Jusqu’à sa deuxième place sur la Skyrace des Matheysins (25 km, 1930 m D+), en avril 2024, Alice Bausseron demeurait une coureuse anonyme ou presque. D’ailleurs, le monde du trail lui était tout autant inconnu. Recrutée dès l’été suivant par la nouvelle équipe New Balance — dont le team manager, Jean-Michel Faure-Vincent, la décrit comme une « petite pépite » —, la jeune savoyarde fourbit depuis ses armes, rêvant de progrès, de victoires et de courses mythiques comme Zegama-Aizkorri. Distances+ a rendu visite à l’athlète de 24 ans dans le Beaufortain, quelques jours avant la fermeture du gîte d’alpage où elle travaille durant la saison estivale. PORTRAIT.
![Alice Bausseron](https://distances.plus/app/uploads/2025/01/alice-bausseron-chloe-rebaudo-new-balance-2024-03-1024x576.jpg)
👉 Voir l’interview D+ vidéo d’Alice Bausseron après Sierre-Zinal
Dans la cuisine où Alice Bausseron s’affaire, de la confiture aux poires mijote sur le feu et des tartines au Beaufort s’apprêtent à sortir du four. Dehors, le brouillard se dissipe lentement pour dévoiler le lac de Roselend qui s’étend en contrebas du gîte situé à 1800 mètres d’altitude. Bientôt, un soleil radieux réchauffera les paysages majestueux alentour, les cimes côtoyant le ciel et les sentiers qui remontent en direction du col du Bonhomme d’un côté et de la Pierra Menta de l’autre. Partir à la rencontre d’Alice Bausseron, c’est être face à la montagne. Brute, comme elle.
De mi-juin à mi-septembre, depuis deux étés, elle travaille au Plan Mya, à deux pas du refuge du Plan de la Lai, quasiment au bord de la route reliant le Cormet de Roselend à Arêches-Beaufort, là où elle réside à l’année. Originaire de Savoie, la jeune femme a pris l’habitude d’être employée dans ces lieux d’hébergement et de restauration dès l’âge de 17 ans. « J’étais au lycée à Moûtiers, en spécialité montagne, raconte cette aînée d’une fratrie de trois enfants qui a grandi près d’Albertville. On faisait des stages d’une semaine au cours desquels nous étions logés en refuge et, en y passant du temps, ça m’a donné envie d’y bosser. Au même endroit, tu peux exercer tous les métiers du monde : cuisiner, faire le ménage, accueillir les gens, leur conseiller des itinéraires de randonnée. Selon les refuges, dont certains sont accessibles après plusieurs heures de marche, on est un peu sur notre navire, en autonomie. »
Assise à l’entrée du dortoir, à une table où est servi le petit-déjeuner entre 7 et 8 h, la jeune athlète estime même que cette polyvalence lui est devenue indispensable. Il faut qu’elle bouge, en permanence, stimulée par son environnement et l’attraction des versants qui l’entourent. Un tempérament qui a presque échaudé Alice Bochet, sa patronne, la gardienne du refuge du Plan Mya, qui préfère qualifier son établissement de « gîte d’alpage » : « Ce qu’elle aime, c’est la montagne et ses contraintes et nous ne sommes que des aubergistes, témoigne la gérante des lieux. Au quotidien, son côté sportif et dynamique n’est pas forcément valorisé à sa juste valeur. »
Courir pour avoir de la « marge » en montagne
![Alice Bausseron](https://distances.plus/app/uploads/2025/01/alice-bausseron-chloe-rebaudo-new-balance-2024-02-1024x576.jpg)
Fille de parents artisans, Alice Bausseron est la seule de sa famille proche à vivre si intensément la montagne. Au-delà de ses études, la randonnée, l’escalade, le ski ou encore la fréquentation de « l’école d’aventure » du Club alpin français (CAF) n’ont fait que la conforter dans sa passion pour ce territoire. C’est d’ailleurs la remarque d’un de ses coordinateurs qui l’a poussée à se mettre à courir : « Il nous avait dit qu’en montagne, c’était toujours bien d’avoir de la marge, se souvient-elle. D’être en capacité d’aller vite en cas de problème. » Le plaisir a suivi. Les performances aussi. Surtout depuis qu’elle a commencé à prendre sa pratique plus au sérieux, en se renseignant sur Internet, notamment pour se préparer à la Pierra Menta été 2023, qu’elle a remportée par surprise en duo avec Mélanie Rousset. « J’ai vraiment eu envie de me donner les moyens, que ça se passe vraiment bien, donc à partir de là, j’ai mis un coup d’accélérateur », explique celle qui adore les terrains techniques et qui préfère pour l’instant les formats autour de 30 km.
