Rémy Jégard court depuis près de 40 ans. Journaliste spécialisé en course à pied dans le sud-ouest de la France et « passionné de trail depuis la première heure », il vient de publier « Histoire(s) du trail », un ouvrage dans lequel il met en avant les femmes et les hommes qui ont marqué cette discipline depuis une trentaine d’années, comme Antoine Guillon, qui signe aussi la préface. Portrait.
Au cours de sa carrière, Rémy Jégard a couru toutes les distances et sur tous les terrains, du championnat de France de cross, lorsqu’il était cadet, à la mythique Barkley qui a, dit-il, « changé sa vie », bien des années plus tard.
Sur route, même si elles datent un peu, il a d’honorables références chronométriques sur les distances académiques. Il est passé sous la barre des 33 min au 10 km, mais « sur un parcours qui n’était pas vraiment officiel, relativise-t-il. À l’époque, c’était un peu moins précis que maintenant ». Sur 21 km, il a réussi à passer la ligne d’arrivée en 1 h 11 min 50 s. C’était en 2001, lors de sa préparation des Templiers. « 15 jours avant la course, j’avais fait ce semi, puis j’étais rentré chez moi en courant. Ça m’avait fait une journée à 35-40 bornes, raconte-t-il. C’est un souvenir qui reste, parce que je n’ai jamais été autant en forme ». Deux semaines plus tard, il se classait 8e de l’épreuve de 67 km (elle s’appelait alors la Grande Course des Templiers). Enfin, sur marathon, il se souvient avoir terminé 2e en 2 h 40 à Pau. « Le marathon, c’est un peu mon regret, souligne-t-il toutefois. Comme j’ai toujours fait des trails, je n’en ai jamais préparé un correctement. Je pense qu’en le faisant bien j’aurais peut-être pu descendre entre 2 h 30 et 2 h 35 ». Il lui suffit, pour s’en convaincre, de se remémorer cette fois, au marathon d’Albi, où il est passé au semi en moins de 1 h 15. « Puis, je me suis arrêté et j’ai cherché quelqu’un pour me ramener. J’ai marché jusqu’à un ravito mais je suis finalement reparti, pour finir en 2 h 42. »
Évolution du trail
Rémy Jégard a suivi l’actualité de la course à pied des quatre dernières décennies en France. Fondateur et éditeur du magazine « Running Mag », il a pu observer les évolutions qui ont marqué le monde du trail.
« Il y a eu une ère durant laquelle le trail était très confidentiel, dit-il. C’était un peu la belle époque. Tu allais sur un événement et tu faisais un parcours qui ne faisait pas forcément la distance annoncée. Les ravitos étaient placés approximativement et tu ne savais pas ce que tu allais trouver sur les tables. C’était plus pour la découverte que dans le but de faire une perf, même si tu essayais de faire au mieux », se souvient-il.
C’est à la fin des années 2000 que les choses ont commencé à changer, considère-t-il. « Il y a eu une démocratisation, de plus en plus de monde sur les courses et donc plus de règles et de contraintes. Et plus il y avait de monde, plus il y avait des gens qui râlaient », a-t-il observé, le trail devenant selon lui un produit, même si certaines épreuves ont gardé leur esprit « aventure ». « On arrive toujours à en trouver dans des coins reculés, de petite taille, qui retrouvent l’esprit d’avant », se félicite-t-il, sans pour autant faire de reproches aux organisations modernes, mais, fait-il remarquer, « maintenant c’est plus calibré. Il y en a qui ont besoin de ça, qui s’expriment avec ça. »
Raconter des petites histoires plutôt que la grande histoire
Rémy Jégard s’est lancé dans l’écriture de son bouquin, dont l’idée lui trottait dans la tête depuis longtemps, durant la pandémie. « Avec la crise sanitaire, j’ai eu plus de temps. Une fois les premiers appels téléphoniques passés, je me suis dit qu’il n’était plus possible d’arrêter », explique-t-il.
