Émilie Dalibert et son chandail de l’Ultra-Trail Harricana au départ de la Swiss Peak 360 – Photo : courtoisie
NORMANDIE, France – Distances+ vous emmène aujourd’hui à la découverte d’Émilie Dalibert, une montagnarde française nichée en Normandie qui travaille à Paris. On la retrouve plus souvent qu’autrement sur un flanc de falaise sur le tracé du Trail des 2 Amants, non loin de Rouen, randonnant seule sur un pierrier pyrénéen, souriante et jasante à l’arrière du peloton d’un ultra, comme l’Harricana, dont elle se révèle une véritable ambassadrice outre-Atlantique, ou grimpant vers le « colosse de l’Amérique », les yeux, le coeur et la tête rivés vers l’horizon et l’au-delà…
Courir pour courir ne l’intéresse pas. Émilie aime courir pour aller plus loin, pour monter plus haut et en profiter plus longtemps. Sur sentier uniquement. Elle goûte d’ailleurs très peu à l’entraînement apparemment, en dépit des aventures qu’elle égraine sereinement, après avoir fantasmé et mijoté ses voyages, qu’elle prend toujours plaisir ensuite à partager. Elle les raconte dans ses carnets d’expéditions avec précision et une infinie douceur. Toujours avec émotion, sans héroïsme ni gloriole. Émilie a ce don de transformer la sueur de ses efforts – et de ses douleurs dans le feu de l’action – en invitation au voyage. Dans les yeux d’Émilie, les mots se lisent comme du bonbon.
Gestionnaire de barrières horaires
Émilie accroche chaque année plusieurs dossards à sa jupette, mais elle se moque royalement de la compétition. Elle court, elle marche, elle s’arrête. Elle discute, elle photographie, elle se délecte. D’un soleil couchant, d’un parterre de fleurs sauvages, ou d’une tablette de chocolat qu’elle partage sur un banc, en admirant les boucles de la Seine. Elle arrive quand elle arrive, toujours avec ce grand sourire. Et gère comme personne les barrières horaires.
Car même si elle n’est pas une athlète élite, elle en a derrière la casquette, des ultras. Près d’une vingtaine déjà, dont la Diagonale des fous à La Réunion, la Swiss Peak 360 en Suisse (six jours et demi le petit délire pour seulement sept heures de sommeil cumulé), l’Ultra Run Raramuri dans les canyons mexicains ou encore le MIUT sur l’île de Madère.
Elle ne se définit pas vraiment comme une ultra-traileuse. Elle l’est tout autant que rêveuse et randonneuse. La vérité, c’est qu’Émilie est une ultra-touriste, une source d’inspiration pour les coureurs en sentier contemplatifs, qui prennent le départ d’une course avant tout pour en prendre plein la vue, tout en repoussant leurs limites. « Dans le fond, j’aime avant tout voyager, reconnaît-elle. L’ultra est devenu une excuse pour voyager plus rapidement. »
« Je cours pour moi, parce que j’aime ça »
« Je ne me suis que très rarement contrainte à aller courir, écrit Émilie. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment culpabilisé à ce sujet. Je n’ai rien à perdre ou à gagner. Je le fais pour moi. Parce que j’aime ça. »
Et son but ultime est « d’avancer vers de nouveaux horizons ».
Au sommet de l’Aconcagua
Pour débuter l’année du bon pied, Émilie Dalibert a gravi l’Aconcagua, le point culminant de la cordillère des Andes, entre l’Argentine et le Chili, à près de 7000 m d’altitude. 6962 m exactement. La précision prend tout son sens quand on avance en carence d’oxygène à 100 mètres à l’heure. « On a mis 10 heures pour faire 1000 m de D+, en mode cosmonaute », se souvient-elle, encore essoufflée.
2019 a commencé en haute altitude et se déclinera jusqu’en octobre en milliers de kilomètres et dizaines de milliers de mètres de dénivelé positif et négatif.
Trail des 2 Amants, son (vrai) point de départ
Distances+ a rencontré Émilie Dalibert près de chez elle début avril, à l’occasion du Trail des 2 Amants (TDA, 55 km pour 2000 m D+) à Pitres dans le département de l’Eure. Sa course de coeur. Celle où elle a débuté il y a six ans. Elle ne gagne pas, elle n’est jamais devant, mais elle est connue comme le loup blanc. C’est là, sur les sentiers de roches calcaires surplombant la Seine et le lac de Léry-Poses, et à travers la forêt, les champs de vaches et de colza qu’elle aime symboliquement lancer sa saison.