De découverte enthousiasmante, la course à pied s’est muée en équilibre. « Quand elle ne va pas courir, elle est énervée, confie la gardienne du Plan Mya. Alice déborde d’énergie et il faut bien que celle-ci s’évacue quelque part. Sinon, elle veut tout faire vite et elle peine à se concentrer. » À l’écoute des émotions de la jeune femme, sa patronne lui a suggéré un aménagement de son emploi du temps, qu’elle a évidemment embrassé. Dorénavant, la coureuse dispose de ses matins pour aller s’entraîner, courir ou rouler, elle qui apprécie croiser les disciplines. Certains de ses week-ends sont même libérés pour lui permettre de se rendre aux compétitions, ce que l’athlète considère comme une « faveur ». « Ma petite sœur est sportive de haut niveau [la skieuse et octuple championne paralympique Marie Bochet NDLR], poursuit Alice Bochet. J’ai conscience des exigences que cela occasionne, de la nécessité d’être entouré de personnes qui vous font confiance et qui sont prêts à faire des efforts pour vous encourager à continuer. »
En mai 2024, sur les conseils de l’ex-entraîneur émérite Jean-Louis Bal, Alice Bausseron a décidé de se faire accompagner dans sa pratique, l’été en trail et l’hiver en ski alpinisme, par un autre coach de champions, Simon Gosselin, lui aussi résident d’Arêches-Beaufort. « L’idée, et encore plus en milieu de saison, c’était de ne pas opérer de changements majeurs et d’être de plus en plus précis et spécifique tout en s’inspirant de ce qu’elle avait mis en place auparavant », souligne Simon, qui travaille notamment avec le Suisse Rémi Bonnet, le Français Baptiste Chassagne et depuis tout récemment la Québécoise Marianne Hogan.
Autre particularité de cette jeune athlète en pleine maturation : « qu’elle se sente bien ou pas, elle n’est pas du genre à se mentir sur ses sensations, analyse-t-il. C’est un profil assez facile. Comme elle arrive relativement tard à haut niveau, elle s’est déjà construite en tant que personne et elle parvient ainsi à prendre les choses avec du recul, à ne pas trop se mettre la pression. » L’objectif pour celle qui apprécie les formats techniques sera de « maintenir des efforts assez longtemps, à haute intensité », selon Simon Gosselin.
« Son côté pied-à-terre, ça change, et ça remet l’église au centre du village »
![Alice Bausseron](https://distances.plus/app/uploads/2025/01/alice-bausseron-chloe-rebaudo-new-balance-2024-04-678x1024.jpg)
Depuis un an, donc, tout s’est accéléré. En 2024, après sa deuxième place lors de la Skyrace des Matheysins (25 km et 1900 m D+) qui l’a révélée sur la scène nationale, suivie par une 5e place sur la classique suisse en course en montagne, Neirivue-Moléson, Alice Bausseron est allée décrocher une nouvelle victoire sur la Pierra Menta été, cette fois-ci aux côtés de l’Espagnole Julia Garriga Ferrer. « J’aime beaucoup les courses par équipes, commente-t-elle. De base, à l’image de l’escalade ou de l’alpinisme, la montagne se pratique à plusieurs, se partage, et c’est ainsi que j’y ai pris goût. » Deuxième française à Sierre-Zinal (après la championne de France de trail court, Julie Lelong, 9e), première au scratch en duo avec Pierre-François Gachet sur la Grande Trace du Dévoluy (46 km pour 4350 m D+ en deux étapes), Alice a enchaîné en s’imposant sur le parcours de repli du Trail du Petit Saint-Bernard (10 km, 400 m D+), en septembre. Des résultats prometteurs.
