À près de 50 ans, Thierry Breuil estime avoir déjà « vécu [ses] plus belles émotions ». Il a été l’un des pionniers du développement du trail running en France, aux côtés de Thomas Lorblanchet, Erik Clavery ou encore Patrick Bringer. Toujours très impliqué dans son sport, il met une grande partie de son énergie avec un fol enthousiasme comme chef de produit chez EVADICT, anciennement Kalenji, la marque dédiée au trail de Décathlon. Distances+ s’est longuement entretenu avec ce grand athlète devenu un communiquant passionné. Portrait!
Thierry Breuil a suivi un parcours plutôt « classique » dans le monde de la course à pied. Il s’est inscrit dans un club d’athlétisme après avoir remporté un cross scolaire lorsqu’il était en classe de CM1. Il a tout de suite montré de belles capacités en s’illustrant notamment aux championnats de France minimes scolaires où il a terminé deuxième du 3000 m.
« Sans me doper, je n’avais pas le niveau »
« J’avais trouvé un truc, se souvient Thierry. Je courais bien, j’adorais m’entraîner. J’étais quelqu’un de très reclus sur lui-même parce que je m’assumais moyennement et j’étais tout petit. Je n’avais pas envie de bosser à l’école et la course à pied m’a tout de suite donné le moyen de devenir quelqu’un. »
Il a poursuivi son chemin en étant chaque année parmi les meilleurs de sa catégorie et en jouant le podium sur tous les championnats nationaux auxquels il a participé. Il a même été champion de France du 3000 m steeple en catégorie junior. Mais à 20 ans, le Corrézien a fait un constat : « quand tu arrives dans la catégorie sénior, il te faut une espèce de déclic pour devenir un bon sénior et vraiment percer, ce qui était mon rêve. J’ai compris que par des voies légales, donc sans me doper, je n’avais pas le niveau », déplore-t-il.
Passage glorieux par la course en montagne
Il a donc décidé de se tourner vers des courses où le niveau, en termes de densité par rapport à la piste, était moindre, à savoir sur route et en course en montagne. C’est surtout dans la seconde qu’il s’est investi et épanoui. « La course en montagne m’a bien correspondu parce que c’était des efforts très courts, entre 1 h et 1 h 20, avec de très grosses montées et des descentes, justifie l’intéressé. Il fallait envoyer du steak du début à la fin. »
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En 1996, dès sa première année dans la discipline, il a remporté les championnats de France. Il a terminé 2e de ses premiers championnats d’Europe et a décroché le titre par équipe. Durant ses dix années en course en montagne, il a obtenu un second titre de champion de France et a été plusieurs fois médaillé aux championnats du monde, mais n’a jamais décroché le titre.
Arrivée fracassante dans le trail
En 2005, Thierry Breuil a éprouvé le besoin de changer d’air. Il a alors commencé à s’intéresser au trail qui en était à ses « balbutiements », comme il aime le dire. Il se rappelle, un brin moqueur, « des mecs qui portaient une tenue un peu hybride, des chaussures de route parce que celles de trail n’existaient pas, un short d’athlé et une espèce de sac qui n’était pas le sac de course que l’on connaît aujourd’hui, ça n’existait pas, mais quelque chose entre le sac à dos et la ceinture qui ballottait de partout. »
Il avoue avoir hésité à se lancer au début par crainte de perdre sa vitesse — l’une de ses forces —, puisque les sentiers sont plus techniques sur les courses de trail que sur les chemins de course en montagne, et qu’il faut souvent marcher ou crapahuter plutôt que juste courir. Mais Thierry Breuil assure qu’il s’investit toujours corps et âme quand il s’engage dans quelque chose. « Si tu me donnes un os à ronger, ne t’inquiète pas, je vais le ronger » plaisante-t-il pour illustrer son jusqu’au-boutisme qui a pu lui jouer des tours parfois.
Finalement, c’est une blessure en pleine préparation marathon qui l’a amené au trail en 2006. « Je me suis dit : “puisque tu te blesses, il faut que tu fasses quelque chose où tu vas moins vite”. Je pensais un peu que ça n’allait pas vite en trail », jugeait alors naïvement le natif de Brive-la-Gaillarde. Il s’est donc inscrit au dernier moment à une course locale par chez lui, qui était déjà très populaire dans le paysage du trail en France : Les Gendarmes et les Voleurs de Temps. Une course de 32 km et 1000 m de dénivelé qu’il a remportée.
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« Là, quand tu gagnes, ce n’est pas les régionaux de cross, là, il y a des centaines voire des milliers de personnes. Tu as l’impression d’avoir gagné un énorme truc, se remémore Thierry Breuil. Et puis, tu as la joie de courir en nature, de sentir que tu es bien et que ça correspond à quelque chose de nouveau que tu as envie de faire. »
Il venait bien de trouver son nouvel os à ronger. À la suite de cette victoire, il s’est rendu sur les épreuves du circuit Trail Tour National 2007 (TTN, l’ancienne formule du championnat de France de trail qui se faisait en plusieurs étapes). À ce moment-là, « il restait quatre courses (au calendrier), se souvient-il. Globalement, (pour gagner le championnat), il fallait que je remporte les trois premières et que je sois très bon sur la dernière, qui était les Templiers ». Il a remporté les trois premières courses et s’est classé troisième du Grand Trail des Templiers, qui se nommait encore Grande Course des Templiers, décrochant le titre sur le TTN.
