Écrit avec la collaboration de Yohan Malliard
Le confinement obligatoire instauré en France pour endiguer le coronavirus ainsi que l’annulation ou le report de toutes les compétitions, a mis la saison de tous les athlètes européens sur pause. Comment ont-ils vécu cette période complètement inédite? Distances+ a posé la question à plusieurs des meilleurs traileurs français. Ces entrevues ont été réalisées en avril.
C’est au tour de Julien Rancon, l’un des tout meilleurs Français sur les trails courtes distances, de nous raconter son confinement.
Il était déjà présent sur la deuxième marche du podium dans la catégorie junior aux championnats du monde de course en montagne par équipes en 1999. Depuis, il ne s’est plus arrêté. Ni de courir, ni de rivaliser avec les meilleurs.
À maintenant 40 ans, il totalise 30 sélections en équipe de France, deux médailles aux championnats du monde de course en montagne, quatre aux championnats du monde de trail et 10 aux championnats d’Europe de trail. Mais c’est l’année dernière qu’il a sans doute réalisé sa plus grande performance en devenant vice-champion du monde de trail (44 km, 2120 m D+) à Miranda do Corvo au Portugal. Il a également été sacré champion du monde par équipe de France aux côtés de Nicolas Martin, Ludovic Pommeret et Manu Meyssat.
L’athlète de l’équipe Hoka s’est également illustré sur des classiques. Il a remporté le 46 km du Trail du Ventoux (40 km, 2000 m D+) en 2011 et en 2015, il a terminé 2e du Trail Drome 2019 (43 km, 2170 m D+) et 3e du Giir Di Mont (40 km, 2000 m D+) en 2013. Il a aussi décroché une belle 6e place sur la mythique Sierre-Zinal (30 km, 2310 m D+) en 2018.
Julien Rancon, qui est membre de l’Entente Athlétique Grenoble 38, a également de solides références sur la route et la piste avec notamment un temps de référence sur marathon de 2 h 20 min 47 s.
Distances+ : Comment as-tu vécu la période de confinement?
Julien Rancon : Je l’ai vécu plutôt bien. J’étais en Haute-Loire, ma région natale, les jours qui ont précédé le confinement alors j’ai décidé d’y rester. Je vis normalement en région lyonnaise dans les monts d’Or. On sentait quand même bien le truc venir par rapport à ce qui se passait ailleurs, notamment en Italie, et à ce qui se tramait en coulisse dans nos instances dirigeantes. Non pas que nous ne soyons pas bien dans les monts d’Or, mais j’avais la chance de pouvoir être à la ferme, complètement isolé, avec la nature et la forêt en passant le pas de la porte, loin de l’agitation urbaine, dans une région où la densité de population est faible. J’ai pensé que pour les semaines qui allaient suivre c’était à la fois mieux pour s’éloigner du virus, y vivre et pouvoir continuer à faire un peu d’activité dans un cadre plus qu’agréable.
J’ai la chance de travailler majoritairement à distance en tant que coach. Je m’occupe essentiellement de coureurs compétiteurs qui ont quasiment tous eut la possibilité de maintenir une bonne activité physique. Je continue donc à travailler quasiment normalement.
Au départ, je pense que nous n’avions pas conscience de la gravité de la situation et de l’ampleur de la crise que nous allions traverser.
J’avais l’espoir que ce temps de confinement ne dure pas et que les compétitions repartent assez vite. Mais plus le temps passait, plus nous avons tous compris que ce ne serait pas le cas.
Au niveau sportif, j’avais prévu une petite coupure après les Championnats de France de cross. Même s’ils n’ont pas eu lieu, j’ai observé une phase de repos d’une quinzaine de jours. Ensuite, j’ai repris tranquillement avec un peu de home trainer et des footings autour de la maison. Même avec les restrictions, ça ne me pose pas plus de problème que cela. Je ne fais pas d’ultra-distance donc j’ai pu me contenter d’une heure autour de chez moi, en pleine campagne, dans le rayon de 1 km qui nous était imposé. Il y a pas mal de chemins, alors même si c’est restreint, j’ai continué à me faire plaisir.
En dehors de ça, à la campagne et en particulier dans une ferme, il y a toujours quelque chose à faire : le jardin, du bois, du bricolage… C’est aussi l’occasion d’un bon retour aux sources. Bref, je n’ai pas eu du tout le temps de m’ennuyer et j’étais bien où j’étais donc même si les contraintes sociales du confinement ont pesé un peu, je l’ai vécu vraiment bien.
