Gary Robbins : « Ça a été l’expérience la plus douloureuse de ma vie »

Gary Robbins
Gary Robbins accueilli par « Laz », l'organisateur excentrique de la Barkley Marathon / Photo : Howie Stern

L’image de Gary Robbins qui s’effondre au sol après 60 heures de course à la Barkley Marathon a fait le tour du monde. S’étant trompé de chemin dans les derniers kilomètres, le Vancouvérois a raté de peu la chance de compter parmi les 15 finisseurs que compte cette épreuve de fou, considérée comme l’une des plus difficile et insolite au monde. Distances+ lui a parlé, alors qu’il se remettait encore de la compétition, autant sur le plan physique que mental.

D+ : J’imagine que les deux dernières semaines ont dû être des montagnes russes émotionnelles. Alors commençons par les questions de base : comment ça va et comment ça s’est passé après la course?

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Gary Robbins : Sur le plan physique, je sens que ma récupération est en avance sur ce que j’avais prévu. Les cloques sont guéries et je peux marcher. Si tu ne me connaissais pas, tu n’aurais aucune idée de ce que je viens de tenter d’accomplir. Du côté de l’énergie, ça a été complexe au cours des deux dernières semaines. J’ai dirigé un événement moins de 48 h après être rentré à la maison [la Diez Vista 100, en Colombie-Britannique]. J’étais sur le site de 4 h du matin à 11 h le soir et il a plu toute la journée. Ça m’a tiré beaucoup de jus. Ça a été une journée très difficile. Et puis, comble de malchance, j’ai attrapé une bactérie en buvant de l’eau lors du 5e tour à la Barkley. Je savais en le faisant que j’allais le regretter, et je le regrette vraiment. Alors j’ai été malade. Ce n’est que depuis quelques jours que je commence à me sentir normal, et ça fait seulement deux nuits que je dors sans problème, sans sueur et sans me réveiller en plein milieu de la nuit. Cette récupération prend plus de temps que prévu, mais ça progresse bien. Émotionnellement, eh bien, chaque jour est un nouveau jour… J’ai tellement reparlé de tout ce que j’ai vécu avec tant de monde que ça m’a permis d’accepter la complexité émotionnelle de ce qui s’est passé. Je suis de plus en plus fier de ce que j’ai accompli. Il y a quelques jours, je ressassais plutôt comment les choses auraient pu être, et je collais assez solidement du côté d’une déception majeure.

D+ : Du point de vue du lecteur de nouvelles, il semble que la véritable vedette de cette édition 2017 de la Barkley, c’est toi. Je ne suis pas certain que bien des gens pourraient nommer le seul finisseur de cette année, alors que ton histoire a touché le monde entier. Est-ce que tu es surpris par l’ampleur des réactions? Comment tu réagis à tout ça?

G.R. Ça a définitivement été au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. Et j’implore vraiment tous les médias de ne pas oublier John Kelly. C’est l’une de ces années folles où l’histoire d’un non-finisseur prend vie et supplante la couverture médiatique que le finisseur devrait recevoir. La course a trois décennies et John est la 15e personne à la terminer. C’était une surprise d’aller sur le web et de voir comment les choses se sont déroulées. Et aussi, c’était difficile à accepter parce que ça a été tellement épuisant au niveau émotionnel.

D+ : Qu’est-ce qui te surprend le plus? Quelles genres de réactions as-tu reçu sur le web et sur les réseaux sociaux?

G.R. : Je pense que le plus surprenant, c’est la quantité de personne qui m’ont écrit pour me dire qu’ils avaient trouvé quelque chose en eux en regardant tout cela de chez-eux. Ça a allumé une étincelle pour qu’ils se mettent en mouvement et fassent quelque chose, que ce soit courir ou un autre sport, et qu’ils éliminent les excuses pour enfin s’accomplir dans la vie.

D+ : Les gens t’ont écrit directement?

G.R. : Un nombre de fou de personnes m’ont écrit. Je n’ai pas eu le temps de tout lire encore, j’en ai lu peut-être 50 %. J’ai des centaines de courriels!

D+ : Est-ce que tu réponds à tout le monde?

G.R. : Absolument. Je fais mon possible pour répondre à tout le monde, même si c’est juste quelques mots. La très grande majorité des messages, ce sont des gens que je ne connais pas.

D+ : Tu as expliqué sur ton blogue que tu as fait une erreur de navigation sur le parcours à la toute fin et que tu as raté un repère. À ce moment, tu manquais tellement de sommeil, et tu étais tellement stressé, que tu n’as pas été en mesure de prendre une bonne décision. Tu aurais dû revenir sur tes pas et finir la course en suivant le bon parcours, même si cela aurait voulu dire que tu serais arrivé passé les 60 heures. À la place, tu as essayé de finir en bas de 60 heures, mais en prenant n’importe quel chemin. Tu as même traversé une rivière à la nage. Tu dis que c’est ton plus gros regret. Est-ce que c’était à ce point difficile pour toi d’accepter que tu ne réussirais pas à terminer la course en 60 heures? Est-ce que tu étais préparé à ne pas la finir?