Le Trail de la Côte d’Opale et le Festival des Templiers
Deux courses de ce circuit ont particulièrement marqué la carrière de Thierry Breuil : le Trail de la Côte d’Opale, dans le Pas-de-Calais, et le Festival des Templiers, en Aveyron.
Il a remporté huit fois le Trail de la Côte d’Opale (62 km, 1400 m D+) en 10 ans (il n’a manqué qu’une seule édition sur ces 10 éditions). « Le Nord, c’est moche, mais la Côte d’Opale, c’est magnifique, s’extasie le traileur. Au début, j’y allais pour marquer mes points du TTN, mais j’ai tissé un lien avec l’organisateur à force. Je suis devenu amoureux de cette terre. Bon je n’irai pas y habiter, mais y aller tous les ans c’est ressourçant », commente-t-il. Si on devait construire une statue à son effigie, l’intéressé assure qu’elle serait installée dans le Pas-de-Calais. « Les gens m’adorent là-bas », s’enthousiasme-t-il.
Quant au célèbre Festival des Templiers (78 km, 3600 m D+), c’est pour lui « la Mecque du trail ». « Si tu veux gagner tes lettres de noblesse, il faut gagner cette course », croit le Brivisite. C’est comme l’UTMB pour l’ultra-trail.
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Lors de sa première participation en 2007, il avoue avoir été « prétentieux ». « Je venais de commencer, j’avais gagné trois courses, je m’entraînais à 15 km/h dans mes chemins et je voyais que ça se gagnait à 10 km/h. J’étais sûr de gagner », se rappelle Thierry Breuil. Mais c’est Thomas Lorblanchet qui a remporté cette course en reléguant le néophyte à plus de 30 minutes. La claque!
En 2008, il s’est de nouveau aligné sur le Grand Trail des Templiers et a pris la 7e place. « Je me disais que je ne gagnerais jamais alors que j’en rêvais », souligne le champion français. Mais il avait tort. Sa troisième participation, en 2009, aura été la bonne. Ça reste la plus belle victoire de sa carrière, selon lui.
Il n’a d’ailleurs pas de mal à revivre l’événement. Les derniers kilomètres surtout. « En haut du Roc Nantais, tu vois l’arrivée et tu sais que tu vas gagner, raconte-t-il. Donc de maintenant jusqu’au moment où tu vas arriver à la ligne, tu vas vivre le bonheur le plus intense. Une fois que tu as franchi la ligne d’arrivée, c’est fini, c’est du passé. J’ai profité de chaque mètre que j’ai parcouru. J’ai même pleuré tout seul dans mon chemin qui me menait alors à Nant », revit-il encore ému (désormais l’arrivée est à Millau).
L’échec de sa carrière
Il existe tout de même une ombre au tableau de chasse de Thierry Breuil : les championnats du monde de trail. « Trois échecs! » a-t-il lâché d’emblée lorsque Distances+ a abordé le sujet. Il a remporté le titre par équipe en 2011 au Connemara en Irlande avec Érik Clavery et Patrick Bringer, et a terminé vice-champion par équipe en 2013 avec Julien Rancon et Fabien Antolinos à Conwy au Royaume-Uni.
Les championnats du monde en Irlande (70 km, 2600 m D+) restent sa plus grosse déception en carrière. « C’était un gros échec! Avec Philippe Propage, l’entraîneur de l’équipe de France de trail, on était persuadés que j’allais gagner, se remémore Thierry Breuil. On nous avait vendu le tracé comme particulièrement roulant et effectivement sur le papier ça l’était. Mais on courait dans des tourbières et on s’enfonçait jusqu’aux genoux. On avait travaillé la vitesse pour être capable de courir très vite pendant 80 km sauf que ça s’est gagné à deux à l’heure parce qu’on n’avait pas d’appui », poursuit-il. Il a fini seulement 7e. C’est son co-équipier Erik Clavery qui avait remporté la médaille d’or. Patrick Bringer était lui monté sur la troisième marche du podium.
L’absence d’un titre individuel est le principal regret de l’ancien international et un podium n’aurait rien changé. « Finir deuxième ou troisième ça ne m’intéressait pas », reconnaît le compétiteur.
La Diagonale des fous, sa plus belle émotion
Depuis quelques années, Thierry Breuil s’est laissé attiré par les plus longues distances. Lui, le spécialiste des courses entre 60 et 80 km se demandait régulièrement « comment font ces gens, qui ne sont pas bons comparés à un athlète de haut niveau, qui vont mettre 35 heures en s’entraînant trois fois par semaine » pour terminer des ultras. Cette réflexion l’a pas mal travaillé. « Ça m’interpellait, je me disais presque que je n’étais pas un vrai traileur parce que je n’avais pas fait ça », assure-t-il.
