À seulement 25 ans, Lucille Germain a déjà une longue expérience du sport de haut niveau. La Vosgienne a commencé par le biathlon, dans les rangs des espoirs nationaux, mais elle a tout arrêté en 2018 à la suite d’une année compliquée, gâchée par des troubles alimentaires et des performances en berne. Recrutée par le Team Sidas-Matryx avant la création de l’équipe en 2019, la jeune femme qui avait réalisé une saison folle – avec deux titres de championne de France Espoir, en trail et en course en montagne -, s’épanouit désormais dans la course en sentier, technique si possible. Mais elle a dû pour cela travailler à recouvrer un équilibre énergétique. Compétitrice dans l’âme, Lucille est ambitieuse. Elle a notamment un compte à régler avec l’OCC sur un format qui lui convient bien, et elle voit loin avec l’envie de porter de nouveau haut et fièrement le maillot de l’équipe de France de trail.
Ce chandail bleu-blanc-rouge, elle l’avait porté une première fois en Argentine en 2019 aux côtés de Blandine L’hirondel, Adeline Martin et Sarah Vieuille. Elle avait terminé 21e et les filles étaient devenues championnes du monde. Quatre ans plus tard, en juin de l’année dernière, Lucille a activement participé à la médaille d’or de l’équipe de France de trail court (15e et troisième française), cette fois emmenée par Clémentine Geoffray lors des mondiaux en Autriche.
Distances+ s’est entretenu avec cette championne forcément à suivre. Portrait.
Le ski dans son ADN
Avant la Savoie et le trail, Lucille vivait dans les Vosges et s’exprimait en ski de fond. En 2016, elle a fait le choix de rejoindre une classe de ski-études à l’Université d’Annecy – « un peu par défaut », commente-t-elle. Sa passion lui a permis de continuer dans cette voie avec l’obtention d’un Master en management du sport à Chambéry, tout en perpétuant la tradition familiale d’être sur les skis, comme l’avaient fait son frère et sa sœur ainés. Cette discipline de cœur demeure très présente dans son quotidien hivernal, Lucille étant entraîneure pour le Ski Club de Bozel en Savoie, en ski nordique, deux jours par semaine.
2019 : début de l’aventure avec le Team Matryx
Adepte des cross dès ses années collège, c’est assez naturellement que Lucille a transité vers le trail lorsqu’elle a renoncé à sa carrière en biathlon. Lassée d’un quotidien trop orienté vers sa pratique sur les skis dans lequel elle s’était enfermée, elle a choisi de plutôt « faire ce [qu’elle a] toujours aimé faire ». Elle a tout de suite obtenu de bons résultats en course avec quelques victoires, comme à la Transju’Trail (24 km et 1115 m D+) ou au Trail du Tour des Fiz (15 km et 760 m D+) en 2018. Ces victoires significatives ont attiré l’œil de Simon Gosselin et Thomas Janichon qui lui ont proposé d’intégrer la première cohorte d’athlètes du futur Team Sidas-Matryx. Surprise d’être appelée pour la création de cette équipe, Lucille Germain a accepté, non sans hésitation. « J’avais peur de me relancer dans un cursus de haut niveau, alors que je ne voulais pas me prendre la tête », se souvient-elle.
Elle a intégré l’ambitieuse équipe aux côtés d’Anaïs Sabrié, Baptiste Chassagne (le champion de France de trail long 2023 a intégré l’équipe Nike en 2024), Anthony Felber, Baptiste Ellmenreich, Simon Paccard, Louis Parent et Adrien Grataloup. Elle avoue aujourd’hui que lors de cette saison 2019, qu’elle considère comme sa plus aboutie jusqu’à présent, elle ne se sentait pas toujours légitime. « Au début, je pensais qu’ils s’étaient trompés en me contactant, raconte-t-elle. On sait que le niveau est différent entre les régions. Je ne connaissais pas vraiment mon niveau et je me cachais un peu. Je ressentais le besoin de faire mes preuves. » L’équipe mêlant performance et bonne ambiance, Lucille s’est finalement très vite retrouvée dans son élément. « Si j’avais dit non, je l’aurais regretté », est-elle convaincue.
