Photo : Alexis Berg @grandtrail.info
ENTREVUE EXCLUSIVE
Quand Caroline Chaverot a commencé à courir, il y a à peine quatre ans, elle avait 36 ans et aucune idée de tout le potentiel qui se cachait en elle.
Six mois après son dernier accouchement, la Franco-Suisse se classait quatrième au Trail du Salève, une course de 42 km ayant lieu à Genève.
Depuis, les titres ne cessent de s’accumuler. Gagnante de la CCC en 2013, du Lavaredo Ultra Trail et de l’Eiger Ultra Trail en 2015, de la Transgrancanaria, du Madeira Island Ultra Trail et de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) en 2016, elle est la grande championne de l’heure chez les femmes en ultramarathon en sentier partout dans le monde.
Pour l’enseignante d’histoire et de géographie dans un lycée de Genève, le titre de championne du monde, remporté au Portugal en octobre dernier, était inespéré.
« Je n’avais pas rêvé de faire une si belle saison! C’est la cerise sur le gâteau! », s’exclame celle qui n’était pas certaine d’être au sommet de sa forme lors des championnats du monde.
Du kayak à l’ultramarathon en sentier, toujours le même goût du dépassement
Caroline n’a compris que petit à petit qu’elle avait la fibre d’une athlète, se surprenant à tout coup d’avoir de bons résultats. « Parfois, j’ai encore de la difficulté à le réaliser. Je me laisse impressionner par les autres coureuses sur la ligne de départ et c’est pendant la course que je me rends compte que j’ai des chances de gagner », confie-t-elle.
Mère de trois enfants âgés de huit, six et cinq ans, elle a commencé à courir après la naissance de son petit dernier, au début de l’année 2012. « C’est un sport pratique quand on doit allaiter, explique-t-elle. Avant, je courais occasionnellement, mais jamais plus d’une fois par semaine ». Caroline a cependant toujours été éprise de plein air et d’activités sportives. « C’est dans ma personnalité. J’ai besoin d’être dehors et de me dépenser. Quand je fais une activité, j’ai besoin de me fixer des objectifs et de vouloir atteindre les meilleurs niveaux. »
Ancienne adepte de kayak, Caroline a même été membre de l’équipe suisse de 16 à 22 ans. « J’ai investi beaucoup de passion dans le sport, mais je n’ai pas réussi comme je le voulais et j’ai finalement arrêté la compétition. » Bien que le kayak soit a priori très différent de la course d’ultramarathon en sentier, Caroline croit que ce sport lui a appris à prêter attention à tout pour grappiller chaque seconde et optimiser le chemin choisi. « Et ce sens de la trajectoire est très important en course d’ultratrail », précise-t-elle.
Les sentiers techniques, c’est sa force. « C’est dans ces conditions que je m’exprime le mieux », croit celle qui a l’habitude de courir dans les hautes montagnes à deux pas de chez elle, à une vingtaine de minutes de Genève, du côté français. D’ailleurs, elle a terminé l’UTMB avec un écart de temps plus mince qu’à l’habitude sur sa poursuivante, puisque les sentiers étaient « très roulants », note la coureuse.
Une conciliation travail-famille-course laborieuse
Cela dit, intégrer la course dans sa vie est une véritable partie de Tetris. « C’est compliqué parce que je travaille à temps plein et j’aime profiter des enfants le weekend ». Elle ne s’entraîne ainsi qu’une douzaine d’heures en moyenne par semaine, en cumulant des sorties assez courtes la fin de semaine et une ou deux sorties de deux à quatre heures en semaine. « C’est moins que bien d’autres athlètes », souligne-t-elle.
Pour Caroline, la clé du succès réside dans la qualité des entraînements et la variété des activités pratiquées, comme le vélo, le ski de fond, le ski de randonnée et l’escalade. Elle souligne aussi la précieuse contribution de son mari, qui l’aide beaucoup, de même que celle de ses parents.
