Le confinement obligatoire instauré en France pour endiguer le coronavirus, ainsi que l’annulation ou le report de toutes les compétitions, a mis la saison de tous les athlètes européens sur pause. Comment ont-ils vécu cette période complètement inédite? Distances+ a posé la question à plusieurs des meilleurs traileurs français. Ces entrevues ont été réalisées en avril.
C’est au tour de Thibaut Garrivier, de l’équipe Hoka, de nous raconter son confinement. Ou devrait-on dire Dr Garrivier, car l’athlète lyonnais est bien plus soignant que coureur ces derniers temps.
Le jeune trentenaire fait partie des ultra-traileurs qui montent. L’an dernier, il a remporté sa plus grande victoire en carrière en s’offrant la très relevée Transvulcania (74 km, 4330 m de D+) sur l’île de La Palma aux Canaries, devant le Russe Dmitri Mityaev. Il a également terminé premier du marathon de la Maxi-Race d’Annecy en 2018 et est monté sur le podium de la CCC 2019 à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc.
Distances+ : Comment vis-tu la période de confinement actuelle?
Thibaut Garrivier : Plutôt bien finalement. En tout cas mieux que ce que j’aurais imaginé si on m’avait dit cela en début d’année, surtout en vivant au centre-ville de Lyon. Mais il y a plusieurs raisons particulières à cela :
Premièrement, je travaille à l’hôpital en tant que médecin radiologue et cela occupe une bonne partie des journées. Actuellement, le rythme est franchement diminué car nous n’accueillons plus les patients externes et ne nous occupons que des patients hospitalisés pour la grande majorité infectés par le Covid-19. Les plages horaires sont donc réduites et l’intensité de travail n’est plus la même. Personne n’aime ce faux rythme.
Ensuite, je suis blessé depuis mon retour de stage à Majorque avec l’équipe Hoka, fin février. J’ai une fracture de fatigue du calcanéum et donc j’ai fait deux semaines de béquilles qui devront être suivies de 8 à 12 semaines sans course. J’ai repris le home trainer, mais il m’est toujours impossible de courir donc la frustration est moindre.
Enfin, globalement, depuis que je m’entraîne à ce niveau, début 2018, le temps est une denrée rare avec mon planning hospitalier, les gardes, les remplacements, la thèse et l’entraînement. Surtout depuis que je prépare des courses qui se gagnent en 6-8 heures. Je cours sans arrêt après le temps depuis deux ans et le fait de se retrouver « suspendu » comme cela, je le vis plutôt comme une aubaine : j’ai pu m’intéresser à plusieurs sujets, apprendre et développer sur d’autres, ce qui est toujours très chronophage.
Parle-nous de l’impact que cela a eu sur ta motivation.
C’est également particulier à cause de la blessure, car elle me tiendra éloignée des sentiers plus longtemps que ne le fera le confinement. Après une grosse phase de déception classique de quelques jours, j’ai pu analyser, notamment avec l’aide de Jacques Pruvost (NDLR : médecin de la fédération française d’athlétisme), les causes de cette blessure afin de prendre les dispositions nécessaires pour le futur.
Ma motivation, comme l’an dernier au cours de ma grosse blessure, est décuplée. C’est même un peu le problème. Pendant ces périodes, je développe une sorte de motivation viscérale irrépressible qu’il faut rendre raisonnable pour la reprise. « J’épargne » cette frustration, je l’investirai plus tard. J’aime m’en souvenir en course dans les moments durs, comme à la CCC l’an passé. Cela me transcende. En tout cas, mon envie de courir en compétition est toujours plus grande. J’ai envie de voir sur le terrain les progrès effectués encore cet hiver et je crois que j’ai encore une marge de progression pour les années à venir. En deux ans, la progression a été très linéaire et je n’ai pas le sentiment d’avoir atteint un plateau. J’ai encore pas mal de domaines où je pense pouvoir m’améliorer et il va le falloir.
En fil rouge, j’ai toujours la motivation d’intégrer l’équipe de France, après mon loupé de l’an passé. Les championnats du monde 2021 sont un objectif majeur depuis ma déception d’avril 2019 où j’ai manqué la course de sélection (NDLR : Trail de la Drôme).
