L’origine de la course

Depuis combien de temps courrons-nous ? Pour répondre à cette question, Distances+ a rencontré la paléoanthropologue Michelle Drapeau, professeure à l’Université de Montréal. En spécialiste de l’évolution humaine, elle nous raconte ici l’origine de notre passion pour la course à pied.

Les premiers pas de la marche

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Il y a 4 millions d’années, l’Afrique de l’Est, berceau de l’humanité, était couverte de forêts. « On a longtemps pensé que les premiers préhumains vivaient dans les arbres, et qu’ils étaient devenus bipèdes par défaut. Mais on a réalisé que la bipédie – la faculté de marcher sur nos deux jambes – est arrivée alors qu’il y avait encore beaucoup d’arbres », a indiqué Michelle Drapeau.

L’origine de la bipédie est donc toujours un mystère. « Si on prend l’exemple des chimpanzés qui vivent parfois dans des milieux plus ouverts, ils ne deviennent pas bipèdes pour autant ». L’idée du transport demeure cependant une hypothèse plausible. « On se retrouve au sol, mais on veut rapporter des choses. En étant quadrupède, c’est difficile, mais en étant bipède, les mains sont libérées pour le transport d’objets ».

« Une fois que des individus ont adopté ce comportement, il y en a qui vont mieux le faire que d’autres parce que, par exemple, leurs gros orteils sont orientés un peu différemment, ce qui rend leur démarche plus facile et leur permet de marcher plus longtemps que les autres, a-t-elle poursuivi. Ces individus vont avoir plus d’enfants, car ils peuvent couvrir plus de territoire et rapporter plus de nourriture. Les enfants héritent des caractéristiques de leurs parents et sont donc mieux adaptés à la marche que leurs voisins. Il va y avoir de plus en plus de ces enfants bipèdes et tranquillement la population va devenir majoritairement bipède ».

L’Australopithèque, le premier marcheur

Après un million d’années de tâtonnement, notre ancêtre, l’Australopithèque, est devenu un véritable marcheur. « Il présente des caractéristiques claires pour la bipédie, même s’il pouvait toujours se déplacer dans les arbres, soit pour cueillir des fruits, soit pour dormir à l’abri des prédateurs. Il avait des bras plus forts et plus longs que l’humain, mais plus courts que chez les grands singes. » On s’éloigne toutefois de la vie dans les arbres.

« L’évolution se fait en fonction des changements environnementaux, précise la spécialiste. Si l’environnement est stable et que l’animal est bien adapté, il ne bougera pas jusqu’au moment où les conditions changeront et forceront son évolution ». C’est ce qu’il s’est passé il y a 2 millions d’années. Les forêts ont disparu d’Afrique de l’Est pour faire place à la savane et aux grands troupeaux d’herbivores.

De la marche à la course

« On est étranges pour des primates, on a de grandes jambes et des bras courts et on a une séparation entre le haut du tronc et les hanches, souligne Mme Drapeau. Les grands singes ont tous un tronc d’un seul bloc, ils sont incapables de pivoter à la taille. Nous, on a développé cette séparation qui est hyper importante pour la dynamique de la course. C’est probablement arrivé avec l’Homo erectus, il y a 1,8 million d’années. » Car après un règne d’un million d’années, Australopithèque a évolué vers cette nouvelle espèce.

« Homo erectus est le premier homme que l’on peut regarder dans les yeux. C’est le premier qui a des proportions humaines, dont un bassin étroit », dit-elle. C’est aussi la première espèce d’hominidé à migrer en dehors de l’Afrique. « Ces grandes jambes lui donnaient un territoire d’exploitation plus grand et la course permettait de couvrir plus de distance dans une journée ». Grand chasseur, on pense que Homo erectus a suivi la migration des grands troupeaux.

« En devenant un excellent bipède, la transition vers un coureur efficace de petite vitesse est presque complétée », affirme Michelle Drapeau. Il reste seulement quelques modifications à venir, comme la thermorégulation, soit la perte de poil et le mécanisme de transpiration, toutes des caractéristiques qui ont émergé chez Homo erectus.

Homoerectus D+

Homo Sapiens et les Néandertaliens

L’homme moderne, Homo sapiens, est apparu en Afrique il y a 200 000 ans. « Ce qu’on pense c’est que sapiens a évolué en Afrique, s’est répandu en Afrique, puis s’est dispersé il y a 160 000 ans pour peupler le reste du monde ».

Nous avons peu changé depuis 200 000 ans « Les humains ont l’air plus différents qu’ils ne le sont vraiment, fait remarquer la paléoanthropologue. Si on compare les différences génétiques entre deux chimpanzés, elles sont 10 fois plus grandes qu’entre n’importe quel humain. On n’a simplement pas eu beaucoup de temps pour se différencier ».

Pendant des milliers d’années, deux espèces d’hominidés se sont côtoyées, Homo sapiens et l’homme de Neandertal. Bien que les deux espèces aient pour ancêtre commun Homo erectus, Neandertal a perdu certaines de ses adaptations. « La course d’endurance est faite pour chasser dans un contexte tropical, avec les mécanismes de transpiration. Les Néandertaliens vivaient dans les climats froids, c’est clair qu’ils ne pouvaient pas faire surchauffer un animal en lui courant après comme dans la savane », dit-elle. Sans ce besoin de courir, les Néandertaliens auraient perdu ces caractères d’adaptation à la course pour se rabattre sur la marche.

Alors pourquoi Neandertal s’est-il éteint ? « Il y a eu des Néandertaliens en Europe qui ont côtoyé notre espèce. Dans le cas des Néandertaliens, il y a eu des changements environnementaux et une pression écologique des humains modernes. Sans le savoir, les humains modernes, plus féconds, plus adaptables et chasseurs plus efficaces ont éliminé les Néandertaliens sans nécessairement qu’il y ait eu conflit entre les deux espèces ».

Nos succès à la chasse s’expliquent facilement : « la capacité de marcher et de courir de grande distance, l’endurance de façon générale, a favorisé l’homme moderne. »

L’humain et la course

Après quatre millions d’années d’évolution, sommes-nous devenus de grands coureurs? : « On est efficace et on ne l’est pas, selon Michelle Drapeau. En course de vitesse, l’humain est nul comparé à n’importe quel primate. Mais on est bon à la course lente d’endurance, le jogging finalement. Dans le monde des primates, on est les champions de la marche. On va épuiser n’importe quel chimpanzé. »

Mais ne crions pas victoire trop vite : « On a développé des habiletés pour se déplacer sur de grandes distances, mais il faut relativiser, il existe d’autres animaux qui sont meilleurs marcheurs que nous en étant quadrupèdes ».

On comprend mieux pourquoi la course en sentier apparaît si naturelle avec un peu d’entraînement. C’est une activité que nous avons perfectionnée depuis 200 000 générations, depuis ce jour où notre ancêtre lointain s’est relevé la tête et a commencé à marcher.