Habituée de courir en New Balance avant de signer son contrat pour faire partie de l’équipe française de la marque américaine (avec notamment Candice Fertin, Theo Detienne, Damien Humbert ou encore Nicolas Gourdon), la Savoyarde ne s’est pas précipitée pour autant au moment d’embarquer dans cette aventure. Sollicitée par un autre sponsor important, elle s’est laissée le temps de la réflexion et de consulter autour d’elle. Elle a fini par accepter, séduite notamment par la personnalité du « team manager » Jean-Michel Faure-Vincent, dont beaucoup lui avaient dit du bien. « Nous suivons de nombreux profils, raconte-t-il. Son nom était déjà apparu parmi ceux qu’on m’avait donnés, certains entraîneurs la qualifiant de “petite pépite”. Mais j’avais un joker par rapport à la concurrence : je travaille avec des personnes qui la connaissent et qui m’en avaient parlé, comme François D’haene et sa femme, Carline. »
En plus de ses qualités sportives, Jean-Michel Faure-Vincent apprécie l’ancrage de la jeune athlète, son quotidien bien rempli entre ses activités en refuge l’été et celles de pisteuse-secouriste l’hiver, ou encore son engagement en tant que pompier volontaire à Beaufort. « J’ai vocation à rester à la station, à ne surtout pas changer », assure d’ailleurs Alice.
« Son côté terre-à-terre, ça change et ça remet l’église au centre du village, s’enthousiasme Jean-Michel Faure-Vincent. Elle veut faire du sport, mais en même temps, elle veut conserver ses autres centres d’intérêt, ne pas aller plus vite que la musique. C’est intéressant de travailler dans ces conditions, sur le temps long. Le but est qu’elle soit régulièrement dans le top 5 des plus grandes courses d’ici trois ans. » Étape par étape, donc.
L’année 2024 aura aussi apporté à Alice son premier stage en équipe de France de trail, dans le Cantal, en septembre dernier. Adrien Séguret l’avait convoquée pour apprendre à la connaître, comme d’autres athlètes auteurs de performances remarquables — à l’image de Mathieu Blanchard (victoire Maxi-Race) ou Louison Coiffet (victoire sur l’ultra-trail de la Restonica), qui ont, un mois plus tard, gagné respectivement la Diagonale des fous et le Trail de Bourbon —, avec en ligne de mire les championnats du monde de trail en septembre 2025, à Canfran, dans les Pyrénées (Espagne). Le terrain y est plus technique que dans les Alpes et très montagneux, « taillé pour elle », selon le sélectionneur national.
Mais la jeune femme a décidé qu’en 2025, elle se concentrerait sur le circuit de Skyrunning, en participant notamment à toutes les courses organisées en France, à savoir, la Skyrace des Matheysins (avril), la Skyrace des Gorges du Tarn (juin) et la Skyrace Saint-Jeoire en Haute-Savoie (septembre), mais aussi la Skyrace de Monte Zerbion en Italie (mai). Elle envisage également de participer à la finale des Skymasters au Marato Dels Dements en Espagne.
Alice songe aussi aux autres courses qu’elle aimerait disputer, un jour, parmi lesquelles la mythique Zegama-Aizkorri, au Pays basque espagnol, ainsi qu’à l’achat de son propre refuge. Mais au vu de sa carrière sportive qui se dessine, ce rêve professionnel attendra sans doute un peu.
Article écrit avec la collaboration de Franck Berteau et Nicolas Fréret
Écoutez le talk-show La Bande à D+ sur votre plateforme de podcast préféré ou en cliquant ci-dessous 👇
![](https://distances.plus/app/uploads/2024/02/Final_D_2024_16_9_CS-1024x576.jpg)