Anne Bouchard : zen et sereine avant de prendre le départ de l’UTMB

Anne Bouchard est allée jouer dans les montagnes autour de Chamonix avant de s’élancer sur l’UTMB vendredi – Photo : courtoisie

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Opérée à l’abdomen à la fin de l’année dernière, Anne Bouchard a repris la course en février. Elle a commencé par trottiner une minute, puis elle a augmenté la distance progressivement, ajoutant une autre minute à chacune de ses sorties. Sept mois plus tard, elle est au départ de l’épreuve reine de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, heureuse, zen et sereine.

Avec un entraînement millimétré et costaud, en dépit d’une vie professionnelle et familiale intense, l’athlète de 43 ans se dit prête à affronter, dès vendredi soir, les 171 km et 10 000 m de dénivelé positif du mythique UTMB.

Après avoir donné naissance à ses deux enfants, qui ont aujourd’hui 6 et 10 ans, Anne a développé une diastase. Dans les grandes lignes, les grands droits de son abdomen se sont déchirés. Elle s’est donc fait poser une sorte de plaque dans le ventre pour « recoller » ses abdos. Une énorme plaque de 11 cm!

Au départ, elle s’inquiétait que cette plaque puisse se briser lorsqu’elle court ou lorsqu’elle fait un gros effort, mais le chirurgien lui a promis que ça ne lâcherait pas.

Après une période de convalescence, elle a rechaussé ses espadrilles le 1er février. D’une minute de course ce jour-là, elle est montée progressivement à 18 heures d’entraînement les plus grosses semaines. Lors de sa dernière préparation spécifique à la course en montagnes, elle s’est même offert 8000 m de dénivelé positif qu’elle a divisés sur une semaine.

« Il a fallu que je me refasse les abdos profonds, notamment avec des exercices de yoga », a-t-elle expliqué. Une discipline qu’elle maîtrise puisqu’elle a enseigné le yoga Ashtanga.

Il fait d’ailleurs toujours partie de sa vie. « Pour ma préparation à l’UTMB, j’ai réalisé beaucoup de postures restauratives. Quand tu as un volume d’entraînement entre 10 h et 18 h, il faut réussir à évacuer le stress. C’est ce que je fais avec le yoga. Je gère mon énergie. Je gère mon quotidien et ma vie en termes d’énergie. »

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Anne Bouchard lors de sa prise de dossard – Photo : courtoisie

Structurée et efficace

« Dans chaque kilomètre, j’y mets tout mon coeur, lance-telle. Je ne peux pas finir une course en me disant que je me suis pogné le beigne. »

C’est plus fort qu’elle, apparemment, tout ce qu’elle entreprend doit être fait le mieux possible. Elle ne cherche pas à être la meilleure, mais elle s’engage vis-à-vis d’elle-même à mettre tout de son côté pour réussir ce qu’elle commence. « J’adore l’efficience », ponctue-t-elle, expliquant qu’elle ne laisse jamais rien au hasard. C’est structuré, ou ça n’existe pas.

Et c’est grâce à cette organisation mentale, en se focalisant sur son objectif UTMB, qu’elle s’est donné les moyens d’être en pleine forme le jour J.

De l’escalade à la course

La première fois qu’Anne Bouchard est venue à Chamonix, c’était par passion pour l’escalade. Elle a grimpé un glacier du Mont-Blanc, la Mer de glace.

Jusqu’à un périple dans le désert du Mexique où elle a constaté que l’état d’esprit des gens qui faisaient de l’escalade avait changé. « Ce n’était plus zen comme j’aimais. Les jeunes écoutaient de la musique métal, fumaient… »

En 2012, elle est tombée sur un article vantant les marathons les plus fabuleux au monde. « Je l’ai encore, souligne-t-elle. Je me suis dit : je veux courir en montagne! »

De 12 km par semaine sur le Plateau-Mont-Royal au 171 km d’une traite au Mont-Blanc

Son expérience de la course en sentier a commencé un peu fort.

