La « chance exceptionnelle » de l’ultra-traileuse Suzanne Lefrançois Couturier

Suzanne Lefrançois Couturier
Suzanne Lefrançois Couturier - Photo : Nicolas Royer
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La pandémie a chamboulé nos vies. Les athlètes ont dû s’adapter à l’annulation ou au report de la plupart des compétitions de trail dans le monde. Ils ont dû réviser leurs objectifs et adapter leur entraînement. Depuis le début de l’année 2021, Distances+ a demandé à plusieurs coureurs inspirants de raconter comment ils vivent cette période inédite.

Au début de l’été 2015, lors du Marathon du Mont-Blanc, Suzanne Lefrançois Couturier, une coureuse du Club de trail de Montréal originaire de La Malbaie, au Québec, avait eu un coup de cœur pour les Alpes. Quelques semaines plus tard, sur le parcours du 125 km de l’Ultra-Trail Harricana du Canada (UTHC), dans sa région natale, la jeune femme avait eu un coup de foudre réciproque, en pleine course, pour l’athlète français Nicolas Royer, devenu l’homme de sa vie. Elle ne s’imaginait pas alors qu’elle le rejoindrait au pied des Alpes et, encore moins, la passion se confirmant, qu’elle poserait ses valises à Val d’Isère, en Savoie, pour embrasser une vie de montagnarde active, à 2000 m d’altitude.

Elle rêvait les yeux ouverts en contemplant amoureusement ces sommets alpins, devenus un peu les siens, quand la pandémie a frappé et a de nouveau bouleversé son quotidien et ses ambitieux projets sportifs. Mais ses conditions de vie, qu’elle estime extrêmement privilégiées en tant qu’amoureuse de la nature, de la montagne et de la course en sentier, lui ont permis de s’épanouir, de garder son grand sourire et de transformer positivement le moindre petit inconvénient.

Suzanne Lefrançois Couturier a répondu avec son habituelle générosité aux questions de Distances+ quelques heures après avoir annoncé son retour, l’automne prochain, sur sa course fétiche : le 125 km de l’UTHC, chez elle dans Charlevoix.

Suzanne Lefrançois Couturier
La Québécoise Suzanne Lefrançois Couturier vit et s’entraîne désormais dans les Alpes, à Val d’Isère – Photo : courtoisie

Distances+ : Avec du recul, comment as-tu vécu ton année 2020?

Suzanne Lefrançois Couturier : 2020 a été une belle année remplie d’imprévus, une période un peu déstabilisante, mais intéressante. Tout ce qui était planifié et organisé est tombé à l’eau du jour au lendemain. Je travaillais beaucoup quand le premier confinement est arrivé, on était en pleine saison dans la station de ski de Val d’Isère. J’avais un poste dans l’organisation du Club des Sports et on préparait La Scara, une course de ski internationale pour les jeunes et le Challenge Altigliss, pour les étudiants des HEC (Hautes Écoles de Commerce). Brutalement, mon contrat de travail a pris fin et je me suis retrouvé avec beaucoup de temps pour moi.

En France, le confinement était très strict avec seulement une heure de sport en extérieur autorisée dans un rayon de 1 km du domicile et l’interdiction d’aller sur le domaine skiable et en montagne. Il faisait une température incroyable, il y avait du soleil presque tous les jours en plus! C’est vraiment difficile pour une ultra-traileuse de sortir juste une heure dans un rayon de 1 km quand on habite au cœur du plus beau des terrains d’entraînement possible! Je connais maintenant toutes les fissures et les nids de poule de la route devant chez moi.

Au début, la situation était très frustrante parce que j’avais du temps, la température était idéale et j’avais le terrain propice à l’entraînement. Je voyais mes amis coureurs au Québec en profiter pour faire de longues sorties, mais ici c’était interdit. Je devais retourner un mois au Québec pour voir ma famille, mais ça aussi, ce n’était plus possible. Puis j’ai appris à vivre avec ces contraintes, un peu comme on apprend à courir avec la douleur sur un ultra. J’ai décidé d’accepter la situation et d’en tirer le meilleur. J’ai trouvé une stabilité et du réconfort dans ma petite sortie quotidienne d’une heure sur la même route, mais avec des paysages au printemps toujours changeant. Les bouquetins, les chamois et les gypaètes étaient visibles depuis la route souvent et j’ai finalement pris plaisir à courir pour prendre l’air et non dans une optique d’entraînement.


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Pour l’été 2020, j’avais prévu des trails entre 50 et 100 km en France, mais presque tout a été annulé. J’ai donc passé mon été en mode balade dans les Alpes aux alentours de la maison. Ç’a été génial! J’ai découvert de nouveaux sentiers, j’ai fait un peu de vélo de route et j’ai débuté l’escalade. J’ai aussi fait le trajet de l’UTMB en off sur quatre jours avec mon mari. Ç’a été nos plus belles vacances! Puis, j’ai pu participer au 50 km de Courchevel (3730 m D+), une course splendide, avec des passages dans la neige au mois d’août et sur des crêtes rocheuses (elle a terminé 7e, NDLR). C’était vraiment wouah! J’ai adoré cette course!

Avec l’automne, le retour du confinement, mais moins strict, m’a permis de continuer les sorties en montagnes pour le plaisir et j’ai retrouvé un travail à temps plein et un rythme de vie plus « normale ». 

Par contre, à la fin de 2020, l’annonce de la fermeture des remontées mécaniques a été un autre coup dur pour notre station. Je me suis retrouvé à nouveau avec beaucoup de temps libre. Mais courir dehors en hiver à 2000 m d’altitude dans la neige, ce n’est pas comme courir au Québec en hiver, il y a vraiment beaucoup de neige! Et les risques d’avalanches rendent plusieurs trails inaccessibles. Je me suis donc mise au ski de randonnée. C’est très exigeant, le cardio monte vite et les jambes brûlent! 