Le premier déplacement à Buis-les-Baronnies avec Anthony Felber et Baptiste Chassagne à l’occasion du Trail de la Drôme 2019 (l’événement est support des championnats de France en 2024, NDLR) a lancé parfaitement l’aventure. Lucille s’est classée 7e sur le 23 km (1100 m D+). La suite est belle avec les titres de championne de France Espoir en trail et en course en montagne, mais aussi des victoires sur le 23 km du Marathon du Mont-Blanc et la YCC, la course des jeunes espoirs du trail dans le cadre de l’UTMB.
L’équipe de France comme moteur de performance
Après l’expérience avec l’équipe de France en 2019 lors des championnats du monde de course en montagne en 2019 en Argentine, Lucille Germain a pu retrouver le maillot tricolore en 2023 dans le cadre des championnats du monde de trail court à Innsbruck pour une édition historique tant les Bleu·e·s se sont illustré•e•s. Ça la conforte dans l’idée que son graal est de porter cette tenue bleu-blanc-rouge. C’est aussi, avec ce collectif, qu’elle ressent ses plus grandes émotions. « C’est hyper inspirant de partager ces moments, ces médailles, commente-t-elle. Ces moments en communauté sont super importants en équipe de France parce qu’on apprend des uns des autres. J’ai aussi pu rencontrer des personnes inspirantes pour moi comme Clémentine Geoffray, qui a fait une saison parfaite (championne de France et championne du monde de trail court, championne du circuit mondial Skyrunner World Series entre autres victoires, NDLR), ou Marion Delespierre (championne du monde de trail long, NDLR). En les côtoyant, tu as juste envie de te dire « continue de t’entraîner », car ça fait rêver de passer la ligne d’arrivée en première position et de recevoir la médaille d’or ».
Côtoyer les plus grands athlètes et partager ces moments au sein d’une équipe qu’elle qualifie « d’incroyable » est la première motivation de la jeune athlète. Cette cohésion est aussi ce qui a fait la force de l’équipe sur ce parcours autrichien de 44 km et 3250 m D+, selon elle. Clémentine Geoffray (vainqueure), Louise Serban-Penhoat (10e), Lucille Germain (15e), Marie Goncalves (28e) et Noémie Vachon (31e) ont décroché l’or par équipe. La vie en groupe reste quelque chose de difficile dans le haut niveau, selon la Néo-Savoyarde qui sait qu’elle doit faire attention à ne pas trop se comparer aux autres filles, tout en estimant qu’au sein de l’équipe de France, la comparaison avec les autres, pendant ou en dehors des entraînements, restait saine. « On s’entraidait, on se tirait vers le haut », se félicite-t-elle. C’est cet état d’esprit que Lucille souhaite retrouver en 2025 si elle réussit à obtenir sa sélection pour les mondiaux de trail à Canfranc, en Espagne.
Le juste équilibre enfin trouvé ?
Cette sérénité, l’ancienne biathlète ne l’a pas toujours éprouvé. En 2018, Lucille a vécu une période difficile durant son ascension en biathlon, à cause notamment de troubles alimentaires qui l’ont conduite quelques années plus tard à un diagnostic de syndrome RED-S. Elle a vu ses symptômes s’intensifier et son rêve de haut niveau s’éloigner. Même si elle estime que son arrivée dans le Team Sidas-Matryx lui a « fait le plus grand bien » sur ce point, le processus insidieux menant vers un déficit énergétique était enclenché. Le vrai coup d’arrêt, littéralement, elle l’a vécu lors de sa participation à l’OCC 2022 (55 km et 3700 m D+). Elle a dû abandonner. « C’était vraiment la sonnette d’alarme, mon corps a dit stop, confie-t-elle. Je ne pouvais pas aller plus vite et enclencher la deuxième vitesse. J’étais bridée. »
Soutenue et accompagnée par ses proches et des membres du Team Sidas-Matryx comme Thomas Janichon, son team manager avec qui elle partage sa vie aujourd’hui, mais surtout du diététicien du sport Jocelyn Guillot, les sensations ont fini par revenir. Après une phase de repos total le mois qui a suivi, ils ont revu ensemble sa nutrition au quotidien et pendant les courses pour retrouver le chemin de la performance. « J’ai beaucoup appris sur l’alimentation, sur ce qu’il fallait manger, et j’ai pu revoir mes apports ». Les bénéfices d’un accompagnement nutritionnel serré se sont rapidement fait ressentir puisque Lucille a remporté la Boffi Fifty (47 km et 2300 m D+) dans le cadre du Festival des Templiers dès octobre 2022, en s’offrant même un top 10 au classement général (8e). « Ça montrait que mon corps retrouvait le bon chemin », analyse-t-elle. La vigilance vis-à-vis du déficit énergétique reste de mise, mais cette phase plus compliquée semble derrière elle comme le montrent ses récentes performances.
