Pourquoi Joan Roch a cessé de courir du jour au lendemain

« Je termine cette course, mais après, c’est fini. Plus jamais ça! »

JOAN ROCH
Joan Roch ne court plus pour se rendre au travail - Photo : Joan Roch

Figure populaire de la course en sentier au Québec, coureur-navetteur inspirant et personnalité médiatique attachante, Joan Roch a disparu des radars à la suite de sa participation à l’Ultra-Trail Australia, en mai dernier.

Il a renoncé à deux beaux défis alpins, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc et le Tor des Géants, et à tous les autres ambitieux projets qu’il avait en tête. Il a tout annulé. Il a cessé de traverser le fleuve Saint-Laurent matin et soir en courant comme il le faisait depuis plus de quatre ans. Il a arrêté de courir, purement et simplement. Il a même coupé ses cheveux longs ondulés « qui faisaient partie de [son] personnage », et il a repris le métro.

Comme « coureur ultra-ordinaire », Joan Roch a été pendant plusieurs années, sans vraiment [s’en] rendre compte, un modèle en matière de conciliation travail, famille et entraînement, mais sa vie et ses envies ont évolué. Ses enfants ont grandi, il a changé de travail, sa motivation s’est diluée et il a réalisé qu’aller au boulot à vélo quand il fait beau, ou en métro quand il fait froid, c’est pas mal non plus.

Que s’est-il passé? Joan a accepté de le raconter en exclusivité sur Distances+, avec ses mots. Ensuite, il passe à autre chose.

« C’est fini, j’arrête »

Tous les coureurs passent par là en plein milieu d’une épreuve. Pendant un ultra, on y passe même plusieurs fois. Moi, comme les autres, depuis maintenant plusieurs années. Mais cette fois, c’est différent. Je ne le sais pas encore, mais c’est vrai. C’est fini. J’arrête.

Pourtant, je suis en Australie, un pays que je rêvais de visiter depuis vingt bonnes années. En plus, je me suis fait payer mon billet d’avion par mes commanditaires. Et pourtant, alors que j’arpente les sentiers des Blue Mountains, un site classé au patrimoine mondial par l’UNESCO, je m’imagine plutôt en train de déguster un Flat White à la plage de Bondi.

C’est même plus grave que ça. L’automne australien vient de commencer et, à l’altitude où se déroule l’Ultra-Trail Australia, il fait un peu frais, c’est vrai, mais rien de comparable aux températures rencontrées au Québec. Malgré tout, le minuscule frisson qui me parcourt le corps m’est particulièrement désagréable, car il me projette dans un avenir que je n’ai plus du tout envie de voir se réaliser.

Ultra Trail Australia 2016
Joan Roch lors de l’Ultra-Trail Australia 2016, une course du circuit de l’Ultra-Trail World Tour

Pendant une fraction de seconde, je me vois en train d’affronter les éléments dans les Alpes italiennes, dans ce fameux Tor des Géants que je m’étais mis en tête de faire, cette boucle de 330 km. Et là, soudain, je réalise que je n’ai aucune envie d’y aller. Je n’ai plus la force d’avoir froid. Ni chaud. Ni faim. Ni soif. Ni mal. Ni d’être fatigué. Ni de courir en pleine nuit à 3000 m d’altitude.

Je sais que si je maintiens mon inscription, je cours à l’abandon. Alors, dans ma tête, à la suite de ce frisson, l’idée de ne pas prendre le départ prend racine.

En y réfléchissant, je n’aurais probablement pas dû prendre le départ de ce 100 km en Australie non plus. Ni du Hong Kong 100 quelques mois auparavant. Sportivement parlant, c’était inutile. J’ai vu de superbes paysages, aperçu des cacatoès, entendu des singes hurler en pleine nuit, mais je n’ai strictement rien appris sur moi-même. J’ai franchi chaque centaine de kilomètres de manière mécanique, parfaitement conscient de mes forces et de mes faiblesses, mais sans émotion ni surprise.

Même mes courses quotidiennes étaient devenues redondantes. Là où le paysage sans cesse renouvelé par la météo fantasque du Québec me procurait un matériel photographique que je pensais inépuisable, je ne trouvais que du déjà-vu. Ce coucher de soleil? Cette lumière rasante sur la neige? Ces nuages menaçants écrasant le pont Jacques-Cartier? Bof, bof et rebof. Déjà immortalisé et publié sur Instagram. Je continuais à courir matin et soir, car j’y étais habitué, tout simplement. Mais ni les jambes ni la tête ne démontraient plus d’enthousiasme.

Bien avant ça, j’avais de grandes attentes envers la Diagonale des Fous sur l’île de La Réunion. Tout y était : une île volcanique tropicale, un relief excessif, un peuple qui vibre à l’unisson pour cette grande traversée. Et pourtant, après presque deux jours de course, je suis arrivé à Saint-Denis de La Réunion content d’avoir fini, sans plus. Cette fois, déjà, malgré tous les superlatifs déployés par ce parcours mythique, je n’avais rien appris de nouveau sur moi-même.

Courir de Québec à Montréal, 250 km, cela avait de quoi faire frémir n’importe quel coureur. Je me souviens surtout du détachement avec lequel j’ai préparé mon matériel, en quelques minutes, avant de prendre un aller simple en train vers Québec. Je savais que ce serait long et pénible. Mais je ne ressentais ni peur ni fébrilité.

Ces sensations, peur et fébrilité, je me souviens très bien à quel départ de course je les ai ressenties intensément pour la dernière fois : c’était à Chamonix, quelques minutes avant que le départ de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc ne soit donné. Là, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait, aucune certitude quant aux obstacles naturels dressés sur mon chemin ni à ma capacité à franchir la distance, le dénivelé ou les cols en altitude. Une impression très nette de me lancer dans l’inconnu. Peur et fébrilité.

Joan Roch, lors de l'Ultra-Trail du Mont-Blanc, en août 2015.
Joan Roch lors de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, en août 2015.

C’était il y a plus d’un an. Et aucun des quatre ultras qui ont suivi ne m’a transporté, ne m’a transformé comme mon arrivée à Chamonix, 33 heures après ce saut dans le vide alpin.

Finalement, tous les signes avant-coureurs étaient là bien avant ce frisson australien. J’ai tout simplement le sentiment d’avoir fait le tour de ce sport. L’envie s’est dissipée. L’entraînement, les voyages, les dépenses, le temps, c’est devenu cher payé pour un loisir qui, malgré sa démesure, ne m’enseigne plus assez.

« Je termine cette course, mais après, c’est fini. Plus jamais ça. »

Introduction de Nicolas Fréret

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