« Histoire(s) de trail » n’est pas un livre d’histoire sur la course en sentier ni un recueil de statistiques. Il est plutôt composé de petites histoires et anecdotes qui viennent résonner avec la grande histoire du trail. « Je ne voulais pas faire des portraits, mais plutôt raconter des anecdotes de gens qui ont marqué la discipline depuis ses débuts, comme les champions, les organisateurs, les entraîneurs, les photographes, etc. »
« Le trail, je connais son histoire depuis ses débuts. Mon premier boulot de journaliste sportif, c’était à l’île de La Réunion, en 1989. Je me suis retrouvé propulsé sur la première édition du Grand Raid, qui s’appelait à l’époque la “Marche des Cimes”. L’organisateur m’avait dit que pour bien en parler, il fallait y participer, ce que j’ai fait l’année suivante ». Rémy n’a plus jamais quitté le monde du trail.
À l’époque, ceci dit, le mot « trail » n’existait pas encore. « Le terme est apparu en 1995 avec la création du Festival des Templiers. Il avait été importé des États-Unis par son fondateur, Gilles Bertrand, note Rémy Jégard. Là-bas, la pratique régnait déjà. Il y avait la Hardrock, la Western State, etc. En Europe, il y avait des courses comme Sierre-Zinal (en Suisse), qui date de 1974, mais ça ne s’appelait pas trail ». Les puristes disent d’ailleurs plutôt qu’il s’agit d’une « course en montagne ». Il y avait également des événements en France dès les années 70, comme « les Crêtes Vosgiennes, en 1976, et un ou deux ans plus tard est arrivé le Cross du Mont-Blanc. Ce qu’on appelle trail aujourd’hui, c’est à la fois très vieux et très récent », conclut-il.
L’Ultra-Trail du Mont-Blanc, qui est sans doute l’événement de trail running le plus connu dans le monde, a vu le jour bien plus tard, en 2003. Année que Rémy identifie comme une période charnière, parce que c’est à ce moment-là que « le trail a commencé à être de plus en plus populaire. Les Templiers se sont mis à connaître un grand succès. C’était un peu comme le championnat de France de la discipline. »
Dans son livre, Rémy Jégard parcourt l’histoire du trail depuis ses débuts, notamment le Championnat du Canigou, les Crêtes Vosgiennes, le Cross et le Marathon du Mont-Blanc, la 6000D et la Course des Crêtes du Pays basque, puis évidemment le Grand Raid de La Réunion et le Festival des Templiers jusqu’aux événements plus récents. Il s’est aussi entretenu avec plusieurs des meilleurs athlètes français d’hier, comme Corinne Favre et Sébastien Chaigneau, et d’aujourd’hui, comme Xavier Thévenard, François D’Haene et Blandine L’hirondel, mais il n’a voulu retenir que les petites histoires qu’ils lui ont partagées.
Dur de vivre en pleine pandémie
Rémy Jégard avait déjà auto-édité deux recueils de petites pensées tournant autour de la course et publié « l’année du trail 2012 » avec son ami Hervé Colin, mais son quatrième livre, « Histoire(s) du trail » est « le premier sur lequel il y a un tel boulot, reconnaît-il. J’ai dû me mettre dedans à fond ».
Pour son magazine « Running Mag », c’est compliqué depuis le début de la crise. « L’été dernier, dès qu’il y avait une course qui pouvait avoir lieu, j’étais dessus, puis ça s’est à nouveau annulé derrière. Depuis octobre 2020, il n’y a plus rien du tout, c’est donc difficile, déplore le journaliste. Comme on n’est pas vendu en kiosque, je bosse directement avec les organisateurs. S’ils n’organisent pas leur événement, ça tombe à l’eau ». D’autant que « Running Mag » ne traite que des compétitions. Il n’y a pas de tests matériels ni de rubrique entraînement, et très peu de portraits. « En 2020, j’ai pu sortir quatre ou cinq magazines sur l’année. J’essaye d’en sortir quand même sur des bilans, voir comment les gens vivent ça… »
Rémy Jégard écrit également ponctuellement des articles pour la presse spécialisée dans la course à pied, comme nos confrères de Jogging International, Running Attitude ou encore Zatopek.
