La pandémie a chamboulé nos vies. Les athlètes ont dû s’adapter à l’annulation ou au report de la plupart des compétitions de trail dans le monde. Ils ont dû réviser leurs objectifs et adapter leur entraînement. En ce début d’année 2021, Distances+ a demandé à plusieurs coureurs inspirants de raconter comment ils vivent cette période inédite.
On commence cette série d’entrevues avec la championne canadienne d’ultra-trail en titre : Anne Champagne.
Depuis ses débuts en trail fin 2018, la Québécoise Anne Champagne a remporté toutes les courses qu’elle a terminées. Le jeune athlète de 27 ans, qui a également brillé par le passé en triathlon ou en courses d’obstacles, reste sur un exploit colossal à l’île de La Réunion, où elle a remporté l’exigeant Trail du Bourbon 2019 (112 km, 6468 m D+), en explosant de 1 h 20 le record de la championne française Camille Bruyas.
Anne Champagne, meilleure canadienne au classement ITRA (cote 748) dans la catégorie L (format de 115 à 154 km-effort) et deuxième toutes catégories confondues, a passé l’année 2020 à s’entraîner et à progresser en vue d’une saison qu’elle espère internationale.
Elle sera notamment, sur le papier, l’une des favorites de la CCC à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc fin août.
Distances+ : Avec du recul, comment as-tu vécu ton année 2020?
Anne Champagne : Je dirais en montagnes russes. En début d’année, j’avais de grands espoirs parce que je sortais d’une année 2019 exceptionnelle pour moi. J’avais de belles invitations et j’avais hâte d’avancer dans mon parcours sportif et de voir tout ce que j’étais capable d’accomplir.
Je n’ai participé qu’à un événement en Guadeloupe, qui était supposé n’être qu’une course « entraînement », si je peux dire, pour débuter mon année, mais je me suis rendue compte rapidement que, même si je ne le voulais pas, je me suis mis une pression de performance inutile sur les épaules, ce qui a causé mon abandon, dont je ne suis pas fière encore aujourd’hui. Je me suis sentie faible d’abandonner seulement parce que ma tête refusait de continuer. Mais dans chaque moment de ce genre, on en apprend encore plus sur soi-même et on grandit.
Le reste de l’année, j’ai eu de la difficulté à réaliser que les événements étaient annulés les uns après les autres. Mais j’ai fini par reprendre le dessus et arrêter de ne voir que le négatif dans la situation. J’ai davantage vu le positif que cette année off pouvait m’apporter. Qu’elle pouvait nous apporter à tous en fait. Cela m’a permis de faire une introspection sur ma vision du sport et de réaliser que j’adore la course en sentiers, que j’en mords et que c’est quelque chose dont j’ai besoin dans mon quotidien. J’en ai profité pour m’entraîner fort, d’avoir un haut volume durant quasi toute l’année, de travailler mes faiblesses et d’inclure des aspects qu’on laisse de côté parfois, comme l’aspect psychologie. Je suis certaine que ce sera bénéfique à long terme.
Quels enseignements as-tu tirés de cette période insolite?
Il y en a beaucoup! Ne rien prendre pour acquis, car on ne sait pas ce qu’il arrivera demain. Le lâcher-prise. La résilience. La reconnaissance envers ce que j’ai, la santé, un travail que j’aime, une passion qui me fait vibrer. La gratitude aussi, de continuer d’avancer malgré tout ce qui se passe. La vie est un long chemin, on doit se donner des objectifs à court terme oui, mais à long terme aussi pour nous permettre de progresser dans le sport.
Qu’est-ce que la pandémie et ses conséquences ont eu comme impact sur ta « carrière » de coureuse de haut niveau? Quelle est ta vision d’avenir à court ou long terme sur ta vie sportive?
La pandémie aura entraîné une période sans événement pendant longtemps, mais si on regarde à plus grande échelle, on se rend compte qu’une année n’est rien dans une vie. Je suis jeune dans le sport, donc cette année m’aura permis de grandir, d’acquérir plus de confiance en moi, de bâtir une Anne plus forte physiquement, mais aussi mentalement.
Oui, j’avais de grands espoirs en 2020 avec des invitations à l’international qui devaient me permettre d’aller courir avec des athlètes d’ailleurs et de voir où je me situais, mais les courses reviendront et ça ne m’a pas empêché de continuer de courir. Nous ne savons pas quand les événements reprendront en 2021 et si nous pourrons voyager pour participer à des courses en dehors du pays, mais il y a toujours des alternatives pour avoir du plaisir, se lancer des objectifs peu importe la situation. J’ai encore beaucoup à apprendre dans ce si beau sport.
Donc à court terme, je veux acquérir de l’expérience et en ressortir avec des apprentissages pour m’aider à progresser. J’aimerais que la course m’amène à voyager, à explorer le monde avec mes pieds, à rencontrer des gens de partout et d’absorber les richesses environnementales et culturelles de chaque endroit. À long terme, j’aimerais que je m’accomplisse dans l’ultra-trail, que je surpasse mes limites, que je me montre à moi-même de quoi je suis capable et que je fasse partie des meilleures athlètes d’ultra distance au monde.
Comment appréhendes-tu cette saison 2021? À quoi, au moment où l’on se parle, devrait-elle ressembler?
À la fin de l’année 2020, j’ai commencé à bâtir mon calendrier 2021 avec des plans A et B.
2020 aura été une année off, mais en 2021, il y aura des projets et/ou des courses. Si la situation mondiale nous le permet, le plan A sera celui que je suivrai, à savoir : la Penyagolosa (110 km) en Espagne en avril, la Swiss Canyon Trail (111 km) en juin, le Québec Mega Trail (110 km) en juillet, un projet personnel de FKT fin juillet, la CCC (101 km) de l’UTMB en Europe, qui sera mon grand objectif de l’année, et pour conclure la Diagonale des Fous (166 km) à l’île de la Réunion pour un premier 100 miles en compétition. C’est fou, peut-être, mais connaissant en grande partie le terrain et ayant forgé un volume durant l’année, je trouve que ce sera le parfait moment. Ça, c’est si tout va bien.
Et si ça ne se passe pas ainsi, le plan B sera enclenché, avec des événements au Québec ou encore des projets personnels.
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Je conseille de contrôler ce que l’on peut contrôler, et pour le reste, de laisser la vie nous guider un peu. Nous sommes habitués à faire face à des péripéties, alors affrontons la vie de la même façon et ne nous laissons pas vaincre par la situation actuelle. Nous sommes chanceux de pratiquer un sport que nous pouvons pratiquer partout, profitons-en pour travailler sur nos points faibles et devenir de meilleurs athlètes et de meilleures personnes. Et, finalement, le plus important, c’est d’avoir du plaisir dans ce que l’on fait.
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