Le regard tourné vers une saison pleine d’ambitions
En ce début 2024, Lucille Germain est « quasiment une athlète professionnelle ». Elle s’est préparée tout l’hiver avec des séances de musculation et de ski de randonnée, une discipline chère à son entraîneur Simon Gosselin (également entraîneur de Rémi Bonnet, Jim Walmsley et Baptiste Chassagne, entre autres) qui a décidé de quitter le Team Sidas-Matryx cette année pour assumer pleinement son statut d’athlète de haut-niveau.
Compétitrice née, la championne a remporté quatre manches du Millet Ski Touring à Courchevel (3,2 km et 500 m D+) et elle a terminé 8e du Marathon du Grand Bec en ski de fond à Champagny-en-Vanoise.
Néanmoins, elle a conservé au minimum deux séances de course à pied par semaine réparties dans ses 20 heures d’entraînement hebdomadaires hivernaux.
Cet été, Lucille Germain va se dédier pleinement à sa pratique du trail et elle souhaite performer sur les courses de type skyrunning (courtes, mais très techniques) et des formats qu’elle apprécie le plus aujourd’hui, entre 40 et 60 km.
Lucille devrait être au départ de la SkyRace des Gorges du Tarn le 18 mai (24 km et 1800 m D+), de la SkyRace de Madère (45 km et 3600 m D+) le 15 juin, de la Maga SkyMarathon (39 km et 3000 m D+) le 22 septembre en Italie, de l’EDP Sobrescobio SkyRace (32 km et 2100 m D+) le 27 octobre en Espagne avant de concourir pour la finale SkyMasters lors du Marato Dels Dements (42 km et 3800 m D+) également en Espagne le 16 novembre. Elle estime que ce circuit est celui qui convient le mieux à son profil. Elle est en effet plutôt à l’aise dans les chemins techniques à l’inverse des chemins plats et roulants.
La championne du monde de trail court par équipe aspire également à performer à l’OCC où elle reviendra dans un esprit de revanche après son expérience avortée en 2022. Outre la YCC (18 km et 1300 m D+), elle avait franchi la ligne d’arrivée à Chamonix en première position de la MCC (38 km et 2300 m D+) en 2021.
Mais sa saison de course à pied commence maintenant. Elle s’apprête en effet en cette fin mars à accrocher son premier dossard de l’année sur l’une des nouvelles épreuves du circuit UTMB World Series en Toscane, le roulant 43 km et 1650 m D+ du Chianti by UTMB. Et elle aura de l’adversité puisque son amie Clémentine Geoffray est également au départ, tout comme la Suissesse Theres Leboeuf, 3e des mondiaux de trail court à Innsbruck. Elle tentera d’aller chercher d’ores et déjà sa qualification pour une course de l’UTMB 2025, dans le cas où elle ne parviendrait pas à être sélectionnée en équipe de France pour les championnats du monde.
Et pour la suite de sa carrière ?
Lucille Germain a dans la tête les formats plus longs, mais ça ne devrait pas être avant 2026. « Je ne souhaite pas griller les étapes », se justifie-t-elle. Pour l’heure, elle ne cache pas ses ambitions et son esprit de compétition devrait être rassasié avec son calendrier bien chargé de 2024.
À écouter aussi : Les ravages du syndrome RED-S chez les coureurs à pied et les athlètes de sports d’endurance
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