. Il le sait, s’il veut exaucer un jour ses rêves de petit garçon proférés tout haut devant ses parents, il doit en passer par-là, avancer, continuer d’empiler les cycles jusqu’à être en mesure de s’aligner sur l’UTMB, dans l’espoir d’y être performant. En attendant, on ne sait pas à quel point la liste des courses qu’il aimerait gagner est longue, mais nul doute qu’il devrait bientôt commencer à en rayer quelques-unes.
La série « La saison de Sylvain Cachard sur Distances+ » est produite en partenariat avec la marque de nutrition sportive Näak. Lorsque Distances+ publie un contenu commandité, qui respecte notre politique éditoriale, elle en avise clairement le public. Ce contenu journalistique – et non publicitaire – est produit par des membres de l’équipe de Distances+, dans le ton, le style et la manière qui nous distingue.
Écoutez le talk-show La Bande à D+ sur votre plateforme de podcast préféré ou en cliquant ci-dessous 👇