G.R. : À ce moment précis, ce qui a mené à ma décision de dégringoler la montagne était une inhabilité complète à accepter ce qui venait de se passer. Quand j’ai réalisé où j’étais sur la carte, et où se trouvait la ligne d’arrivée, le seul constat, c’était que j’allais manquer de temps, et que je m’étais sorti de la course à quelques kilomètres seulement de l’arrivée. La gravité de la situation était tellement difficile à accepter que j’ai pris la décision de descendre la montagne n’importe comment pour essayer d’arriver à la barrière jaune en moins de 60 heures, comme si ça allait résoudre mon problème, comme si je pouvais reculer le temps. Mes deux regrets, c’est que, d’abord, je n’ai pas eu la capacité d’accepter que j’avais fait une erreur, et que ça m’avait coûté la course. Ensuite, je n’ai pas choisi de retourner sur mes pas en montant la montagne dans la bonne direction. Si je l’avais fait, j’aurais fini en 60 heures et 3 ou 4 ou 5 minutes. Et aujourd’hui, on parlerait du fait que Gary Robbins a fini la Barkley avec 3 ou 4 ou 5 minutes de plus que prévu.

D+ : Dans les heures qui ont suivi ton arrivée à la barrière jaune, les réseaux sociaux se sont déchaînés sur le fait que tu avais terminé la course avec six secondes de retard, ce qui t’empêchait de revendiquer le titre de finisseur. Ça a pris un certain temps avant que les clarifications soient faites et que l’on comprenne qu’en vérité tu t’étais trompé de chemin, ce qui te disqualifiait. Est-ce que les gens te parlent encore de cette histoire des six secondes, et comment tu te sens de devoir ré-expliquer ce qui s’est vraiment passé?

G.R. : Le problème avec les médias, c’est que c’est très accrocheur comme histoire de dire que quelqu’un a terminé six secondes trop tard l’une des courses les plus folles au monde. J’ai clarifié les faits à tous les journalistes à qui j’ai parlé. Mais malheureusement, j’ai lu des textes écrits après des entrevues que je venais juste de donner qui ont été édités pour présenter l’histoire selon le bon vouloir des journalistes. C’est frustrant.

D+ : Même si tu es arrivée à la barrière de la mauvaise direction, tu as quand même sprinté les trois dernières minutes de la course, dans le but d’essayer d’arriver en moins de 60 heures. Comment as-tu fait pour trouver encore de l’énergie à la toute dernière minute? Est-ce que ton esprit est à ce point plus fort que tout?

G.R. : C’est incalculable le nombre de fois, sur le cinquième tour, où j’ai dû aller puiser dans un réservoir profond d’énergie que je ne savais même pas que j’avais. Le nombre de fois où j’ai dû me parler, trouver un truc ou un autre, c’est fou. Alors, quand je suis arrivé à moins de trois minutes des 60 heures et que je courais sur la route qui mène au camp, je ne pouvais tout simplement pas croire que je courais. Je ne sais pas où j’ai puisé ça en moi, et j’espère ne plus jamais avoir à le faire, parce que c’est l’expérience la plus douloureuse de ma vie.

D+ : L’image d’un Gary Robbins qui s’effondre au sol a ému, choqué et surpris tout le monde. À ce moment précis, quelles étaient tes sensations. Est-ce que tu ressentais quoi que ce soit?

G.R. : C’est drôle, parce que j’ai regardé les vidéos de mon arrivée, et je ne m’étais pas rendu compte qu’il y avait des applaudissements. Je n’ai rien entendu. J’étais dans un état tellement profond que je ne saisissais rien qui provenait de l’extérieur. En regardant les vidéos, je me suis rendu compte que c’était une expérience complètement différente que ce que j’avais vécue. Je n’ai pas entendu les applaudissements, tout était silencieux pour moi. Quand j’ai touché la barrière et que je me suis effondré, mon monde ne s’étendait pas plus loin que ma femme qui était penchée sur moi. Je n’avais jamais été aussi heureux de toute ma vie d’avoir terminé une course, de ne plus avoir à bouger, tout en étant incroyablement déçu du résultat. L’ampleur de ce qui venait de se passer et du fait que je n’avais pas terminé était tellement lourd à ce moment!

D+ : Tu as écrit sur Facebook : « mon aventure avec la Barkley est destinée à être une trilogie » Tu as l’intention de retourner? Te donnes-tu le droit de ne pas y retourner?

G.R. : Ma femme et moi avons discuté, et c’est certain à 100 % que nous allons y retourner. L’histoire ne se termine pas comme ça. J’ai écrit deux chapitres, mais il en manque un. On n’est pas sûr encore si ce sera pour l’année prochaine, ou pour l’autre d’après, on va décider d’ici quelques mois. Mais c’est certain que je vais y retourner.

D+ : Pourquoi?

G.R. : Parce que ce n’est pas complété encore. J’avais un objectif quand je me suis inscrit à la Barkley, c’était de devenir le premier Canadien à compléter cette course. Mais au-delà de ça, c’est d’atteindre ce qui est possible selon moi, soit de faire partie de ce groupe sélect d’individus qui ont complété la Barkley. La première année, j’ai confirmé avec moi-même que j’avais ce qu’il fallait pour compétitionner sur cette épreuve. Et cette année, j’ai fait tout ce qu’il était possible de faire pour finir, mais ça va prendre une troisième fois pour être en paix avec cette course.

Propos traduits de l’anglais

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