Elle ne cache pas qu’en fin de saison, elle se sent tout de même fatiguée et stressée. En 2017, pour la rentrée scolaire, elle va ainsi commencer à travailler à mi-temps pour trouver un meilleur équilibre.
Des apprentissages parfois difficiles
Caroline n’a cependant pas un parcours sans faille. Elle a fait face à l’échec au cours des dernières années, notamment lors de la CCC en 2014. En raison de sa mauvaise interprétation d’un règlement, son conjoint lui a porté assistance à un endroit interdit, ce qui lui a valu une heure de pénalité.
Sous le coup de l’émotion et du sentiment d’injustice, elle a décidé de tout lâcher.
« Sur le moment, je l’ai très, très mal vécu. J’étais vraiment en colère. Mais j’ai beaucoup regretté ma décision. Avec le recul, je me suis rendu compte que j’aurais dû continuer et que j’aurais probablement quand même gagné. Maintenant, j’épluche soigneusement les règlements. »
Une carrière qui ne fait que commencer!
Est-ce que ses 40 ans lui confèrent des qualités que l’on développe seulement avec l’âge, comme la force mentale et la patience? Caroline croit plutôt qu’elle aurait été encore meilleure il y a quinze ans. « Les qualités pour performer, je les avais déjà, pense-t-elle. J’ai cependant une sérénité et une confiance en moi que je n’avais pas plus jeune. Je n’ai pas l’impression de jouer ma vie », admet la coureuse.
Caroline espère ainsi pouvoir continuer à pratiquer le sport le plus longtemps possible, en soignant sa santé et son alimentation. « Je peux encore bien m’améliorer! Chaque année, j’ai progressé, donc j’y crois encore. » Elle aimerait notamment essayer de nouvelles courses, peut-être la Transvulcania et la Hard Rock 100, mais aussi refaire l’UTMB. « L’arrivée de l’UTMB cette année a été magique avec la foule énorme qui nous acclamait. Quand on est fatigué et qu’on voit tous ces gens, c’est extraordinaire ce qu’on ressent. »
La course en sentier, un effet de mode?
Pour Caroline, la course en sentier n’est pas seulement l’effet d’une mode, mais bien d’une tendance durable. « On voit que la course de manière globale est en essor. Dans notre société, qui met l’accent sur la mise en forme et la santé, la course offre un côté très pratique et accessible qui rejoint un très grand nombre de gens. »
La course en sentier a cependant des attraits supplémentaires aux yeux de Caroline, qui apprécie l’absence (ou presque) de l’obsession du chrono et de l’élitisme parmi les athlètes. « On peut avoir du plaisir à échanger avec des gens de maints horizons qui courent pour toutes sortes de raisons. Je vois tout l’investissement du premier au dernier et c’est difficile pour tout le monde. »
Avec la montée grandissante du sport, il est normal que les entreprises veuillent tirer leur épingle du jeu et que la discipline devienne un peu plus « commerciale », croit-elle. « C’est inévitable. » Elle trouve surtout dommage que la multiplication des événements rende difficile de rassembler tout le monde sur quelques mêmes courses.
Son message pour les autres coureurs et coureuses : il ne faut pas se laisser décourager, surtout quand on commence. C’est un sport difficile physiquement, mais gratifiant. Il ne faut pas culpabiliser si on n’a pas les résultats qu’on attend. Plus on en fait, plus on prend du plaisir.
Un voyage au Québec dans les prochaines années?
Qui sait, peut-être aurons-nous la chance de la croiser dans les sentiers ou les courses du Québec au cours des prochaines années. Elle a déjà mis les pieds au Québec à l’âge de 11 ans lors de vacances avec sa famille et s’est entraînée des semaines entières en canoë et kayak avec des Québécois lors de sa précédente vie de kayakiste. « J’aimerais bien y retourner », confie-t-elle. Devant cette porte ouverte, gageons que les invitations ne sauront tarder.