C’est pourtant sur un ultra qu’il s’est forgé sa plus belle émotion dans le sport. En 2019, il a participé à la Diagonale des Fous (168 km, 9600 m D+) avec son petit frère Olivier, qui est agriculteur. À cause de sa profession, Olivier ne s’était pratiquement pas entraîné avant l’épreuve réunionnaise. Il avait fait seulement quatre entraînements au cours de l’été, selon Thierry. Pire, il s’était même déchiré le mollet.
Si un temps, Thierry Breuil avait pensé que la blessure de son frère allait l’handicaper et les contraindre à abandonner, les frangins ont réussi à aller au bout de l’épreuve. « Le deuxième jour, il m’a demandé de s’arrêter pour dormir toute la journée, mais à chaque fois, j’arrivais à l’enfumer en lui disant qu’on s’arrêterait au prochain ravitaillement », conte l’aîné.
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Ils se sont même permis une folle remontée à partir du sommet du Maïdo passant de la 200e place à la 63e, en 33 h 32. Ils ont franchi la ligne d’arrivée à trois, puisqu’en haut du Maïdo, les deux frères ont rattrapé Damien, un collègue de Thierry Breuil, avec qui ils ont terminé, même si Damien a voulu laisser les frères Breuil franchir la ligne tous les deux.
« On a vécu une course qui n’a jamais été difficile et qui était fabuleuse. C’est un souvenir incroyable » résume-t-il. Une émotion décuplée par le fait qu’il n’avait pas partagé beaucoup de temps avec Olivier durant son enfance.
Ils se sont tous les deux inscrits pour l’édition 2021, avec un objectif de mettre cinq heures de moins qu’il y a deux ans.
Le partage comme ligne de conduite
Tout en demeurant ultra actif et encore compétitif, Thierry Breuil participe à l’évolution de la course en sentier autrement. Depuis 2013, il est chef de produit chez Décathlon pour la marque de trail EVADICT, une marque qui s’adresse au plus grand nombre à l’image de l’enseigne multisports française. « J’avais cette volonté de faire des produits techniques, raconte-t-il. Mon but à moi c’est moins d’aller chercher le débutant que de faire venir le passionné, voire le spécialiste ou expert perf », assume-t-il.
Son expérience du haut niveau s’est avérée un sérieux atout, notamment pour concevoir la Race Light, une chaussure taillée pour la compétition dont la commercialisation débute à peine. Après avoir fait courir son équipe avec les meilleures paires de chaussures qu’il avait, Thierry Breuil a affiché ses ambitions. « Je voulais qu’elle soit plus légère que la chaussure la plus légère qu’on avait dans notre gamme. Je voulais qu’elle soit plus dynamique que notre chaussure la plus dynamique. Je voulais qu’elle ait une meilleure accroche que celle qui a une bonne accroche », ambitionnait le chef de produit, lui dont les sentiers lui servent de bureau.
Une fois les consignes données et le prototype conçu, il a fait le choix de ne pas les essayer lui-même. « Pour pouvoir mieux me concentrer sur les impressions des autres », justifie-t-il. Les autres, ce ne sont pas n’importe qui. Ce sont tous des coureurs avec une côte ITRA supérieure à 700. « Je voulais des gens qui arrivent sur une ligne de départ pour jouer la gagne, des gens qui courent sur l’avant du pied, pas avec une grosse attaque talon, explique Thierry Breuil. Cette chaussure s’adresse aux compétiteurs. » C’est seulement après avoir validé le test de qualité et celui de durabilité auprès de ces testeurs qu’il a enfin chaussé son produit pour pouvoir le tester.
L’EVADICT Race Light n’est pas un produit conçu pour être populaire. D’ailleurs, elle ne sera pas vendue dans tous les magasins, même si son prix défie la concurrence en étant deux fois moins cher que son équivalent chez une marque de référence comme Salomon (la S-Lab Sense), en l’occurrence 90 euros contre 180 euros.
Dans sa perspective de développement de produits spécialisés, Thierry Breuil aime aussi partager avec la communauté. Il est très présent sur les réseaux sociaux et dit passer énormément de temps à répondre aux différentes personnes qui lui posent des questions, que ce soit sur la chaussure ou sur n’importe quoi d’autre.
Il conçoit d’ailleurs sa page Facebook athlète comme un journal de bord, même s’il se considère plus comme un bon orateur. « Si tu t’assois au coin du feu avec moi et que je commence à parler, tu en as pour toute la nuit », plaisante-t-il d’ailleurs.
Même s’il n’est plus aussi performant que par le passé, Thierry Breuil continue de se fixer des objectifs. Outre la Diagonale des Fous, il devrait, d’ici l’été, participer à un défi avec l’ancien champion français de cyclisme Laurent Jalabert, mais au moment d’écrire ses lignes il tenait à garder le secret sur son contenu. « C’est un truc en théorie que je ne suis pas capable de faire, mais pendant quelques semaines, je redeviens un gamin qui a un os à ronger. »
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