« Ici, on n’a pas de montagnes, c’est vrai, mais on a plein de collines. Sur le TDA, ça monte et ça descend sans arrêt, c’est très varié, avec des chemins techniques qui se courent, détaille celle qui fait activement partie de l’association des Traileurs normands. Et il faut mettre un bon coup de cul dans les pentes. Ça surprend beaucoup les gens qui ne connaissent pas, mais 2000 mètres de dénivelé, ça commence à faire pas mal sur une cinquantaine de kilomètres. »
Le TDA, tracé en boucle, et son petit-frère le 50 km du Trail des Rois maudits, organisé fin septembre, « ont la réputation d’être parmi les plus beaux et les plus difficiles du nord-ouest de la France », selon l’un des organisateurs, Xavier Masseline, qui assume son chauvinisme. « L’avantage, c’est qu’on a très peu de routes, et une fois sur les falaises, on n’a que du sentier et du single, à la fois technique et roulant. »
Xavier et son camarade de jeu, David Leclercq, apprécient la présence récurrente d’Émilie sur leurs courses. Elle semble avoir un petit côté rassurant.
2019, l’année de l’épopée en sentiers
Dans quelques jours, Émilie Dalibert partira en solitaire, parce qu’elle aime follement être seule en pleine nature, pour parcourir les 365 km de sentiers entre Paris et Le Havre en suivant les boucles de la Seine jusqu’à la mer. Ce fleuve l’accompagne de loin au quotidien. C’est un peu comme s’il lui tendait la main depuis tellement longtemps qu’elle ne pouvait plus résister. Et maintenant que c’est décidé, Émilie le crie haut et fort, elle a hâte! « Au début, je voulais le faire en rando et camper, mais je n’ai pas assez de jours de congés pour toute l’année, alors je vais courir un peu… » raconte-t-elle.
Un peu après son retour, elle organise, le 13 juin, avec enthousiasme et sa clique des Traileurs normands, la première projection en Normandie de la tournée internationale de films sur la course en sentier Trails in Motion, bien connue au Québec.
Ronda dels Cims, Tor des Géants et Ultra Run Rajahstan
Puis ce sera le vrai grand départ en montagne. Après un stage d’alpinisme, elle se rendra en Andorre pour courir la Ronda dels Cims, un monstre de 170 km et 13 500 m de dénivelé qu’elle n’a pas été en mesure de dompter l’an dernier parce qu’elle s’est perdue. Mais comme elle aime un peu se perdre et qu’elle n’est pas du genre pressée, plutôt que pleurer sa déception, elle a souri, encore, se disant avec philosophie que « la montagne sera toujours là demain ». Elle y retournera donc fin juillet, et compte bien aller au bout. Le mois d’après, la jeune femme de 38 ans, qui travaille dans un laboratoire de santé environnementale, reprendra le chemin des Pyrénées pour une randonnée en solitaire d’une dizaine de jours.
Puis ce sera un autre grand mythe de l’ultra-trail qu’elle embrassera, le Tor des Géants (330 km, 24 000 m D+), dans les Alpes italiennes. Mais pour Émilie, et Rico le petit panda en peluche qui l’accompagne dans toutes ses aventures, il devrait y avoir encore de la place pour les 250 km et 5000 m de dénivelé de l’Ultra Run Rajahstan en Inde, fin octobre. « Ouais, c’est vrai que c’est assez condensé entre avril et octobre », souligne-t-elle, amusée.
« Je sais que je serai prête. Car au-delà de l’entraînement (auquel elle consacre relativement peu de temps), j’ai l’envie, affirme-t-elle. Et j’ai réfléchi aux enchaînements dont j’ai besoin pour retrouver la force, l’endurance et la résistance. Travailler sur la durée et le dénivelé. Ne pas trop brusquer. Et s’amuser ! Pour aller plus haut. »
Face à cette liste de défis, l’aventureuse Émilie Dalibert n’impose aucune prétention, aucune autre ambition que de vivre pleinement les moments pour ce qu’ils sont, hors normes.