« Au début, j’ai pas pigé le truc, reconnaît-elle. Ça faisait un mois que j’avais commencé la course, j’allaitais, je courais seulement 12 km par semaine sur le Plateau-Mont-Royal, mais je me suis présentée au 38 km de l’Ultimate XC » à Saint-Donat, raconte-t-elle en riant.

« Sur le départ, j’ai fait la connaissance de Rachel Paquette, qui m’a demandé comme ça, je m’en rappellerai toujours : Ultimate XC… ta première course? Tu y as-tu pensé avant de t’inscrire? J’ai fini dans un état pas possible. J’ai souffert ma vie, mais c’est venu chercher ma combativité. Donc, après ça, je me suis dit que j’allais m’entraîner sérieusement. Assez sérieusement pour finir 5e au 65 km d’Harricana en 2013.

Entre ces deux courses, elle a fait le Vermont 50 km et l’autre distance de l’Ultimate XC, le 50 km. Elle était entrée dans une spirale infernale : « Je voulais m’entraîner pour ne plus avoir mal, mais à chaque fois (que je réussissais), je montais la distance. Donc là, bien sûr, j’ai voulu faire mon premier 50 miles, le Squamish 50, en août 2014. J’ai fait un super temps », et encore 5e.

« J’ai enchaîné un mois plus tard sur un deuxième défi, le 80 km Harricana, poursuit-elle. J’ai fini 2e, cinq minutes derrière Marline Côté. » Elle a continué ainsi, sur ces distances, en décrochant la plupart du temps des places d’honneur, toujours parmi les meilleures athlètes féminines.

« J’étais satisfaite avec ça, dit-elle, mais en 2015, alors que je gagne le 80 km de Bromont Ultra, tout se gâche. Pat Godin me donne son livre (Territoires inconnus). Page 145, il m’a touché avec son discours sur le doute (lors des ultras). J’ai voulu aller voir ce qu’il y avait dans ces longues distances-là. Je garde toujours cette page avec moi », entre deux dessins de ses enfants.

Anne Bouchard et l'athlète canadien Garry Robbins, organisateur de la Squamish 50 - Photo courtoisie
Anne Bouchard et l’athlète canadien Garry Robbins, organisateur de la Squamish 50 – Photo : courtoisie

Onzième de sa catégorie à la CCC 2016

Elle choisit de retourner à Chamonix, mais cette fois pour courir, et s’inscrit à la CCC (101 km, 6150 m D+) en 2016. Elle termine 198e, 22e femme et 11e de sa catégorie. Dans la foulée, elle se fixe un nouvel objectif. Plus gros encore : ce sera l’UTMB, en 2018 pour avoir le temps nécessaire pour se qualifier.

« Je suis une fille de performance, analyse Anne. Je veux réaliser mes objectifs, mais progressivement. »

Elle tient quand même à souligner que si elle cultive l’accomplissement, « ce qu’on apprend sur nous », se dépasser est une façon d’être très personnelle. Être performante ne signifie pas gagner. D’ailleurs, Anne court sans montre. « Je ne me mets pas d’objectif de temps. Mon objectif, c’est de donner de la passion dans chacune de mes foulées. C’est ça le vrai bonheur de la course. »

Avec les années et les courses, elle dit mieux se comprendre et sait sur quoi elle doit travailler pour s’améliorer et améliorer ses performances personnelles. « L’endurance est acquise, assure-t-elle. Mais je peux progresser sur les courtes vitesses et sur la puissance brute pour les montées. Elle a repensé sa petite structure d’entraînement en conséquence. Elle a opté pour un entraîneur d’intervalles, l’ancien duathlète Sylvain Rioux, et d’un autre pour travailler la puissance, Gabriel Lescarbeau, kinésiologue au Cirque du Soleil.

Il a fallu s’éloigner de Montréal pour s’entraîner

Anne court généralement sur tous les petits monts autour de Montréal le week-end, mais elle a dû voir plus loin pour se préparer à l’UTMB. Elle est allée courir au Mont-Tremblant, au mont Sainte-Anne et dans les montagnes Blanches aux États-Unis.