Parle-nous de l’impact que cela a eu sur ta motivation.
Très tôt, j’ai pris un premier coup sur la tête avec les premières annulations de courses. Nous étions à Majorque le premier week-end de mars avec le Team Hoka One One et nous avons appris l’annulation du semi de Paris. Même si nous n’étions pas concernés directement, nous avons commencé à prendre conscience que ce serait compliqué pour les grosses courses dans les semaines qui allaient suivre.
Nous étions plusieurs à envisager de courir le Championnat de France de cross la semaine suivante et nous avons vite compris que ce ne serait pas possible. La décision de la fédération n’a pas traîné. J’avais fait de ce championnat un premier objectif de l’année et cela a été un premier coup dur. Là, la motivation en a pris un coup. J’ai tout de même couru le 10 km de Boug-en-Bresse le week-end suivant. À cette période nous n’avions sûrement pas conscience de l’ampleur de la situation et nous espérions pouvoir encore courir des épreuves avec un nombre de participants restreints. Mais plus les jours avançaient et plus les courses s’annulaient. J’ai toujours gardé l’espoir que ça allait pouvoir le faire pour le mois de juin, puis juillet, puis août ou septembre.
La motivation, pour préparer du mieux possible des compétitions complètement incertaines, a bien évidemment diminué au fil des jours. Mais je reste un amoureux de la course à pied, donc ça ne m’empêche pas de partir courir au quotidien avec le plus grand plaisir. Simplement, c’est uniquement le plaisir qui guide actuellement ma pratique, pas la préparation à une compétition.
As-tu fait une croix sur ta saison? Sur quoi te concentres-tu désormais?
Mes principaux objectifs étaient en ce début d’année les Championnats de France de cross puis le marathon de Paris. Je devais ensuite me tourner vers une saison de course en montagne et de trail avec notamment Zegama, les Championnats de France de course en montagne et l’espoir de me qualifier pour les Championnats d’Europe. Toutes ces courses ont été annulées ou reportées. J’envisageais également de participer aux manches de Coupe du Monde de course en montagne et des Golden Trail Series. Si certaines sont maintenues dans le deuxième semestre j’y participerai avec grand plaisir.
J’ai l’espoir de pouvoir courir quand même quelques belles épreuves en fin de saison : championnats de France, Sierre Zinal, Mondiaux de montagne ou Templiers ou encore des petites courses locales qui font vivre notre sport. Et s’il n’y a rien en cette fin d’année, ce ne sera pas pour autant la fin du monde, ça ne m’empêchera pas de courir sans compétitions. La pratique, ce n’est vraiment pas seulement la compétition, c’est avant tout le plaisir et la passion, et ça, le virus ne l’atteint pas.
Quel enseignement tires-tu de ce que nous sommes en train de vivre?
J’espère simplement qu’on en tirera les bonnes leçons par rapport à nos modes de vie, de produire, de consommer. Que ce sera pour beaucoup une période qui nous aura permis de réfléchir à tout ça. Que l’on va prendre conscience des choses essentielles à la vie. À mon sens, le monde actuel est allé trop loin dans tout un tas de domaines. Ce sera peut-être l’occasion de mettre un frein à tout un tas de dérives, et même de revenir en arrière sur beaucoup de choses.
Cela aura mis aussi en lumière tout un tas de dysfonctionnements (de santé, politiques, économiques, sociaux, environnementaux, éducatifs…) qu’il faudra essayer de résoudre pour continuer à vivre de belle manière dans les années à venir.
Pour ma part, cela m’a fait prendre conscience de la chance que j’ai d’être un « rural », un fils de paysan, qui a eu la chance d’être élevé dans ce milieu avec des valeurs et du bon sens qui manquent beaucoup dans notre société actuelle.
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Le sport nous permet avant tout d’être en bonne santé et nous a renforcé dans la lutte contre cette épidémie, alors soyons heureux d’avoir choisi un mode de vie sain qui nous rend heureux et moins vulnérable. Et pensons à tous ceux qui n’ont pas cette chance.
À lire aussi :
- Thibaut Baronian : « nous n’allons pas dans le bon sens »
- Aurélien Collet : « cette période me plaît »
- Alexis Sévennec : « Quand tu cours beaucoup à l’étranger, c’est plus difficile de se projeter »