Pour lui, la course à pied est une inépuisable source d’inspiration. « Écrire a toujours été ma passion, dit-il. Peut-être même plus que la course. D’ailleurs, si je dois un jour arrêter de courir, je pourrais toujours lire et écrire, parce que pour stopper ça, il faudrait vraiment que je sois au bout du bout! »
Sur sa page Facebook, depuis 10 ans, il aime ainsi publier ses réflexions philosophiques, humoristiques, parfois même saugrenues. « C’est mon caractère, j’aime bien ne pas me prendre au sérieux, assume-t-il. J’aime l’humour “british”. J’ai toujours adoré cette façon de raisonner liée à la déconnade. » L’important, c’est de rester intègre, dit-il, en évoquant les influenceurs, très tendance, y compris dans le monde de la course à pied. « Ce que j’écris n’engage que moi. Je n’aime pas le fait de mettre des hashtags pour faire plaisir à une marque par exemple. Parfois, un gars dit qu’il a pris un pied fou devant un paysage, puis il met un hashtag pour une marque. C’est hallucinant! Et je ne parle pas des instagrameuses! Même si c’est leur travail, niveau psychologie, je me demande comment elles arrivent à s’accorder autant d’importance par rapport à l’image qu’elles renvoient aux gens… ».
Ce qui captive principalement Rémy, c’est de publier une idée « rigolote, triste, farfelue ou décalée, peu importe, mais il faut qu’il y ait un message pour ensuite débattre, explique-t-il. Il ne faut pas que ce qui compte soit juste le fait de se prendre en photo et dire que la vie est belle. » Il aimerait que l’on parle davantage de notre sport, sans être à tout prix dans la communication.
Passionné par la Barkley
Dans son évolution personnelle, le jeune cinquantenaire passionné de trail a eu un véritable coup de foudre ces dernières années pour la Barkley, à laquelle il a eu la chance de participer cinq fois. La Barkley, dit-il, « c’est autre chose, c’est un autre monde! C’est plus une aventure qu’une course ».
Si l’épreuve est maintenant plutôt bien connue des amateurs de trail en France, c’est parce qu’elle fait l’objet chaque année d’une importante couverture médiatique alors que peu de coureurs dans le monde ont le privilège de pouvoir y participer. Ce n’était pas le cas quand il a commencé à s’y intéresser. Il a d’ailleurs contribué à populariser en France cette course américaine à travers l’émission « Intérieur Sport » que la chaîne de télévision Canal+ lui avait consacrée.
Avant lui, « un seul Français seulement y avait pris part, Christian Mauduit, en 2012, souligne-t-il. Je me suis renseigné auprès de lui pour avoir des informations concernant l’inscription ». Ces renseignements étaient, et sont d’ailleurs toujours difficiles à trouver. « Je suis arrivé à m’inscrire au bout de deux ans, mais je n’ai pas pu y aller à cause du boulot. J’avais le marathon de Montauban à couvrir. Si c’était maintenant, je ne réfléchirais même pas! » Il avait donc symboliquement remis son dossard à son ami Thierry Corbarieu, un ultra-traileur accompli, vainqueur notamment d’un ultra de 400 km dans le Yukon, au Canada, qui avait lui aussi été sélectionné par Lazarus Lake.
« J’ai été le troisième Français à y aller », s’enorgueillit-il. Cette première participation en entraînera quatre autres : « C’est con de dire ça en ce moment, mais, la Barkley, c’est un peu un virus. Tu as toujours l’impression que tu peux faire mieux. Tu te prépares comme un taré tout l’hiver, sur des distances et des dénivelés de folie… »
Malgré tout, Rémy reste lucide : « Je n’ai pas le niveau pour faire les cinq tours. Quand tu y vas, tu te dis que deux ou trois, ça peut être jouable. Tu connais de mieux en mieux l’endroit, tu es de mieux en mieux entraîné et de plus en plus aguerri. Tu as l’impression de ne pas avoir de limite ». Lors de sa dernière participation, il a réussi à boucler un tour et demi, presque deux. « J’aurais aimé entrer dans le troisième tour. Niveau français, Guillaume Calmette l’a fait. Derrière, il y a deux gars qui ont fait deux tours. Je me dis que je ne suis pas si loin que ça finalement! »