Au plus fort de sa préparation, Anne s’entraînait 18 h la semaine en plus de ses exercices musculaires. Elle a notamment travaillé ses épaules pour anticiper la fatigue due à l’utilisation des bâtons.

« C’est dans ces moments-là que le mental est important. Tu es fatiguée mentalement et physiquement. »

Or la vie d’Anne va très vite. Elle travaille 60 h par semaine. Elle est maman de deux enfants, sportifs qui plus est. Son fils joue au baseball et sa fille est élite en gymnastique. C’est très prenant. Alors, elle n’a pas le choix d’aller courir à 4 h du matin. Et parfois aussi pendant l’heure de lunch.

« Je n’ai pas un instant où je ne pense à rien, dit-elle sans que ce soit une plainte. C’est une action après l’autre et ça devient stressant. Mais, je suis habituée, j’encaisse. »

L’abandon

Lors de la Gaspésia 100, pourtant, elle a frappé un mur. « Ça a été un révélateur », estime-t-elle.

Pour la première fois de sa vie, elle a abandonné, alors qu’elle était en tête. « J’avais froid, j’avais mal au ventre, il faisait nuit… mon mental a refusé de continuer. Je me suis mis à avoir peur de la nuit. J’ai eu la trouille du noir pour la première fois. »

Elle a accepté d’avoir abandonné, mais elle a tout de suite voulu travailler pour courir la nuit, parce que durant l’UTMB, on court potentiellement durant deux nuits d’affilée. C’est pourquoi elle s’est inscrite à la Pandora 24, « et ça s’est parfaitement passé, s’est-elle félicitée. C’était pas facile, mais j’avais l’espace mental nécessaire. C’est la sacoche d’Hermione dans Harry Potter. Il faut que j’aie autant d’espace mental que la sacoche a d’espace (infini) dans les deux derniers tomes. »

Le but, c’est d’aller jusqu’au bout

« Je regarde certains athlètes qui finissent leur course en mauvais état. Moi je recherche le bonheur, pas des sensations désagréables. J’ai envie de lever la tête pour apprécier le paysage. » Elle espère d’ailleurs qu’elle verra le soleil se lever à Courmayeur, en Italie, à la moitié parcours.

En exprimant ce souhait, Anne montre le profil de la course. Pour chaque ravitaillement, elle a écrit une petite phrase inspirante. « Sur Courmayeur, c’est « carpe diem », cueillir le jour. Je veux personnaliser mes ravitaillements en quelque sorte. Ou leur donner une signification. Ça va me changer l’esprit. » Pour l’arrivée, c’est une phrase toute simple que lui a rappelé son ami le triathlète Alexandre Genois :  « le but, c’est d’aller jusqu’au bout ».

Son amie Karoline Laforest et son entraîneur Gabriel seront là pour l’épauler. « Karoline a une job mécanique. Elle me donne à manger et doit suivre une liste de choses à faire. Gabriel va être là pour mon mental. Ils vont me relire les quotes. Je me mets des contrôles parce que je si je vais du mauvais côté de la force, ils ont des outils de Jedi pour remettre les choses en place. »

Faire un bel UTMB

« Je n’ai pas d’objectif de pace, ni de temps, insiste Anne Bouchard, Je veux faire une belle course et gérer tous mes paramètres. J’aime rester humble et réaliste plutôt que me surestimer. »

Et quand on lui parle de ce qui pourrait être le prochain défi, Anne sourit en biais, réfléchit un instant, mais a déjà sa petite idée. « Je veux regarder dans quel état je vais être, mais c’est certain que le Tor des géants (330 km, 33 000 m D+), c’est quelque chose… »

Mais commençons déjà par l’UTMB, dont le départ sera donné ce vendredi soir à 18 h (midi au Québec). Cette semaine, elle nous a semblé en tout point… légère. Mais comment se sent-elle avant ce grand défi? « Je me sens numb, fébrile, a-t-elle répondu. Le chemin est long, mais je suis zen, pas overexcited. Ce qui compte maintenant, c’est la sérénité. »


Ce texte a été rendu possible grâce à la collaboration de l’Ultra-Trail Harricana du Canada.