As-tu fait une croix sur ta saison? Sur quoi te concentres-tu désormais?
Cette année, je devais participer à Zegama et au Marathon du Mont-Blanc, deux courses des Golden Trail Series, à l’Ourea Trail, à la CCC et aux Templiers. Aujourd’hui, nous attendons encore la sentence pour l’UTMB et les Templiers, mais honnêtement je ne me fais que peu d’espoir pour ces deux événements dans la conception initiale vu le nombre de participants prévu.
Les championnats de France ont été rapatriés à Gap (4 octobre), d’où je viens, et même si le parcours est raccourci je serai certainement au départ, car le parcours est montagneux et c’est à la maison.
Les Templiers, j’aimerais vraiment. La suite dépendra de ce qui précède.
Cet été, avec le temps gagné par l’annulation des compétitions, je vais pouvoir faire deux projets qui me font rêver depuis deux-trois ans maintenant : le premier à vélo en bouclant « les 7 Majeurs » (NDLR : 360 km, 12 000 m D+ en passant par les sept grands cols des Alpes franco-italiennes à plus de 2000 m d’altitude) et le second à pied en effectuant le tour du Queyras par le chemin de grande randonnée GR 58. Tout cela bien évidemment avec plusieurs amis de divers horizons et sous le soleil haut-alpin.
J’aime vraiment m’entraîner et comment cela rythme ma vie. Je vais prendre un nouveau poste au CHU de Croix-Rousse à Lyon pour deux ans. La nouveauté et le challenge me stimulent et ajouté à ces deux objectifs, il va y avoir du pain sur la planche. Je crois que l’été s’annonce parfaitement bien. J’ai hâte!
Quel enseignement tires-tu de ce que nous sommes en train de vivre?
Je vais être honnête : pas forcément grand chose. Savoir que faire du sport, habiter en montagne ou à la campagne et vivre plus simplement nous préserve de beaucoup de choses dont le coronavirus, j’en étais bien conscient. Savoir que l’on a de la chance d’habiter en France aussi. Il y a peu de pays qui à la fois protègent leurs citoyens et indemnisent ceux qui ne peuvent pas travailler. Il faut bien comprendre que c’est une chance.
Concernant certains comportements humains que nous voyons se développer ces derniers temps sur les réseaux sociaux et le manque de respect des règles de confinement, je crois que mes études médicales m’avaient déjà montré un bon panel de l’Humanité. A posteriori, il y a toujours bien des choses qui n’ont pas été dans le bon sens, mais à mon avis certains donneurs de leçon sont trop loin de la réalité de terrain pour donner un avis aussi clairvoyant qu’ils pensent l’être.
Il y a beaucoup d’hypocrisie, la plupart des détracteurs du monde actuel oublient de balayer devant leur porte ou alors n’ont pas bien analysé leur parcours et pourquoi/grâce à quoi ils sont ce qu’ils sont. Nous vivons sur une pyramide complexe dont nous tirons TOUS bénéfice de choses plus ou moins décentes dans un but hédoniste ou égoïste.
Plus concrètement, j’ai appris quelques notions économiques et financières qui m’intéressent toujours. Ces domaines sont très liés et sont basés sur les comportements humains.
J’ai trouvé cela intéressant de voir comment était gérée la crise à l’hôpital, l’organisation de la santé pour le bassin lyonnais et la solidarité entre tous les acteurs. C’est une véritable performance comme on l’aime en sport. La gestion de la santé à cette échelle nécessite la prise en compte de notions humaines et politiques qui vont bien plus loin que ce dont on parle tous les jours.
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Voyez cette expérience humaine unique comme une chance en retournant la question : nous avons du temps, le bien le plus précieux pour se développer, apprendre, comprendre, penser, gainer, mentaliser et prévoir de superbes projets qui vous font ou vous ont fait rêver. Tant que l’on a du temps, on est vivants et la seul chose que l’on ne peut pas récupérer, c’est le temps perdu.
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