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Suzanne Lefrançois Couturier a eu un coup de coeur pour le ski de rando dans les Alpes – Photo : courtoisie

Que retiendras-tu et quels enseignements as-tu tirés de cette période insolite?

Cette année 2020 m’a déboussolé. J’ai perdu mes repères. En tant que coureuse j’ai un rythme de vie stable. Depuis des années, je sais que mes temps libres sont consacrés à la course ou à la récupération active. Je ne me posais jamais la question de faire autre chose, car c’est ce qui me plaît. J’ai réappris à me reposer, à méditer, à regarder la montagne depuis mon balcon et à ne rien faire. J’ai retrouvé un calme intérieur, remis les priorités aux bons endroits. 

Je me suis aussi rendu compte que j’ai une chance exceptionnelle, celle de prendre du plaisir dans l’effort physique de longue durée. Être dans la montagne du lever au coucher du soleil, c’est formidable, et je me suis donné l’opportunité de pouvoir le faire régulièrement. Je me lève, malgré tout ce qui arrive en ce moment en me disant « Maudit qu’est belle la montagne à matin! » J’ai choisi de voir le beau dans cette période insolite.


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Suzanne Lefrançois Couturier et Nicolas Royer
Suzanne Lefrançois Couturier et Nicolas Royer sont tombés en amour avec Val d’Isère – Photo : courtoisie

Qu’est-ce que la pandémie et ses conséquences ont eu comme impact sur ta carrière de coureuse? Quelle est ta vision d’avenir à court ou long terme sur ta vie sportive?

J’avais tenté l’UTMB en 2019, avec l’ambition de courir mon premier 100 miles en 2020, mais je n’ai pas fini. Cela a été un DNF (Did Not Finished) difficile à accepter après 130 km de course. Finalement, j’ai pris beaucoup de plaisir sur des petits trails entre 20 et 50 km. 

La vision de mon avenir à moyen et long terme a changé. Peut-être en raison de la pandémie, mais aussi à cause de mon nouveau terrain d’entraînement. Je m’intéresse de plus en plus aux hauts sommets. J’ai envie d’apprendre l’alpinisme et de découvrir la montagne autrement. Je rêve de faire des courses comme la Pierra Menta en ski alpinisme un jour, mais bon, avant de se rendre là, il y a beaucoup de travail.

J’ai rêvé des Alpes depuis mes débuts dans le trail avec CTM (Club de trail de Montréal). On regardait les vidéos de Kilian (Jornet) en ski de rando et en trail et je me disais toujours que si je pouvais faire ce qu’il fait un jour, ce serait incroyable! Maintenant que j’habite à 2000 m d’altitude, je me dis que je dois en profiter pour pratiquer les sports de montagne. Je pense que le trail va demeurer mon sport de prédilection, mais je ressens moins le besoin de me présenter sur des grosses courses. J’ai surtout envie de partir à la découverte des sentiers en autonomie ou avec des nuits en refuges, d’être avec des amis et de prendre du plaisir.

Suzanne Lefrançois Couturier
Suzanne Lefrançois Couturier en ski de rando sur les hauteurs de Val d’Isère – Photo : courtoisie

Comment appréhendes-tu cette saison 2021? À quoi devrait-elle ressembler?

Depuis le début de l’année, j’ai fait beaucoup de ski de rando et peu d’entraînement de course. Je me remets tout juste à l’entraînement en course à pied plus assidûment. J’ai prévu d’aller au Québec cet été pour voir ma famille et mes amis et pour participer à l’Ultra-Trail Harricana chez moi dans Charlevoix (sans Nicolas Royer contraint de rester en France dans le cadre de son travail, NDLR).

Le 125 km Harricana est mon objectif principal cette année. Pour m’y préparer, j’ai prévu de participer au Trail des 5 Vals, au départ de Val d’Isère, une course en étapes sur deux jours avec des passages sur glacier entre la France et l’Italie.


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Pour terminer la saison, je prévois de retourner sur l’Ultra Trail Atlas Toubkal au Maroc, soit comme coureuse, soit comme bénévole. C’est vraiment dépaysant de parcourir dans ces montagnes et l’organisation est vraiment super.

J’ai aussi quelques projets en off pour profiter des montagnes. Pendant nos vacances avec mon mari, on va faire le trajet de la TDS (145 km, 9100 m D+) en off sur trois ou quatre jours, et des sorties longues par le col du Petit-Saint-Bernard depuis Bourg-Saint-Maurice dans la vallée de la Tarentaise en Savoie vers l’Italie en aller-retour, juste pour manger une pizza à La Thuile. Ce sont nos « sorties en amoureux » comme on les aime.

Suzanne Lefrançois Couturier
Suzanne Lefrançois Couturier est de plus en plus attirée par les sommets – Photo : courtoisie

Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?

La période que nous traversons est riche en apprentissages. On doit se réinventer et s’adapter. La situation prendra encore peut-être plusieurs mois avant de s’améliorer, mais rien ne sera plus jamais comme avant. On doit avancer, se fixer de nouveaux buts en accord avec la situation actuelle. Les courses, les gros événements sportifs, la compétition et les sorties en communauté nous manquent à tous, mais il ne faut pas oublier la chance que nous avons de pouvoir sortir jouer dehors malgré tout. 

Alors, sortez, profitez de la nature et de l’air frais, buvez du thé, relaxez, passez du temps en visioconférence avec ceux que vous aimez. On va s’en sortir en s’adaptant et ça va bien aller!

Suzanne Lefrançois Couturier
Suzanne Lefrançois Couturier sur le Marathon du Mont-Blanc – Photo : Marathon du Mont-Blanc